℘ Nul ne choisit sa famille. Dans le cas de Séraphine, c'est tout simplement sa famille qui a choisi pour elle. Pouponne, et déposée sur le pas de la porte d'un orphelinat, dans lequel elle sera vouée à grandir parmi les autres graines abandonnées. Le plus grand mystère de sa vie n'est autre que sa vie elle-même, qui est-elle ? D'où vient-elle ? Pourquoi n'a t-on pas voulu d'elle ? Des questions, et jamais personne pour y répondre, si bien qu'elle s'est longtemps imaginée fille cachée d'un roi qui, dans son auguste demeure, pleurerait l'éloignement forcé de son enfant, qu'il viendrait un jour récupérer... un jour qui ne vint jamais. Les utopies infantiles ont fini par agonir au profit d'une espérance moins candide, puis, d'une totale résignation. L'on ne viendrait jamais la chercher.

℘ Elle a donc vécu en compagnie des autres orphelins, cohorte de jeunes coquins qui arpentaient les venelles avec curiosité, familiers aux oeillades trop souvent dédaigneuses des gens dont la plupart ne les voyaient que comme des fardeaux de la société. Face à ce mépris latent, la fillette a développé une jalousie pernicieuse envers ceux qui, contrairement à elle, ne pataugeaient pas dans la misère. C'est en réussissant son premier maraudage, glanant quelques fruits pour ses camarades et elle, qu'elle a pénétré dans le monde du larcin.

℘ Depuis, elle n'a plus cessé, redoublant de célérité et d'imagination pour des vols de tout acabit qui ont plus d'une fois failli lui coûter une main – si ce n'est littéralement la tête. Au grès des ans, des succès et des rencontres, elle a fini par intégrer les rangs éparses des illustres Maraudeurs en tentant ironiquement de dérober l'aumônière de l'un de ces maîtres de l'ombre. Intrigué par l'adolescente aux talents à en devenir, au charmant minois et au pouvoir expédient, il lui a ouvert les huis de la guilde en lui promettant fortune et renom pour peu qu'elle s'investisse de tout son soûl.

℘ A quinze ans et alors qu'elle était astucieusement parvenue à s'introduire dans un logis cossu, elle s'est faite surprendre et capturer, et alors qu'elle voyait sa dernière heure poindre, le propriétaire des lieux, plutôt que de l'occire, la fit encelluler. Des geôles qui précédèrent la sentine d'un navire à destination des Iles Brûlées, la belle offerte à l'instar d'une pièce de carne à des esclavagistes qui en feraient bon usage.

℘ Arrachée au continent, elle ne foula les steppes de l'archipel méridional que pour y être vendue et devenir une domestique aux besognes ingrates. Mais ses chaînes, elle parvint à les briser avec la complicité d'autres assujettis avec lesquels elle s'esbigna plus loin dans les terres, pourchassés par un maître qui saurait dûment les châtier s'il les rattrapait. Leur fuite les mena, de façon tout à fait providentielle, vers des landes incultes où ils pensaient semer leur poursuivant, inconscients de la menace qui les attendait à l'angle des gorges désertiques. Ils rencontrèrent une horde d'ostrogoths qui les captura à leur tour, maudites vicissitudes.

℘ Conduits au reste de la tribu des Krorag, des nomades aux moeurs ésotériques et primitives, tous les hommes furent sacrifiés au nom des déités barbares, quand aux femelles, celles qui ne furent pas clamées subirent le même sort, quant aux rares survivantes, le choix leur fut offert. La vénusté de Séraphine lui attira l'intérêt d'un guerrier colossal prénommé Zorkharr, duquel elle accepta de devenir la concubine, non sans l'espoir secret de pouvoir se dérober à cette nouvelle tribulation.

℘ Force fut toutefois de constater que si elle se hasardait seule dans l'immensurable erg, ses chances de survie seraient ténues, et celui qui se targuait être son possesseur lui arracherait les dents une par une avant d'en faire son holocauste si elle tentait de fuir. Des risques qu'elle aurait été prête à prendre, si le destin ne s'était pas fait espiègle. Elle tomba enceinte, un événement qui l'immergea d'un indicible émoi, d'une joie incompréhensible et de peurs criardes. Puis, contre toute attente, les membres du clan l'intégrèrent. Pas une femme libre, pas une esclave, ni véritablement une Krorag, mais à défaut de savoir vraiment où se situer, elle trouva écho dans l'esprit communautaire de ces sauvages. Elle accoucha d'un fils, un poupon aux prunelles de ciel qui fit la fierté de son époux, tandis que l'épouse légitime de celui-ci mit au monde deux filles.

℘ Sept ans s'écoulèrent, et le vent allait tourner. Zorkharr devint Khan, chef de la tribu après avoir tué l'ancien lors d'un duel, et pour bénir son règne ainsi qu'obtenir les voix favorables de tous ses frères, il décida de sacrifié son fils. Séraphine passa par toutes les émotions imaginables, de l'ire aux suppliques, rien n'y fit, elle dut se résoudre à observer son seul enfant se faire noyer par son propre père. Elle lui souhaita les pires malheurs de l'univers, sans savoir que quelques mois plus tard, son voeu serait exaucé. Alors qu'ils traversaient un ravin, de lourds rochers furent précipités sur le clan qui fut séparé de la tête de son cortège – là où se trouvait son époux. Dans l'effervescence et persuadée que ce dernier ne trouverait que la mort, la donzelle s'enfuit, sachant que les concubines des Khan qui trépassaient devenaient des offrandes pour les dieux. Elle réussit à sortir du désert qu'elle avait appris à connaître, et rejoignit la civilisation.

℘ Elle embarqua sur un bateau et rallia le continent, perdue, mais résolue à reprendre sa vie en main. Elle retrouva ses vieilles marottes de larronnesse, se jurant cette fois de gravir les échelons des Maraudeurs, avec comme but d'approcher le triumvirat voire, à plus longue échéance, de l'intégrer.

℘ Cinq années ont passé, Séraphine a rencontré des triomphes comme des déconvenues - elle se trouvait notamment à Askevale lorsque Jorkell Ravncrone et Hulgard Ebonhand ont assiégé la ville. Mais si elle croyait que son passé était derrière elle, elle a récemment appris que Zorkharr avait survécu, et pis encore, qu'il se trouvait sur le continent. Elle erre aujourd'hui avec la crainte de croiser sa route, car nul ne sait ce qu'il en découlera.