Oh mais cette question… n’était-elle pas la plus essentielle des questions au final?

Un sourire se dessina sur le visage de Vidar, visage encore recouvert de sang, celui de sa victime, celui de ce qui avait été autrefois un homme. Autrefois, avant que les mains de Vidar ne se posent sur sa gorge, pour se refermer juste là, précise et rapide, assez pour déstabiliser, juste là, avant que son poignard ne vienne arracher la vie. Le combat n’avait pas été juste, inégal même et comme à son habitude, il avait préféré faire couler le sang sur le sol, en affreux monstre qu’il était, plutôt que d’accorder à l’autre une fin silencieuse et en quelque sorte éternelle. Mais ce n’était qu’une dispute d’ivrognes et ivrogne Vidar était à présent à genoux sur le sol, les armes d’autres servants pressées contre sa gorge alors qu’elle venait de lui poser une question.

Oh mais qu’ils prennent donc cette tête, cette précieuse tête, il pouvait se redresser et leur donner meilleur accès et leur dire précisément où appuyer pour le faire craquer. Et sa vie dans tout ça? Oh rien qu’un tas de cendres que le vent viendrait secouer, rien qu’une simple histoire que quelqu’un d’autre, peut être un fils du midi qui avait enfin commencé à vieillir, viendrait raconter. Mais sa vie était là, sa vie était dans ses mèches couleurs ébènes et dans cette taille fine et à cette femme, la femme qui lui faisait face, celle là même qui lui demandait son identité, lui le meurtrier, lui qui avait fait couler le sang d’un des siens. Allait-elle le tuer? Une vie pour une vie pas vrai? Mais si on devait jouer à ce jeu-là, elle devait savoir que la vie de Vidar valait celle de cent, deux cent… cinq cent hommes honnêtes à qui il avait arraché la vie.

Qui était-il? Il n’était rien, rien d’autre qu’un murmure, une rumeur qui avait commencé à pousser, germer dans le ventre de sa mère, la poussant à fuir. Pas encore né et déjà on se souciait de son futur, pas encore né et déjà on priait pour lui. Mais sa mère aurait dû savoir qu’elle adressait ses prières aux mauvais destinataires, elle aurait dû se fier à des choses réelles, placer sa fois dans ce soleil qui se levait, dans cette terre aride tandis que l’été approchait. Jours heureux, jours doux… Où était la belle conclusion? Où était l’histoire clémente dont Vidar devait être le héro? Pas de pitié et encore moins de compassion. Ce fut à Hvittjell que l’enfant poussa ses premiers cris et là alors que Vidar commença à exister. Un fils du midi, le temps serait donc un peu plus clément avec lui, le temps seulement, pas les hommes et leur coeur et encore moins la vie. Mais la rumeur devient quelque chose, quelque chose d’autre, de plus létal et de plus dangereux. Il était dangereux de prendre une étincelle et décider de l’éteindre, eh bien pour Vidar, la même chose se déroula. Lui qui était arrivé dans ce monde trop tôt s’était accroché à la vie avec une véhémence certaine dans les premiers mois… Ce qui fera sa force pendant des années. À Hvittjell la loi était simple et les garçons étaient très vites pris pour des hommes et les premières cicatrices devaient être vénérées. Douleur, ô douleur pour ce fils qui finira par serrer les poings et rendre la pareille et comprendre, douleur qui se transformera en force et force qui deviendra passion. Car qui pouvait véritablement effacer le goût du sang humain sur la langue de Vidar ou faire disparaître cette odeur qui le suivait pendant des jours? Trouver une place dans ce monde est alors facile et il savait qui il était.

Il était le poing qui s’abattait sur l’os, il était la poigne ferme qui tenait l’épée qui s’apprêtait  à s’enfoncer dans la chair, il est… Tout ce que cette ville avait de meilleur à offrir et si certains se battaient pour un titre, de l’argent, une position, il ne se battait que pour des instants précis, des instants où il sait qu’il a l’avantage et que le prochain coup sera fatal, il se bat car il est doué et non parce que cela est juste, il se bat car il a soif… Soif de ce sang qui coule dans les veines des autres hommes, ce sang qui lui revient de droit quand son adversaire est à terre. Combien de fois la mère surprend le fils à essuyer son épée, pour salir un peu plus son visage de ce sang durement récolté? Et voilà ce qu’il était alors que treize hivers étaient passés, voilà ce qu’il est, Vidar, enfant de Hvittjell, guerrier. Il prétend défendre l’honneur de sa mère alors que celle-ci est plus en sécurité et plus respectée que jamais, pourquoi prétendre et ne pas tout simplement admettre la vérité? Car la vérité tue les mère, celle-là même qui l’avait enfanté dans la douleur et qui l’avait tiré de ses cuisses sanguinolentes. Ironie du sort, sa mère avait refusé qu’on nettoie l’enfant, elle avait voulu le serrer contre lui alors que le nouveau né avait encore la vue masquée par le sang et les entrailles de sa mère. Et elle comprenait qu’elle avait maudit.

Maudit. Alors quoi? Fuir la malédiction?

Oui, elle avait suggéré un voyage, une excuse, n’importe quoi, tout pour éloigner son fils de cette ville et de ses combats et pour lui accorder une vie meilleure. Elle avait leurré Vidar hors de la ville sous un faux prétexte, juste quelques jours, assez pour voir l’Arête du Ciel … Mais qui alors pour prévenir cette mère et lui dire que cela serait son dernier voyage? Qui pour informer Vidar de leur halte dans cette grotte déjà habitée par un autre genre d’hommes, de cette espèce qui use et abuse du corps d’une femme avant de la laisser pour morte? Impuissant, voilà ce que Vidar fut  pendant ces moments où il a été maintenu au sol par plus fort que lui, beaucoup plus fort que lui. Dur leçon pour le fils de celle qui criait et qui l’invoquait, il apprenait ainsi que le monde était vaste et que le monde était cruel. Il était de l’été, de la plus belle et la plus merveilleuses des saisons et en un seul instant, en une brève nuit, il avait réalisé tous les hivers qu’il avait manqué. Car c’était bien le vent froid qui avait soulevé la robe de sa mère et les mains des bourrasques qui avait fouillé son corps et la neige qui avait recouvert ce corps. Et neige dans ses poumons, contre sa gorge, neige vivante et humaine, terriblement humaine qui le rouait de coups. On l’avait laissé pour mort, on avait pris sa mère, pris sa vie et … Plus de Vidar, plus d’identité, plus de prénom, plus de sourire, plus d’été. Il avait creusé de ses mains d’enfants une tombe et c’était avec des mains d’hommes qu’il l’avait offerte à l’autre monde. Autre monde qui n’avait pas de place pour lui, non pas lui, définitivement pas lui, peut être plus tard, peut être dans des centaines d’années peut être.

Et les hivers étaient passées et sa colère s’était forgée, muée en volonté, muée en raison de vivre. Il n’était rien, il n’avait rien, il avait volé, menti, pillé et était devenu ce genre d’homme qu’on savait comment éviter. Les guerres avaient fait rage, rébellion et feu à travers tous le royaume mais Vidar n’en avait que faire, il se moquait bien de tous cela. Il était redevenu l’arme, il était redevenu le bourreau, l’insaisissable bourreau. Oui, voilà ce qu’il était, voilà exactement ce qu’il avait et tout ce qui lui restait. Pas sa vie, mais bien celle des autres celle qu’il pouvait encore prendre et il pouvait le faire car il l’avait mérité, car il devait, car lui Vidar, était en vie. Oui, c’était ce qu’il était, voilà pourquoi il souriait, et qu’elle le tue ou qu’elle l’épargne dans le fond, cela n’avait pas vraiment de différence. Mais si elle pouvait lui donner un but, lui donner une raison et le façonner en une sorte de nouvel animal alors oui, il se lèverait, oui, il la suivrait et oui, probablement il l’aimerait.

Il l’aimerait autant que cette épée dont il ne séparait jamais et l’aider à décapiter ses ennemis.
Il l’aimerait comme la seule chose qui avait du sens dans son monde de chaos.
Il l’aimerait comme ce royaume qui s’apprêtait à sombre, Middholt pas assez brave pour supporter les complots contre le père et les couteaux portés à la gorge de la mère.
Oui, il aimerait Ehzaathe.
 

Félicitations, très cher pion, et bienvenue sur l'échiquier de Frostfall. Gare à toi, parce qu'ici, la félonie est un plat qu'on sert à toutes les sauces...

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