Utgard, cavernes obscures et réseaux souterrains taillés dans le flanc des abruptes falaises glacées d’Endhelstein. Le froid est mordant. Vorace. Le vent impitoyable souffle sur les plaines gelées dans une complainte d’outre tombe qui pétrifie les chairs des inconscients terrorisés. Sur la blancheur immaculée se détachent les quelques frêles silhouettes couvertes d’imposantes fourrures qui évoluent en luttant contre les bourrasques cinglantes qui ne tendent qu’à les faire vaciller. L’homme qui est à leur tête est massif, fronçant ses sourcils broussailleux couverts par le givre avant de désigner d’un doigt ganté de cuir épais le mont sinistre aux aspérités escarpées qui se dresse face à eux. Ce ne sont que des enfants de dix ans, rangés en grappe derrière leur meneur, une crainte latente s’imprégnant de leur visage pourtant ciselé dans la témérité. L’initiation des guerriers émérites commence toujours ici - dans cette grotte peuplée de loups aux griffes acérées, surmontée par l’œil vif et cruel de Loktis, figure emblématique de la guerre du peuple Skaald. Les hommes du clan n’hésitent guère à soumettre les combattants en devenir au jugement du Loup primordial et les règles sont très simples. Il leur faut gagner le respect de la meute de carnassiers, passer une nuit dans ces grottes et y survivre, tout simplement. La peur est un sentiment viscéral qui nourrit leur bravoure car c’est ainsi que les Skaalds vivent - au goût du danger qui sustente la gloire.

Une volute de brume s’échappe des lèvres fendues de la gamine au crin sombre qui dégage le corps encore tiède de la bête qui la drape de sa pesanteur. L’odeur du sang, de l’urine et de la mort plane dans la froideur exigüe de ce huis clos. Maculée de crasse et de carmin qui laisse sur ses papilles un goût si âpre, Sigrid se redresse lentement, les quelques rayons du soleil s’immisçant entre les fêlures du rocher d’envergure qui bloque tout accès vers l’extérieur. Quelques gémissements intempestifs grondent dans les dédales de la caverne dont le sol poussiéreux est jonché de vieux ossements. Mais les chétives silhouettes humaines se redressent une à une - une poignée seulement en comparaison à leur nombre initial. Loktis a jugé, Loktis a tranché. Le roulis familier des pierres qu’on extirpe se fait entendre et tous se dirigent vers l’astre incandescent qui se révèle brusquement aux yeux injectés de sang. Accueillis par la gueule balafrée du Skaald qui les a accompagné la veille, les survivants sont vainqueurs et promis à de glorieux faits d’armes. La nouvelle génération vient d’enfanter ses propres guerriers.




L’homme gravit les quelques marches de pierres froides avant de repousser la fourrure qui drape l’entrée de la pièce baignée par la lueur des bougies et l’âtre imposant qui brûle en son centre. La cavité souterraine est spacieuse et accueille tous les membres du clan réunis autour d’un roc rectangulaire parsemés d’écuelles de viande fumée. Tous relèvent les yeux sur l’individu, la dépouille pesante d’un loup colossal reposant contre son rachis. Sigrid essuie son menton tâché de graisse avant de rouler ses prunelles vers ses comparses - eux, les guerriers du clan, dont la gueule est peinturée de bandes charbonneuses. Svadir se tient droit, son regard de glace embrassant chacun des visages avant de faire choir le cadavre à ses pieds. « Peuple Skaald ! Les loups se meurent, signe que leur puissance décline. » Conclue-t-il sur un timbre rauque. « La vérité, c’est que Loktis n’est plus qu’un mirage tremblant devant un nouvel ennemi. La créature est puissante - mon Corbeau l’a prédit. Le dragon des glaces Jormungar souffle sur ces plaines et nous avertit de sa présence. Nous devons l’écouter. Nous devons... Le vénérer. » Derrière la silhouette massive du guerrier, se détache le galbe longiligne d’une femme aux yeux aussi sombres qu’une mer d’encre. Les Corbeaux, à l’image de leur idole, sont des Skaalds emplis de sagesse, jouissant d’un don mystique de clairvoyance qui leur permette d’entrevoir le futur. Les différents protagonistes échangent bon nombre de regards, interloqués par l’annonce impromptue du combattant, puis le chef redresse l’échine, faisant craquer son ossature dans un rictus mauvais. « Blasphème ! Comment oses-tu remettre en question l’hégémonie du Loup Primordial ?! » Eructe-t-il avec virulence. « Ton Corbeau devrait lever l’pied sur la boisson... Ou peut-être préfèrerait-elle finir dans la grotte aux loups pour que l’on puisse vérifier ses dires ? » Une grimace menaçante se dépeint sur le faciès du mâle alpha alors qu’il toise d’un œil impérieux la femme drapée d’un plumage d’ébène. Le vieux sage assis aux côtés du chef, flanqué du même genre d’atour que la prophétesse se lève à son tour pour prononcer sur un ton grave mais dénué d’hostilité. « Sous-entends-tu que nous devons plier l’échine face à la menace ? Nous ranger aux côtés d’un emblème dont on ignore tout de l’existence ? Nous sommes des Skaalds, notre parole est notre salut, notre combat est éternel. Jamais nous ne trahirons le Loup Primordial - surtout en mouillant nos chausses face à une créature chimérique avortée de l’esprit d’une folle. » Le temps semble se suspendre dans un soupir étranglé. Le clan vient de se scinder et les croyances s’effondrent.  




Les voilà meurtris par le froid, portant leur carcasse à travers les plaines désertiques de givre. Ils ne restent qu’eux, une poignée d’hommes - cinq Skaalds dépossédés de leur clan. Jormungar a corrompu les esprits et le massacre a éclaté à Utgard. Les loups ont été brûlés, leur honneur sali et leur parole bafouée. Les traîtres clament dorénavant haut et fort le nom du dragon de glace et Loktis n’a plus que ces cinq là pour espérer voir son culte persévérer à travers les âges. Le vieux Corbeau leur a pourtant prédit que le combat n’est pas terminé. Qu’une terre bien plus au sud saurait saluer la venue des survivants de la meute et qu’ils pourraient rallier beaucoup d’hommes à leur cause. Pour punir les traîtres, brûler Jormungar et reprendre Utgard. La bande de guerriers s’est éclipsée durant le plus sanglant des combats, alors que le vieil homme les a supplié de fuir pour préserver leurs croyances.
Ils marchent donc vers le sud, découvrant ainsi les frontières de toute civilisation. Bande de sauvages errants qui ne se gênent pas pour subvenir à leurs besoins par des moyens primitifs et dénués de diplomatie.    
     


   

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