écarlate ceignait sa taille, diaprait le vélin lilial de sa peau diaphane. Les doigts aquilins de sa suivante glissaient dans les soies flaves de sa chevelure, couronnant le faciès léonin d'une impressionnante sculpture cuprifère. La lionne n'avait pas attendu la conflagration du soleil dans l'encre vespéral de la nuit pour entamer une amphore de Myr et le sébile mouillé de grenat trônait déjà dans sa main, seul sceptre qu'elle souhaitait conserver entre les phalanges de son dextre en cet instant. Dans la psyché se reflétait l'adamantin visage d'Emphyria Crowgale, une jeune femme que la férale reine savait apprécier pour son intelligence et son manque flagrant de pétulance. Pour une fois qu'on ne lui jetait pas en travers des pattes une idiote péronnelle tout juste capable de seriner cajoleries inanes et laudatifs gloussements. « Vous ferez tourner toutes les têtes, lady Crowgale. » Il fut une époque où elle en faisait autant. Désormais claustrée dans la geôle de l'hyménée, elle sentait sa vénusté se flétrir, empoisonnée par les baisers zélotes de la céraste. La souveraine tissa sur ses lèvres un sourire sincère avant de noyer l'anamnèse nostalgique d'une nouvelle lampée de vin. Lorkhan coulerait-il au moins de lucifères prunelles vers sa silhouette chamarrée de vermillon ou n'aurait-il d'yeux que pour les enivrantes beautés pétries d'une jouvence qui lui échappait ? Elle se réfugia de nouveau dans les évanescentes ivresses du muscat, les lippes closes et les prunelles alourdies d'ataraxiques pensées. La reine n'avait jamais affectionné les festivités et autres bacchanales, la Mascarade n'étant qu'une occasion de plus de s'embourber et se noyer dans les minauderies et les mensonges, de s'asphyxier de protocoles et d'inanes mondanités. Son éternel cynisme se chevillait pourtant déjà à son âme alors qu'elle déposait le calice sur la crédence, rivant le malachite de ses mirettes à l'azur des siennes à travers la psyché. « Avez-vous déjà connu l'amour, Emphyria ? » La question, bien que rhétorique, eut le mérite d'ébranler la lithiase du masque de flegme de la souveraine qui, passablement sardonique, exigeait d'une main preste qu'on remplisse sa coupe. « Si votre cœur a déjà éprouvé les égrotantes chamades de cette endémie, vous n'êtes pas sans savoir que devant un tel ennemi nos chairs ne sont que vulnérables, comme le serait une piétaille sans armure ou un fantassin sans son glaive. » La léonine souveraine inclina la tête, jaugeant la réaction de sa suivante avant de poursuivre. « Ce soir nombreux seront les bourreaux à vouloir arracher votre noyau du clapier osseux qui le protège. Ne faites pas l'erreur qu'elles feront toutes, ne succombez pas pour le traqueur ou il vous évidera comme il le ferait du ventre d'une biche. » Elle ne s'était elle même que trop saignée de rubis entre les bras du charognard avant de faire de ses faiblesses un glaive et de ses erreurs, une cuirasse.

es doigts translucides glissent dans la soyeuse chevelure flavescente de sa reine, disciplinant, tressant la fascinante crinière qui ornait son déjà bien sculptural fasciés. Elle s’attèle avec ferveur à sa tâche, ignorant le regard insistant de Sylarne se reflétant dans la psyché. A l’instar de sa maîtresse, Emphyria s’était apprêtée pour la festivité vespérale dont la perspective ne l’enchantait guère, et à laquelle elle devrait, comme toujours, faire bonne figure, se fondre dans la masse de sottes qui peuple la Cour.
En entendant les paroles panégyriques de la souveraine, un sourire flatté franchit ses lippes, alors qu’elle s’empresse de s’épancher en remerciement, et en éloge, à son tour.

« Merci, Votre Majesté. Mais je doute pouvoir détourner tous les regards de votre beauté. »

Nul besoin de rabâcher cajoleries et flatteries avec cette reine la, elle en a conscience. Et si Emphyria devine l’estime que la souveraine lui porte, elle ne désire en aucun cas se l’aliéner : elle lui était trop importante, trop utile, faisait office de mentor, l’aidant à assimiler toutes les ficelles et les ressorts hypocrites de la politique. Et, bien plus qu’elle ne pouvait l’admettre, elle appréciait cette reine pour sa ruse et son intelligence, pour l’émancipation dont elle faisait preuve.
Le sourire d’Emphyria s’évase lorsque son regard croise celui de sa dame, et elle retourne à son ouvrage, distraitement. Son attention se reporte alors, encore une fois, sur la soirée qui l’attend. Enfant solitaire de l’hiver, les mondanités et les apathiques festivités ne l’intéressaient guère ; seule la pénombre d’une bibliothèque pouvait l’amener à une certaine ataraxie. Le vin et la danse, se pocharder et se bâfrer ne faisaient point partie de ses activités, non. Durant les banquets, si elle acceptait volontiers une danse pour faire taire les mauvaises langues, elle préférait sans conteste observer la cohue, les agissements et les réactions des gens étant, à son sens, bien plus intéressant que tout le reste.
La jeune Crowgale s’arrête, un instant, lorsque les mots de sa reine lui viennent aux oreilles. L’amour ? Elle ne voit pas où sa maîtresse désire en venir, alors elle se contente de scruter ses prunelles à travers la psyché, tentant d’y relever une quelconque réponse. Mais Emphyria ne reste pas indéfiniment dans l’ignorance ; sa souveraine poursuit son discours, et la demoiselle lui adresse un sourire de mijaurée, avant de finaliser la coiffure couronnant son visage. L’amour, elle ne l’a jamais connu, et elle ne désire pas savoir son cœur enserré par ce fléau qui ne répand qu’aberration, et vulnérabilité.
Et les dernières paroles qui s’échappent des lippes de Sylarne lui arrachent un léger sourire narquois. Elle avait d’ores et déjà succombé à cette tentation, quelques fois à Ravenhole, et même avec le Prince Héritier, certes courte liaison, mais excessivement agréable, et qui lui avait valu sa place auprès de la reine.

« Madame, je vous en prie, ne doutez pas ainsi de moi ; vous savez bien que je ne ferai rien d’irréfléchi, ou qui pourrait porter la honte sur vous, comme sur moi. Je ne pasticherai aucune de ces femmes, et ne capitulerai devant aucun bourreau. »

Elle retire ses doigts de la crinière de la lionne, et lisse les plis de son étoffe parme. En vérité, Emphyria espérait que la reine lui confierait une tâche bien plus grande que celle de conserver sa vertu déjà perdue depuis bien longtemps.

es prunelles spéculaires de l'oiselle se moiraient d'une lueur de perspicacité, diffraction d'intelligence et de pragmatisme qui la lui rendait toujours plus attachante. Et plus elle plongeait les mirettes de son anamnèse dans celles de la donzelle, plus elle se rendait compte qu'elle lui ressemblait plus qu'elle ne voulait l'admettre. Toujours pétrie par l'indéfectible candeur qui empanachait l'adolescence, Emphyria portait pourtant sur le monde un regard lucide et constellé d'acuité. Une qualité qu'elle avait elle-même développée sous les assauts puissants de la désillusion et d'une ostensible raison utilitariste. Si ses affects avaient enfilé les nippes du cynisme et du fatalisme, c'était par nécessité ; à elle on avait pas apprit à rugir, à elle on avait pas apprit à tisser arantèles aux fibres indestructibles, à elle on avait pas dédié homélies sur le pouvoir et limpides conseils sur les rouages de l'intrigue. Comme quoi elle n'était promise à aucun destin grandiose, aucune prophétique gloire. C'était à grands renforts de griffes qu'elle avait conquis ses propres lauriers, évoluant dans l'ombre des coursives et celui des hommes, dans un monde plus que phallocentrique. Conserver le pouvoir était lutte de tous les jours, être une femme dans un monde d'hommes était une lutte de tous les instants. Un souverain était jugé pour ses actes. Une souveraine était jugée pour son sexe. La férale reine reçu les paroles de sa suivante avec l'ébranlement de la lithiase de ses lèvres, un sourire teinté de douceur qui maculait la commissure de sa lippe. Son lilial dextre s'accrocha à la paroi hyaline de son sébile, noyant les cyniques pensées qu'avaient engendrées les paroles de la jouvencelle. « Je ne doute pas de vous, Emphyria. » Sa langue accueillit de nouveau les capiteux muscats avant que la monarque quitte les langes de son siège, mirant un instant son reflet dans la psyché avant de se retourner vers sa suivante. « Vous êtes une femme intelligente et lucide. Mais vous êtes jeune et trop sûre de vous. Faites de vos faiblesses des forces, faites de vos forces des glaives et de vos glaives un incoercible pouvoir. » Sylarne fit servir une autre coupe de vin, la tendant à la Crowgale avec un sourire équivoque. Les effervescences éthyliques léchaient indéniablement son échine, disséminant à la frontière de son occiput frissons et semblants de fièvre. « Qu'est-ce que le pouvoir, dites-moi ? » Sans attendre, la lionne s'approcha d'Emphyria, saisissant ses mains pour les emprisonner des siennes, leurs doigts ivoiriens se croisant dans une étreinte délicate. « Si je le voulais, je pourrais ordonner aux factionnaires de vous couper la gorge ou de vous lancer dans les cachots. Si je le voulais, je pourrais vous faire dénuer de vos titres, des fiefs de votre famille et faire de vous une indigente. Dites-moi, Emphyria, qu'est-ce qui fait que j'ai un tel pouvoir sur vous ? » Une de ses mains quitta l'étreinte, se posant sur la joue délicate de la jouvencelle. La reine replaça une mèche ambrée derrière l'oreille de sa suivante. « Pourquoi n'avez-vous pas cette même ascendance sur moi ? »

lle offre un sourire à sa reine, enchantée de la savoir ainsi satisfaite d’elle. Emphyria l’observe lorgner, durant un instant, son chatoiement dans la psyché. Si elle n’a que faire de la figure qui prend place sur le trône, du moment qu’il lui ait profitable, elle espère que Sylarne y gardera sa place le plus longtemps possible ; la reine gagnait, chaque jour un peu plus, son estime, et sa considération. Cette dernière se tourne d’ailleurs vers sa suivante qui vient de terminer d’embellir son visage déjà bien vénuste.
Et si la Crowgale pince les lèvres d’amertume quand la souveraine laisse échapper ces quelques paroles peu flatteuses de son gosier, elle prend tout de même le conseil avec le sourire, comme toujours, et hoche la tête, pour signifier son entendement. Elle savait les conseils de Sylarne précieux, et ne ratait jamais une occasion de s’en abreuver, apprenant ainsi à duper, encore plus qu’elle ne le faisait déjà, la foule qui l’entourait.
Elle saisit la coupe de vin que lui tend sa reine, et la remercie, avant de porter à ses lèvres le muscat à l’odeur enivrante. Mais très vite, ses lippes quittent le liquide grenat, alors qu’elle porte un regard intrigué sur son interlocutrice. Le pouvoir ? Concept bien particulier aux yeux d’Emphyria qui s’apprête à en donner sa définition. Seulement, Sylarne capture ses mains, mêlant ses doigts diaphanes aux siens dans une gentille pression, la prenant ainsi au dépourvu, alors que sa coupe réside toujours entre ses mains, et que ses paroles périssent au fond de son gosier.
Et si l’étreinte que lui confère Sylarne est bien délicate, les phrases qui atteignent les oreilles d’Emphyria en sont tout le contraire. Son corps se tend, elle tente de garder un visage impassible. La souveraine désirait-elle seulement une réponse à sa question ou ses paroles étaient-elles lourdes de sens ? La Crowgale frissonne en sentant une des mains de la Clanfell s’attarder sur sa joue diaphane, puis replacer derrière son oreille une mèche de sa chevelure. Emphyria pèse ses mots, laisse échapper un soupir.

« Je n’ai pas cette même ascendance sur vous car vous êtes la reine consort, souveraine de bien des cités, alors que je ne suis qu’Emphyria Crowgale, cadette de sa famille, ainsi que votre dévouée suivante, qu’elle répond, alors qu’un léger sentiment d’amère jalousie grandit en elle. Je n’ai pas cette même ascendance car vous avez le pouvoir de faire et de détruire qui vous le voulez, et nombreux sont ceux qui se jetteraient à vos pieds pour accomplir l’un de vos desseins, ajoute t-elle, tout en plongeant ses prunelles céruléennes dans celles de sa reine, un sourire ambigüe peint sur les lippes. »

A cet instant, elle est bien heureuse d’avoir appris à manier les mots avec une telle aisance, et s’autorise respirer. Emphyria laisse échapper son dextre de la main de Sylarne, finit avec avidité son breuvage, et plonge son regard dans le fond de sa coupe cristalline. Que se passait-il à présent ? Et où la reine voulait-elle en venir ?

« Le pouvoir … Elle soupire, caresse les parois hyalines de sa coupe, réfléchit quelques instants. Je pense que le pouvoir ne se donne pas, il se prend. Je pense qu’il est le fruit d’une immense volonté ; les règnes successifs de nombreux rois ne nous l’ont-ils pas prouvé au cours de bien des âges ? »  

oercition implacable que cette notion de pouvoir. Plus qu'un simple contrat social, elle était symbolique, heuristique, ontologie inéluctable dont on empanachait une figure plus allégorique encore. Beaucoup disaient que le pouvoir était force inextricable, immarcescible ascendance qui disposait des corps à loisir, faisant se garnir les charniers et les fosses, funestes conséquences d'une lubie plus sombre encore. D'autres attribuaient à la connaissance un capital plénipotentiaire non négligeable, les réputations faisant s'élever et s'écrouler empires comme le glaive en pourfendait les murailles. Et si tous avaient glané quelques parts de vérités, tous se fourvoyaient en croyant en rapprocher les pans de la globalité. Le pouvoir n'était en fait que symbolique, que force virtuelle et immatérielle dont on se partageait le suaire de prépotence. Qu'était-ce qu'une couronne et un sceptre ? Que des métaux qu'on faisait couler comme le fer sur les épées, que des alliages cuprifères sertis de joyaux, artificieuses égéries d'un pouvoir indicible et innommable. Un trône, aussi obsidienne soit-il, n'était au final qu'un siège parmi tant d'autres - un inconfortable siège qui plus est - qu'on s'arrachait pour en orner son séant. Et bien engoncé dans ce carcan de métal le séant ne demeurait qu'un séant, de chair et d'os, comme tous les autres. Le pouvoir n'était ni uniquement façonné par l'arantèle des connaissances, ni par l'orbiculaire des oppressions. Le pouvoir était symbole. Et tant que le symbole était porté par mille voix, tant que la couronne était appelée couronne et non pas métal, tant que le trône était appelé trône et non siège, le pouvoir subsistait et se renforçait, inexorablement. L'ascendance était contrat, le contrôle reddition. Et tant que le peuple persisterait à apposer son seing et à le cacheter de son sceau, il aurait force de loi, invariablement. La férale lionne possédait-elle du pouvoir ? Certes. Mais elle ne faisait pas erreur de le croire immuable et significatif, elle ne faisait pas l'erreur de prier devant l'autel de l'heuristique en espérant que le mot se fasse glaive au-dessus de tous les sinciputs, non : elle savait que le pouvoir se faisait brasier fugace pour se faire ensuite cendreux apyres, fuligineux vestiges d'un flambeau spéculaire qui déchirait toutes les ombres pour mieux être engouffré par elles. Oh, Emphyria savait où était sa place, connaissait les rouages d'un ascendant captieux sans en connaître réellement l'architecture.


a dernière phrase de sa suivante arracha à l'hyalin malachite de ses yeux une lueur cuprique. Un sourire fleurit sur les lippes félines, alors qu'elles trempaient à nouveau dans l'exquis muscat. Puis, elle leva le sébile au-dessus de sa tête, le cristal se moirant de reflets flavescents dans la clarté des candélabres. « Le pouvoir ne se prend pas, lady Crowgale. » Un soupir cynique vint franchir la frontière de sa bouche alors qu'elle inclinait la tête, le calice toujours suspendu dans les airs. « Le pouvoir ne se saisit pas. Le pouvoir est fuyant, quittant toutes les paumes, échappant à tous les doigts... » Puis elle relâcha l'étreinte de son dextre sur le cristal, laissant s'écrouler sur le sol la coupe qui se fracassa dans une kyrielle de fragments épars, renvoyant tous leurs reflets versicolores sur les voliges du plancher. Un sourire aux lèvres, la férale monarque amarra son index au menton de la Crowgale, l'obligeant à relever la tête vers elle. « Le pouvoir se construit. Le pouvoir se façonne, le pouvoir se sculpte dans le plus ductile des argiles. Si l'on croit avoir consolidé son pouvoir, si l'on croit l'avoir vitrifié et cristallisé, on risque de le voir s'effondrer et se briser à la moindre chute. Le plus réel et efficient des pouvoirs est celui qui tombe et qui ne fracasse pas. Le plus prééminent des pouvoirs est celui qu'on construit avec patience. » Sylarne se retourna, rompant l'intime contact qu'elle avait tissé de ses doigts entre elle et sa suivante. Son reflet dans la psyché lui renvoya un faciès taillé dans le plus lisse des marbre, les ridules d'une jeunesse qui lui échappait déjà marquant l'arc de ses yeux d'alluvions discrets. Un sourire vint caresser la rigidité d'une expression impassible alors qu'elle mirait des atours qui, heureusement, ne s'étaient pas encore fanés, s'étirant comme fleurs nivéales sous sa peau laiteuse. Le pouvoir venait avec la patience et s'étirait comme les années, burinant les peaux comme le faisait l'imperturbable cours du temps. À travers le miroir, elle chercha les prunelles azuréennes de la jouvencelle, les trouvant pour les emprisonner dans l'éclat céladon des siennes. « Que vous soyez cadette ou simple suivante ne change rien, Emphyria. Qu'ils le veuillent ou pas tous jouent au jeu des trônes et tous valsent un jour avec le pouvoir. Espérez seulement être celle qui, dans son grand discernement, sera capable de le captiver et de le conserver entre ses doigts sans même lui avoir ouvert les cuisses. » Sylarne lui fit de nouveau face, glissant vers elle avant de se saisir d'une nouvelle mèche de cheveux qu'elle plaça derrière son oreille dans un geste presque maternel. « Rendez-moi service, ce soir, et je vous accorderai en retour une requête que je ferai tout pour honorer. Enquerrez-vous auprès de Lehvinia Dragonfall, la promise du prince héritier, tentez de savoir ce qu'elle souhaite obtenir à travers cette alliance avec les Ravncrone et ce qu'elle ressent à l'égard de ses éventuelles épousailles. Réussissez dans cette tâche et je vous serai redevable... voilà votre vrai pouvoir. »

es prunelles quittent le cristal de sa coupe à présent vide, et se reportent sur la silhouette gracile de sa reine. Emphyria écoute, elle assimile les paroles de Sylarne, se repaisse de son enseignement. Le pouvoir ne se saisit pas, le pouvoir est fuyant … Elle songe, un instant, à ces rois évoqués quelques secondes auparavant. Il était vrai que les derniers souverains d’Ibenholt avaient eu une fin tragique, le pouvoir s’échappant d’entre leurs doigts presque aussi simultanément que leur dernier souffle s’échappait d’entre leurs lippes. Et même la princesse Jora, digne héritière de ce trône sur lequel siégeait un Ravncrone, n’avait pas eu l’occasion de l’effleurer, ce pouvoir si tentant, si séduisant. Sa maîtresse avait raison, il était impossible de s’emparer du pouvoir, il était insaisissable, s’évaporant à l’instar de la fumée ; et elle tacherait de ne pas l’oublier.
Elle réprime un léger sursaut tandis que Sylarne laisse tomber au sol sa coupe, comme pour illustrer ses propos, qui se brise en une multitude de bribes translucide à ses pieds. Cette dernière s’approche d’elle, et, à l’aide de son simple index, rehausse son visage pour l’obliger à plonger son regard dans le sien. En entendant ces dernières paroles, c’est la détermination qui fait place en son cœur. La patience … Sa volonté et son ambition l’avait toujours forcée à en faire preuve, à Ravenhole, alors qu’elle était cantonnée à un rôle dérisoire, et même ici, attendant, presque désespérément, un important rôle qui lui serait confié. Son avis rejoignait alors celui de Sylarne ; le réel pouvoir s’acquérait grâce à la patience, et de cela, elle était sûre. La reine s’éloigne de sa suivante dans un froissement d’étoffes écarlates, aussi vite qu’elle s’en était approchée. Emphyria accroche ses prunelles à celles de sa reine à travers la psyché, et lui adresse un hochement de tête entendu en entendant ses dernières paroles. Son pouvoir, elle ne l’obtiendra pas à l’aide de ses charmes et de ses attributs féminins, comme elle l’avait fait pour accéder au plus proche entourage de la reine. Non, elle valait bien plus que cela, et elle obtiendra ce pouvoir et cette reconnaissance à force d’acharnement.

Pourtant, la reine revient prestement vers elle, une requête inattendue s’échappant de ses lippes. Emphyria hausse un sourcil, tandis que les doigts de Sylarne s’emparent d’une de ses mèches ambrées, une nouvelle fois.  Lehvinia Dragonfall, tiens ! Elle ne l’apprécie guère, cette héritière si loyale, si droite et à l’éducation si pleine ! Chacune de leur conversation lui est d’un ennui, et pourtant, elle se devait de l’avoir dans ses bonnes grâces, n’était-elle pas la future reine d’Ibenholt et de bien des cités ? Et la Crowgale ne voit le rapport entre la souveraine et son futur successeur. Elles n’avaient rien en commun, du moins à sa connaissance, mis à part, peut-être Lorkhan, selon certains racontars … Mais elle n’en dit rien, fait taire les rumeurs qui lui reviennent en mémoire, et s’élance dans une gracieuse et profonde révérence.

« Je ferais tout mon possible pour réussir dans cette entreprise, Votre Majesté. »

Un sourire ravi s’étire sur ses lèvres charnues : finalement, cette vespérale festivité pourrait s’avérer être beaucoup plus intéressante qu’elle ne l’avait imaginé.

es effervescences caligineuses d'une éthylique déréliction s'attardaient à l'orée de son occiput pour laisser sur l'arantèle de son encéphalique hégémonie des perles carmines qui n'avaient de cesse de faire se mouvoir la tectonique implacable de son équanimité fuyante. Même dans les mânes d'une nébuleuse neurasthénie, elle percevait avec acuité les pans flous d'un jeu subtile, en eurythmie avec le monde qui avait été son berceau depuis sa matricielle première lampée d'air. La léonine égérie savait que la nymphette imprimerait dans son intellect les quelques bribes d'apophtegmes qu'elle réussissait à glaner à une anamnèse qui s'était réifiée en préceptes plus que salvateurs. Sa suivante pourrait-elle saisir de ses doigts diaphanes les oriflammes d'une hégémonie qu'elle pourrait faire sienne sans jamais en devenir l'esclave ? Malgré l'intangible joug de son cynisme, la reine pouvait espérer que la jeune Emphyria tirerait son épingle du jeu un jour ou l'autre. La patience demeurait un atout non négligeable lorsqu'il s'agissait de buriner l'argile ductile des jeux d'influence. Une fois l'assentiment de sa suivante recueilli, Sylarne put se soustraire à ce conciliabule, désormais parementée de tous ses vénustes ornements. Elle adressa un dernier sourire à la lady avant de se diriger vers la sortie. Son époux l'avait fait mandée et c'est avec une acrimonieuse asthénie qu'elle quittait la jouvencelle pour un esprit plus pétri encore de manigances. « Merci, lady Crowgale. Et je vous en prie, profitez un peu des festivités... »