5E 322

« Vous ne m'avez jamais préparé à cela. »
L'accusation tomba, fendit l'air avec tranchant alors que l'assemblée se tut timidement. Les paumes sur sa taille de guêpe, sa chevelure ambrée cascadant sur ses frêles épaules, elle ressemblait à une biche dont les yeux de loup suffisaient à imposer le silence absolu. Siobhàn soupira avec humeur, renonçant finalement à toute idée de s'asseoir sur la chaise qui lui était destiné à l’extrémité de la lourde table en acajou. On connaissait de cette jouvencelle, à l'allure pourtant doux et fragile, un tempérament impulsif et prompt à l'outrance. Ainsi d'aucun n'osait prendre la parole sans que la jeune effarouchée n'en donne son consentement. « Dix-sept ans. Dix-sept ans à me narguer le trône de mon oncle avec amusement -et maintenant, vous voulez m'y asseoir dessus ? » Le serpent de la colère s'agite dans son regard, elle dévisage un par un les membres de ce conseil restreint, puis tourne les talons, faisant mine de quitter la pièce. Seule l'intervention suicidaire d'un vieillard semble retenir la bête. « Votre Oncle, le Seigneur Sévérick, est mort. Vous n'êtes pas sans savoir que son seul héritier, votre cousin Maric, s'est vu retiré tous ses titres et banni de Ravenhole. Vous êtes la seule et l'unique héritière légitime des Goldenhorn. » La dite héritière fit volte-face, contempla le mestre avec hargne, peu amusée de toute cette mascarade, et pointa les portes fermées de la pièce comme pour désigner un être qui s'en tenait derrière. « Vous oubliez Willem. Tout ceci lui revient de droit. » Il y eut un hoquet de stupeur, puis les murmures s'élevèrent vers les voûtes, scandalisées. Sur les visages plissés de vieillesse, on pouvait clairement lire les protestations. « Mais c'est un bâtard, » entendit-on faiblement, et mille lances n'auraient pas été plus tranchants que le regard de Siobhàn à ce moment. Ses yeux, désormais d'un gris de fumé, déshabilla l'âme du malheureux qui du simple poids de son regard plia l'échine. « Prudence, vieillard, lorsque vous parlez de mon cousin. Son sang est mon sang et c'est moi que vous offensez quand vous vous permettez de l'injurier. » On entendit l'assemblée entière déglutir. Siobhàn Goldenhorn condamna des hommes pour bien moins. Cependant, malgré cette atmosphère de mort, le mestre insista davantage. « Quand bien même ne l'était-il pas, sachez que votre cousin a manifesté son désintérêt vis-à-vis de la couronne ; il n'en veut pas, même sachant qu'il n'y a pas accès. » Elle fulminai littéralement. Toute la vie, on l'avait élevé en sachant fortement qu'en tant que nièce du Dirigeant des Goldenhorn, elle n'aurait jamais accès au pouvoir, ce dernier revenant aux enfants de son oncle, et en grandissant elle s'était fait à l'idée. Son éducation n'avait jamais été celle d'une future meneuse ; comment allait-elle faire en ces temps où la tête des reines et des patriarches tombaient comme des mouches au sol ?

« Je n'en veux pas, » lâcha-t-elle finalement. L'indignation envahit la pièce, suivit de près par des exclamations paniqués. Le mestre, nullement décontenancé, se leva sans se presser. « Très bien, mais sachez que cela n'arrêtera pas là ; votre refus ne donne place à aucun autre héritier légitime, et certains de vos hommes s'opposeront sans merci pour obtenir cette couronne délaissée. C'est votre famille, votre héritage entier, qui sera le théâtre d'une lutte sans merci pour le pouvoir. Vous êtes la seule à pouvoir empêcher cela. » - « Et s'ils s'opposaient à moi ? » Ultimatum dangereux. Le mestre eut un léger sourire, visiblement conscient qu'il venait de gagner. « Ils essaieront, croyez-moi ; peu d'hommes suivent aveuglément un meneur qui n'a pas démontré ses preuves. Il faudra leur prouver que vous êtes digne de porter cette couronne. » Silence. La jeune femme médita cette réponse un instant, puis, pleine d'aplomb, se dirigea vers la sortie.

« Où allez-vous ? » - « Présenter mes honneurs et prêter allégeance à Jorkell Ravncrone. Je vais leur montrer que je n'ai besoin ni de courbettes ni de cérémonies inutiles, et qu'une femme ainsi libérée de toutes convenances est bien plus à craindre que le plus belliqueux de tous les Dragons. »


5E 931

« Que fait-on, maintenant ? » S'enquit Willem d'une voix sardonique. Plus bas, sous le balcon donnant une vue imprenable sur Ibenholt, les cloches du couronnement du Roi Jorkell résonnaient partout dans la capitale, alors que défilaient dans les rues des adeptes brandissant l'étendard du Corbeau. Tapis dans l'ombre, spectateur de toute cette folie, Siobhàn restait silencieuse. Désormais, pensait-elle, tout allait changer.

« On observe, et on attend, » murmura-t-elle d'une voix emportée par le vent. « Tout du moins, pour l'instant. »

Félicitations, très cher pion, et bienvenue sur l'échiquier de Frostfall. Gare à toi, parce qu'ici, la félonie est un plat qu'on sert à toutes les sauces...

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