Un voile bleu nuit retombait sur ses courbes et voilà que le deuil s'abattait sur ses frêles épaules. Le simple fait de franchir le seuil de cette porte était lourd de sens, symbole d'une grande perte pour tout à chacun. Il faisait mal de croiser les regards attristés de ses proches : sa mère, nouvelle veuve parmi tant d'autres femmes en ces temps de guerres ; sa cadette, à qui on avait arraché son père bien trop tôt... Elles n'étaient plus que des femmes à porter leur nom, représentantes d'une lignée qui ne tarderait pas à s'éteindre. En sa main, Danaé tenait fermement un petit mouchoir en tissu, brodé avec talent d'un fil rouge sang. Le motif était d'une rare complexité, appuyant alors la valeur du travail porté à ce si petit ouvrage. A force de patience, de minutie, mais aussi de passion et d'amour : un travail quotidien à l'image des efforts réunis pour faire prospérer ce si petit état. A cette simple pensée, Danaé serrait le poing plus que de raison, consumée par une colère indescriptible. Teintée de chagrin, bousculée par une fierté froissée, elle s'était interdit de verser la moindre larme... Son regard se perdait par moment dans le vide, ou fixait tantôt le mouchoir, presque assommée par ces tragiques nouvelles. Rouge carmin, comme l'hémoglobine qui se déversait sur le champs de bataille. Le courage ne manquait pas devant les remparts et chaque soldat se montrait des plus vaillants. Son père avait été à la tête de ces rangs, lui même grand et audacieux, suintant d'un esprit de conquête, d'une fierté inébranlable. Malheureusement, ça n'avait pas suffit à faire la différence, et en ce jour funeste, la famille pleurait le patriarche ; la cité pleurait son souverain. Le regard de Danaé bifurqua, alors que machinalement elle se stoppait devant les quelques marches de marbre qui la séparaient de la dépouille. Elle leva les yeux en direction d'un puits de lumière, priant pour ne pas le voir ainsi, inerte et froid. Un frisson lui parcourut l'échine : une nouvelle ère s'annonçait pour elle.

« Mais pour qui te prends-tu, jeune sotte ! Jadis tu te pavanais sans doute devant cette cours... » Dans un ultime geste de provocation afin de lui couper la parole, Danaé cracha aux pieds de son interlocuteur. L'homme fronça les sourcils en la toisant d'un œil malveillant, puis une claquement sec se fit entendre alors que sa main s'abattait violemment sur la joue de la demoiselle. « Ce temps est révolu ! Quelque soit le rang que ton nom pouvait t'offrir, toute noblesse s'en est allée lorsque le sang de ton imbécile de géniteur s'est déversé sur vos terres poussiéreuses. » La jeune femme se tenait la tête, sa peau de lait chauffant sous l'effet d'une vive douleur. Il n'avait pas fait semblant, ce bourru ! C'était la première fois qu'on la violentait ainsi, avec autant de force et de rage. Le moral était lui aussi touché, puisqu'on la poussait toujours plus dans ces horribles souvenirs. Rabaissées, humiliées, les femmes Rainveil avaient dû faire face à ces envahisseurs après le décès du souverain et la défaite de tout un peuple. Elles avaient été les premières contraintes à la soumission, faites esclaves en guise d'humiliation suprême. Sa mère n'avait pas supporter d'être ainsi traînée dans la boue, souillée par des paroles, des gestes, des regards... La perte de son aimé avait eu raison de sa force. Petit à petit, elle s'était laissée partir pour en finir par une mort certaine, pendue aux barreaux de la fenêtre de sa chambre. Elle avait abandonnée ses filles, livrées aux mains de ces escrocs. Danaé s'était donc jurée de tenir le coup, pour sa petite sœur. L'idée qu'elle se retrouve seule lui était insupportable. Impossible pour elle de lâcher prise, au risque de la condamner dans un ultime geste de lâcheté. Aussi, l'aînée s'efforçait de garder la tête haute, de se moquer de ces hommes, de les pousser à se débarrasser d'elles. Mieux valait vivre dehors et sans le sous qu'au service de ces barbares. « Si aux yeux de mon maitre tu n'avais pas été si... délicate ? Précieuse peut-être ? Ça ferait belle lurette que je t'aurais détroussé, catin embourgeoisée ! »

« Je t'en donne 5 écus ! » Le ton montait et les esprits s'échauffaient. Danaé priait silencieusement pour que ça s'arrête. Elle ne supportait plus d'entendre ces hommes marchander pour s'offrir son joli minois. Pire encore lorsqu'ils se pressaient pour désigner sa cadette, cachée derrière elle. « Danaé... J'ai peur. » Elle croisa son regard et son cœur se serra violemment dans sa poitrine. Toutes les deux savaient que cette journée se finirait mal. Elles devinaient que tout allait basculer à l'issue de cette vente. Présentées comme du vulgaire bétail, on les détaillait, les examinait, à voir laquelle serait un meilleur investissement. L'une était plus jeune certes... Mais l'autre particulièrement séduisante. Les regards glissaient sur Danaé, s'attardant sur ses courbes, tentant de deviner ces formes qu'elle cachait du mieux qu'elle pouvait sous les drapés qu'on lui accordait encore. Elle qui d'ordinaire savourait chaque rayon de soleil qui venait caresser sa peau de lait, se couvrait aujourd'hui comme si sa vie en dépendait. Ajouté à un deuil certain, l'espoir l'enveloppait afin de la préserver. Elle s'efforçait d'y croire alors que dans les pupilles innocentes et apeurées de sa sœur lui hurlaient que tout était perdu.

Esclave

Fuite

Problèmes

Hospitalité et protection + mensonges