Elle n'avait jamais pris d'amant, préférant garder les moments d'intimité à ses seules larmes. De toute manière, personne ne voulait d'elle et peu importait qu'on la dise attirante ou bien faite, car ni folie ni rancoeur n'étaient de bons apparats pour les bras ds hommes.
La solitude était faite pour le chagrin, ne pas parler, ne pas vouloir, ne pas désirer. Juste pleurer un peu, pleurer beaucoup aussi parfois et de temps en temps une petite fille aux joues crasseuses pleuraient avec elle. Comme avant, sur le sol en terre battue de la maison  lorsqu'elle n'arrivait pas à accomplir un ordre et que le maître la punissait. Des claques énormes, gigantesques, à en faire oublier son propre nom sous la violence du choc, mais le fantôme de la petite fille ne pleurait pas que pour cela.
Pour l'haleine avinée du maître, pour ses cris de bête et le bruit des jambes que l'on écarte fort, trop fort. Pour le regard de glace de la maîtresse, pour les coups dans son ventre, pour une chose qu'Ezhaathe n'arrivait pas à aimer, n'arriverait jamais à aimer.
Elle avait prié, supplié sans le moindre mot, sans la moindre phrase simplement en portant la souffrance dans ses yeux vides et son corps meurtri de pouvoir partir loin du maître, loin des mains trop grandes qui déchirer ses vêtements et du poids d'un corps, et de ça oh de ça....
Cette chose qu'elle n'arrivait pas à nommer, qu'elle subissait pourtant.

Voilà pourquoi Ezhaathe pleurait aujourd'hui encore, bien des années après avec le spectre de son enfance. Parce que les dieux avaient également accédé à sa prière. Jetée à la rue, porteuse d'un bâtard dont elle ne voulait pas, il y eut la solitude. Crever dans un coin sans personne pour vous regarder, juste le bruit des pas, des jambes qui ont et qui viennent et elle, incapable de lever les yeux ne serait-ce qu'un peu et pourtant même les chiens y arrivaient, eux !

Elle perdit l'enfant.

Le sang maculait ses cuisses, ça faisait mal. Aussi mal que la première fois que le maître s'était penché sur elle comme ça, aussi mal mais de manière différente pourtant. Ezhaathe n'aurait jamais de bébé. Quel dieu fut alors assez cruel pour lui insuffler la volonté de se battre encore un peu, la jeune fille ne le sut pas. Il lui fallait de l'argent, il lui fallait de la nourriture, quelque chose...
Alors quoi, faire comme ces autres filles et parader les seins à moitiés nus ? Faire cette chose qui faisait mal, mais être payée pour cela ? Certaines y arrivaient.... Mais Ezhaathe ne se considérait pas comme assez belle ou même assez digne pour un métier pareil. Malade, sale, repoussante parce que le maître l'avait touché, parce que le bébé était mort. Elle ne comprenait pas, pauvre petite chose, non elle ne comprenait pas que bien des filles de joies avaient des histoires aussi sordides que la sienne voir plus parfois. Mais les dieux, encore eux, toujours eux, car qui d'autre saurait attirer autant de peurs et d'interdits dans une seule âme, lui donnèrent la force de l'arène.
Un combat, un seul... Elle en portait encore les cicatrices aujourd'hui, celles des dents du molosse et parfois au plus profond de ses cauchemars il lui semblait que l'animal la dévorait finalement. L'animal, le chien qu'elle portait en son âme désormais, un avatar de plus pour toutes ses souffrances.

Que restait-il de cela désormais ? Des sanglots dans le vent, la puanteur des rues en mémoire et rien d'autre, absolument rien d'autre.

Korgath, elle portait son nom au bout des lèvres, au bout du cœur. Après la rue, après le maître il y eut lui. Un homme pour canaliser sa violence, lui donner des règles à suivre, lui apprendre comment vivre tout simplement. En dix ans, la femme s'effaça sous l'assassin, forte des enseignements de ceux appelés Anonymes.
Assez forte pour tuer sans saigner, assez forte pour bondir et déchaîner sa rage comme un panthéon de dieux en furies mais faible, toujours aussi faible pour ne pas dompter sa propre colère sans se blesser.

Qu'importe car il restait la solitude, le silence et les larmes. Son cœur de pierre saignait de trop de chair et de sang, et jamais ne guérirait. Alors elle avançait sans prendre d'amant, sans vraiment trouver d'amis et si longue était sa route, si obscure aussi, jusqu'au cri de la mer comme une libération, une autre.

Sans pour autant redevenir Femme, l'Assassin se fit Pirate. Chef de guerre, chien furieux et stratège dénué d'honneur mais pétrie de lois pour autant, Ezhaathe parvint à imposer sa marque sur Sade et ses environs. Forte d'une flotte d'une cinquantaine de navires, et capable de donner à ses hommes assez de rage au cœur pour se battre et mourir à ses pieds au nom des meurtres et des trésors, la jeune femme aurait pu en oublier l'existence des dieux. Jusqu'à ce qu'ils se rappellent à elle, encore une fois avec leurs lois de souffrance et de déchirure. Ils mirent sur sa route l'émissaire de Kalanar. Dès lors Sade et son soleil désertèrent son cœur écorché pour que vienne l'hiver de Middholt. Il y avait sa mère là bas, monarque elfe perdue dans ses propres intrigues. Il y avait sa mère oui, et une vengeance à apaiser enfin depuis toutes ses années. Ezhaathe trouvait enfin un coupable à faire expier, car qui d'autre sinon Nelrenethys ne l'avait condamné au maître, à la faim, au bébé mort et aux royaumes d'ombres des anonymes jusqu'aux écumes des mers en furie ?

Middholt, là où le monde se déchaînait entre trahisons et jeux de pouvoir, là où Kalanar poussait son dernier soupir, où des princes défiaient dieux et destins, où des champions luttaient à la gloire des épées lorsque les assassins faisaient chanter le secret de leurs lames. Là où les dames se faisaient jolies oiselles assassins pour espérer du pouvoir, un peu plus, encore un peu plus...
Mais tous ces conflits, qu'étaient-ils face à Ezhaathe et cette guerre immonde, terrible qu'elle ferait déverser sur la cité ? Celle non pas des armes et des couronnes, mais de son propre cœur qui appelait à un Jugement Dernier.
 

Félicitations, très cher pion, et bienvenue sur l'échiquier de Frostfall. Gare à toi, parce qu'ici, la félonie est un plat qu'on sert à toutes les sauces...

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Sur ce, nous te souhaitons bon jeu sur Frostfall et espérons que la Fatalité te sera favorable !