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........’effervescence de l’imminente Grande Mascarade plongeait la froide Ibenholt dans une euphorie toute particulière, égayant les mornes pierres glacées des bâtiments, ravivant les braseros disséminés dans le labyrinthe tortueux de ses rues, emplissant les jointures des larges pavés de vinasse médiocre. Partout les badauds mugissaient, s’exaltaient, dans une allégresse générale, contagieuse, qui avait fini par lasser Nelrenethys. D'un geste lent, presque exagéré, la souveraine Australe referma les rideaux occultant le doux soleil hivernal de la région, cependant rien ne pouvait filtrer la cacophonie des alentours du palais Jernvugge. Ne peut-on pas être tranquille, ici ? J'ai besoin de calme, de silence...
Arrivée depuis seulement trois jours dans la cité, la Reine n'avait pas pu se remettre convenablement de son long voyage. Cloîtrée dans ses appartements de l'aile du Phénix, elle tentait vainement de se refaire une santé, ne supportant que très mal le climat rigoureux du Nord, afin de résister aux assauts de ses adversaires sur l'échiquier du pouvoir. Averti de sa présence au château et de sa situation délicate, les têtes couronnées et gentes importantes d'Ibenholt pouvaient cependant la consulter par le biais de missives. Missives qui ne tardèrent guère à manquer.

Mais l'Elfe n'avait pas le cœur à la lecture, non pas qu'elle manquait de temps, mais son faible état et des souvenirs que trop récents parasitaient ses pensées. La croisée des chemins avec cette femme inconnue sur les tortueuses routes menant à la Cité lui laissait un relent amer, un étrange sentiment de déjà-vu, quelque chose qu'elle ne pouvait identifier clairement mais qui captivait le peu d'attention qu'elle était capable d'offrir pour l'heure. Pourtant, Nelrenethys ne pouvait éternellement faire la sourde oreille aux devoirs qu'elle avait à accomplir loin de son royaume, et sans réelle conviction, s'adonna à des heures d'échanges de mondanités, de nouvelles, dépêches plus hypocrites et futiles les unes que les autres. Tous lui souhaitèrent la bienvenue et quémandèrent un entretien avec sa personne lorsqu'elle serait rétablie, ce à quoi elle répondit laconiquement, sans dorures ni brillance ; un simple acquiescement évasif, une confirmation qui remettrait à plus tard les séances de caresses dans le sens du poil. Cependant un parchemin taquina sa curiosité, et son intérêt.

Son interlocuteur, tout aussi poli et mielleux que les autres, l'invitait à le rencontrer dans les plus brefs délais, quand sa condition le permettrait, évidement. Courtois, mais preste, il n'en fallait pas plus pour convaincre Nelrenethys de répondre aussitôt par l'affirmative. Le souvenirs de sa dernière entrevue avec l'auteur de la missive ne s'étaient que trop dissolus dans le sablier du temps, ne se rappelant même pas de la teneur de leurs discours, quelle souveraine indigne faisait-elle ! Ricanant gracieusement de sa propre candeur, elle précisa dans sa réponse écrite les modalités de leur tête à tête à venir, lui proposant de se retrouver dans le Jardin des Glaces de Jernvugge, lieu en constante mutation, qu'il lui plaisait de découvrir et redécouvrir encore. A chacune de ses visites en Ibenholt, Nelrenethys ne pouvait résister à cet appel viscéral, quel miracle qu'une si belle nature, une flore si pure, puisse être conservée et chérie en ces terres si hostiles. Le lendemain après midi, lorsque l'astre soleil culminera à son zénith, sera l'instant parfait pour discuter d'or sonnant et trébuchant, de ça, et puis d'autres.

Nelrenethys était impatience de se rendre au rendez-vous. Elle ne reçu aucune réponse en retour mais savait que la chose avait été acceptée, c'était son genre à lui aussi, de se taire plutôt que de brasser de l'air pour rien, qui ne dit mot consent. L'esprit ailleurs, elle fit venir des musiciens et des acrobates préparant quelques numéros pour l’événement afin qu'ils l'honorent de leur prestation en avant première, faisant profiter l'ensemble de sa suite de ces égards. Au soir le festin fut digne d'une réjouissance royale, de fort bonne humeur, la Reine entreprit de gâter son entourage du mieux qu'elle pouvait, l'ombre qui planait sur sa venue en Ibenholt était en train de s'évaporer, cela méritait une célébration en bonne et due forme. A son réveil le jour suivant, l'ébullition était toujours aussi palpable, et les caméristes aidèrent de bon cœur une Reine des Elfe aux antipodes des attitudes glaciales que l'on murmurait à son sujet. Guillerette, comme une jeune fille, Nelrenethys s'apprêta avec élégance, de façon à paraître la plus à son avantage, lors de sa première sortie officielle. Des heures durant, on la baigna, puis on coiffa ses longs cheveux dorés en une œuvre compliquée, richement ornée, trahissant un besoin d'être remarquable, mais aussi remarquée.

Reprenant goût au fourmillements de la Cité, écoutant le cœur léger ces bruits qui la veille encore l'irritaient, elle traversa les couloirs sans fins, les trop nombreuses salles, qui parsemaient le chemin jusqu'au havre de paix où elle se rendait. Cette visite éclair du château fût plus longue qu'elle ne l'aurait voulu, mais lorsqu'elle arriva sous les arches des galeries du jardin, elle se vu soulagée d'être la première sur place, Nelrenethys détestait être surprise, le genre de chose qui illustre une perte de contrôle.
Il neigeait sur les parties découvertes, les fleurs étaient pour la plupart ensevelies sous une couche immaculée et scintillante. Que c'est beau, toute cette pureté... L'elfe s'approcha d'un rebord ouvragé et entreprit de cueillir un bouton. Le contact de la poudre venue du ciel était pétrifiant, mais empli d'une vigueur nouvelle. Le parfum de la fleur l’entêta un instant, puis elle attendit, le nez entre les pétales.

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........t bien, Nelrenethys en avait oublié des choses, au sujet de ce cher Crendal Flynn, le grand Créantier de tout Middholt. La politesse de l'homme la piqua à vif, ses manières doucereuses, ses compliments délicatement dilués sur le ton anodin de la conversation. Reclus depuis bien trop longtemps dans l'éloignement de ses terres, les règles de la manipulation mentale, les us des entretiens courtois dissimulant des idéaux bien arrêtés, la reine les avait laissé de côté. Mais Crendal ne lui avait que trop vite et bien rappelé les formalités d'usage régissant les interactions des grands de ce monde. Reprenant tout aussi promptement ses idées, rougissant à peine aux éloges de l'Argentier, elle déposa la fleur qui avait déjà commencé à se flétrir. « Je ne vous en veux point, votre heure est la mienne, et votre personne a sûrement plus à faire, il est vrai, avec toutes les préparations d'autres ordres qu'impliquent l'organisation d'un événement aussi fédérateur que la Grande Mascarade. » Lui répondit Nelrenethys en entamant une marche lente, longeant la galerie.

Aussitôt qu'elle se mit à se déplacer Crendal lui emboîta le pas. Il était bien plus agréable de discuter de choses à d'autres tout en profitant d'une promenade revigorante, dans un cadre aussi merveilleux, cela permettait de prendre du recul vis à vis du sérieux des paroles et des sujets abordés, de ne pas perdre de vue l'essence de ce pourquoi chacun défendait ardemment ses intérêts.
« Le voyage jusqu'à votre vénérable Cité m'a parut fort long, et ennuyeux, mais il en va de tous les trajets à vrai dire, les routes de Middholt ne sont pas d'un grand intérêt. Mais les paysages qu'elle bordent … Ils sont stupéfiants, tout comme ce jardin qui, je vous l'avoue, me plaît énormément. Il me rappelle en effet ceux de Sorhelm, bien que la flore y soit différente. Peut-être vous en souvenez-vous ? Des oliviers ancestraux et du chant des insectes, des tournesols qui s'épanouissent comme des soleils. »

Parler de Sorhelm lui rappela à quel point elle lui manquait, chaque seconde, chaque minute loin des Terres de l'Automne, de sa Cité, du Palais du Zénith, et surtout de son peuple chéri, la faisait souffrir, d'un mal intérieur qui la rongeait, et pour lequel elle était pourtant prête à tous les sacrifices. Bien que sa présence eut été un affront délibéré, sa venue en Ibenholt était une preuve de son dévouement ;assurer la visibilité et être la porte-étendard des Elfes Austraux, partout où elle en avait l'occasion. « Je l'admets, Sorhelm est un chef d’œuvre d'architecture et d'aménagement. Je me suis d'ailleurs personnellement investie dans le travail d'urbanisme lors de la construction de la ville, du choix des matériaux aux motifs sculptés sur les colonnes. Les Elfes sont de formidables artistes et artisans, de plus nous disposons des meilleures technologies en la matière, et notre sens du détail et de l'esthétisme pousse nos créations vers la perfection. C'est ce qui nous sépare quelque peu, de vous, hommes, tout comme notre légère différence d'age. »

Malgré la probable rudesse de ces propos, ils n'étaient pas méprisant, le moins du monde. Les elfes s'exprimaient ainsi, la sagesse de leur longévité, l'expérience du monde ainsi acquise leur octroyait, à leur sens, le droit de revendiquer ainsi leur supériorité. Mais tous les hommes n'étaient pas ouverts à une telle condescendance, il fallait côtoyer de nombreux représentants du Beau Peuple pour se faire à l'idée et accepter d'être constamment rappelé à sa condition de mortel. Nelrenethys était particulièrement appliquée à l'exercice, à quoi bon se soucier de ce qui naît pour mourir ?
«  Cependant je serais ravie que vous me fassiez visiter la ville, je ne suis pas venue ici depuis longtemps, et bien qu'ayant la mémoire toujours vive, il m'arrive parfois d'oublier, ou de confondre, emportée dans le flot des responsabilités. En retour, vous êtes évidement le bienvenu en ma demeure, quand vous le souhaitez, votre présence serait un honneur. »
Flatterie pour flatterie, elle ne se priva pas de graisser la patte du plus richissime des hommes que Middholt eut jamais porté. Non pas que son royaume eut besoin de ressources, les Elfes étaient immensément riches, depuis des siècles, mais se mettre à dos celui qui régissait l'influence de ces biens sur tout le continent était loin d'être une brillante intention.

«  Vous parliez d'une affaire ayant retardé votre venue, concernant Sorhelm, qu'en est-il ? Vous avez sûrement eut à faire avec mon argentier personnel, Cyriòn ? Malheureusement il n'a pu m'accompagner ici, c'est à regret que je ne puis vous le présenter. » La confiance que portait Nelrenethys en la gouvernance humaine, de quelconque ordre, avait ses limites, et les affaires commerciales internes de ses terres étaient gérées par son bras droit et favori, officiant de pair avec Crendal concernant l'étendue aux autres monarchies.

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........es mots pouvaient être des armes bien plus tranchantes, douloureuses et infernales que des lames, Crendal venait d'amèrement le prouver à la Reine qui tentait de rester impassible face au cauchemar qui se jouait sous ses yeux. Brillante quant à l'exercice du port d'un masque d'indifférence, il lui fallait cette fois combattre une violente envie de déposer les armes et s'avouer vaincue, vaincue par un homme dont elle ne craignait pas les fourberies. Retenant des larmes de colère, en proie à une panique soudaine, les pupilles dilatées et luisantes, Nelrenethys cachait tous les maux de son âme percée à jour derrière une flegme toute significative de ses origines ancestrales. Le souffle court, elle attrapa tel un rapace fondant sur sa proie, d'un coup de serres bref et violent, la missive que lui tendait le Créancier des Rois. Quelles autres paroles salées allaient-il encore lui verser sur sa plaie désormais ouverte ? Titiller son cou délicat avec la dague invisible mais pourtant palpable la menaçant à l'instant présent ? Il fallait que la reine agisse en souveraine, toute digne du poids de la réponse qu'elle allait apporter à Ser Flynn, qui avait le cours de la partie entre ses longs et méticuleux doigts.

« Ce que vous me dites, mon cher ami, j'en suis consciente depuis mon arrivée dans vos terres. Même à des milles d'Ibenholt, j'ai senti le vent froid de la rancœur souffler sur ma nuque, glacer mon échine et dans cette bise, les avertissements dont vous me faites part présentement. » Lâcha t-elle d'un air las et distant, reprenant de sa superbe. «  J'ai vu nombre de complots, nombre de trahisons, nombre de royautés fondre comme neige au soleil, des dynasties se fracasser au son du glas de la guerre, mais aussi des manigances de chambre et d'alliances secrètes. De toutes les têtes couronnées de Middholt, je suis celle qui connaît le plus les risques qu'un couvre chef serti de pierreries peut amener à son chevet, les dangers du pouvoir et les limites de l'ambition. »

La souveraine ne se voulait pas rassurante, mais quémander la protection d'autrui, il en était hors de question. Cette fosse aux serpents qu'était Ibenholt, elle en avait pleine conscience, mais il était plus futé de plonger de plein gré dans le bassin aux squales plutôt que de s'y faire pousser par accident. Oui la Cité était l'endroit du continent où sa royale personne courrait la plus grande menace, mais tous les acteurs du drame qui prenait son essor à l'aube de la Grande Mascarade, le bal des illusions où tout n'était question de paraître pour mieux poignarder dans le dos, combattaient le même péril, tous étaient sur un même piédestal dans cette arène morbide des monarchies.

«  Pour en revenir à ce qui vous intéresse réellement, sachez que comme vous, je suis une fervente protectrice de l'équilibre de notre continent, de nos terres, toutes nos terres et de leurs biens, qu'ils soient humains, matériels, ou comme vous le préférez, financiers. La guerre est à mon sens une infamie qu'il faut éviter à tout prix, et m'accuser d'un tel acte pourrait être puni d'outrage à Sa Majesté des Elfes, mais je n'en ferais rien. Au fond je vous suis reconnaissante de vous inquiéter de ma situation, et ne vais agir comme toutes ces gens hypocrites que vous côtoyez à longueur de temps en ce Palais. C'est pourquoi je vais être honnête avec vous et vous répondre comme je m'adresserais à un ami, puisque vous l'entendez ainsi. »
Nelrenethys aurait pu paraître soumise à des pulsions sanguines, mais elle affichait un calme olympien, le flot de ses dires coulant comme une rivière apaisée, éclaboussant Crendal de gouttelette emplies de bonne volonté. Les vices des mortels ne savaient toucher en plein cœur l'âme bien trop pure du Beau Peuple, dans les moments les plus critiques, ils savaient conserver la prestance de leur nature glorieuse et bienfaitrice.

« Cela serait mentir que de ne pas confirmer vos pensées ; Oui, oui je défends ardemment la cause des Elfes, de tout mon peuple, qu'il soit Austral ou Nordique, leurs intérêts sont les miens, leur destinée et leur protection est un fardeau que j'accepte de bon cœur.
Ma venue ici est cependant toute dévouée aux prérogatives de la gouvernance, il eût été malvenu de ne pas marquer de ma présence un événement aussi notable que la Mascarade. Vous qui craigniez la guerre, effectivement, aussi futiles soient les festivités des hautes sphères, les frous-frous, les petits fours, les valses innocentes au son d'instruments d'ailleurs, ils sont aussi utiles pour l'équilibre des royaumes que les parties d'échecs ou chaque stratège se démarque de ses adversaires en prenant plusieurs coups d'avance. Commettre l'affront de ne pas me présenter en la demeure de Sa Majesté Jorkell Ravncrone ? Jamais je n'oserai, les conséquences n'en seraient que trop désastreuses. Ibenholt m’accueille afin de répondre à ces autres facettes de l'exercice politique, plus distrayant, il est vrai, et c'est bien quelque chose dont tous nous avons besoin en ces temps où chacun conspire contre son voisin de table ou partenaire de danse. »

Qu'elle ai convaincu son interlocuteur ou non, elle s'en fichait. Elle n'avait rien à cacher, du moins, rien concernant sa présence en Ibenholt. Et si ce motif était clair pour elle, la reine s'autorisait la possibilité de penser que pour autrui il en était autrement. Ah les hommes, leur langue si pendue, si prompte à déverser un flot d'inepties et de mensonges tous plus saugrenus les uns que les autres, cela les perdrait, définitivement. Les sueurs froides qui ruisselaient dans ses corsages quelques minutes plus tôt avaient disparu, n'ayant peut-être jamais existé. La vision de la lettre entre ses phalanges moites lui rappela de quoi elle avait eu véritablement peur, un frisson lui remonta le long du dos.

« Vous n'êtes pas mon ennemi, ni mon adversaire, Crendal. J'accepterai votre aide. » Lui murmura Nelrenethys, avec les mots d'une amie et le ton d'une Reine.