La poussière m'étouffe, mes yeux ne voient qu'une forme si lointaine et à la fois si proche, quant à mes vêtements, je n'ose imaginer l'état déplorable dans lequel ils sont. Abordant une moue dépitée, mes mains se glissent un peu plus dans le sol alors que je laisse tomber ma tête en arrière. Doucement, je tente de reprendre ma respiration saccadée par ce combat sans but, sans tête, sans rien de bien grand. J'entends le ricanement d'Ardtan briser mon espoir de le battre un jour, de nous deux, je suis le plus grand, l'ainé, je suis censé ne lui laisser aucun répit, poser mon pied sur son dos et me vanter sans relâche de cette victoire. Rien n'y fait. Bien que j'arrive à me défendre, sa force est toute autre, tout comme sa capacité à me faire perdre mes sens. Papillonnant des cils, j'arrive à de plus en plus discerner cette fierté qui s'installe dans ses yeux, debout, fier comme un chevalier ayant mené la bataille de son existence, il a planté cette ridicule épée faite de bois. « Tu es ridicule ainsi mon frère. » Peut-être est-ce une certaine jalousie qui parle à ma place, une légère rancune face à ce cadet qui a droit à bien des honneurs. J'imagine déjà le visage de notre père, à fixer son plus jeune un sourire aux lèvres, quant à l'aîné ? Je ne correspond pas plus à ses attentes, j'aime à croire que je ne suis pas un aussi grand fardeau, qu'à mon tour je peux faire mes preuves, non pas avec une envie irrévocable de voir des corps tomber, mais de reprendre tout son savoir, et celui de mère à la fois. Fronçant un peu les sourcils, je vois la main d'Ardtan tendue dans les airs, je préfère la détailler sous tout ses angles d'un air béat. Nous avons le même corps, la même taille, mais nos esprits divaguent vers des chemins différents, si moi je me considère tel un être équivalent à un autre, il se butte à se dire qu'il vaut mieux. Tout comme père. Au moins, ils se complètent, se trouvent l'un dans l'autre, ce que je n'ai jamais pu lui offrir. « Je me demande qui l'est vraiment en ce moment même, celui qui sort vainqueur ou celui qui avale la terre ? » Soupirant, j'attrape sa poigne mélangeant l'enfant et l'adulte, l'aîné et le cadet. Alors redressé, je passe une main fébrile dans mes cheveux, sans gêne, j'ajoute à sa question inutile. « Tu parles beaucoup pour un guerrier, la réflexion ne te sied certainement pas. » Une petite frappe collée sur l'arrière de ma tête me rappelle que peu importe la situation, il se croira au dessus d'un monde qui ne lui appartient pas. « Et pourtant Lyel, que je sache, je suis plus à même de combler père que toi. » Il enfonce son doigt dans une plaie béante, qui faute de ne pas avoir encore assez saigné, dégouline encore plus et me pousse à grimacer, mes traits se déforment alors que sèchement je marmonne. « Ton orgueil te perdra, je ne veux même pas savoir pourquoi tu as le droit à tant d'honneurs de sa part. » Inspirant longuement l'air frais, je me prépare à lui tourner dos, repartir dans notre habitation et faire abstraction de cette dispute, qui à ne pas en douter, ne devrait même pas avoir lieu d'être. « Oh si, tu le souhaites bien plus que n'importe qui ! Toi qui cherches à comprendre, toi qui passes ton temps le nez plongé dans des vieux ouvrages, qui sait tout du bout des doigts, tu ne comprends pas pourquoi je lui plais autant. Ceci te ronge, il faudrait être aveugle pour ne pas le voir. » Mes poings se serrent, je déglutis. Rester calme en toutes circonstances, ce que mère me répète sans cesse, alors qu'elle n'est qu'une simple humaine, elle a bien plus de principes que le second enfant qu'elle a engendré et que son époux. « Alors ? » « ...alors ? » « J'attends. » Un silence que même le vent ne veut pas à briser, une seconde, une minute, une petite éternité.  « A ce propos, ne lésine pas sur les compliments. Il faut après tout, que je comprenne à quel point tu es parfait, ô grand Ardtan. » Je me retourne d'un mouvement de jambe, pour appuyer mes mots une révérence plus que risible, sans même le regarder, je peux imaginer sa peau changer de couleur, de diaphane à rouge sang, de l'amusement à la colère. Il ne serait guère étonnant que je me retrouve encore une fois sur le sol, le nez dégoulinant d'un liquide écarlate, je cherche à mon tour, je frappe dans ce qui peut être douloureux. La perfection n'est mienne, ni sienne, si père croit l'avoir, je pense qu'il suppose l'avoir donné à un de ses fils, si par quelconque évènement qui m'échappe j'ai perdu ce pétillement qu'il avait dans son regard pour moi, aujourd'hui il n'y en a plus que pour celui du second né. Assez amusant en sachant que je devrais avoir un lourd devoir sur mes épaules, s'il m'était cousu dans la peau à la naissance, il m'a été vivement arraché, comme un animal dont on aime se débarrasser. Je trouve tant bien que mal du refuge là où je peux tendre les bras, vers une mère qui ne prône pas une immortalité mais une acceptation de tout ceux qui voudront bien lui offrir un sourire. Non je ne suis rien qu'une tâche sur son oeuvre, une petite chose, un petit détail qui ne va pas, pas assez bien, pas assez tout. Pas assez Ardtan.  « Mes félicitations, tu as répondu tout seul à ta propre bêtise. » Sourire carnassier, bête rapace en manque de chair fraîche, je ne lui adresse rien, pas même un haussement de sourcils dédaigneux, pas même une énième parole. Ardtan sait se battre, comprend facilement bien que moins adorateur de livres que moi, Ardtan est plus grand, sa musculature est plus conséquente, comme ses yeux qui voient la plus petite bête au sol. Je pense avoir reçu bien plus de notre mère, cette partie trop humaine qui à la fois m'empêche d'avancer tout en me rapprochant de ces êtres que bien des elfes considèrent comme ratés. Des erreurs. Des amertumes au fond d'une gorge peu habituée à tant d'horreur. Ils sont là pourtant, les hommes, depuis toujours, la nuit des temps, à quoi bon vouloir clore nos paupières ? Si nous nous prônons êtres de savoir, pourquoi nous placer dans une position qui nous fera haïr ? Je ne veux pas être, même si j'existe à ma manière, je ne veux pas me nommer, parce que ceci équivaudrait à me comporter comme telle ou telle bête. Je ne suis pas. Pas plus qu'Ardtan qui pense avoir un sang royal des grands et mirobolants elfes du sud. Il pue le sang froid du nord, qu'il le veuille ou non. « Au moins ma futilité a le mérite de me faire ouvrir les yeux. » Ne plus se retourner. Après tout, il n'y a plus de nous, rien que du je qui se glisse entre nos deux pensées. Elles changent, dansent autour d'un feu, ombre parmi les ombres, je m'amuse à me perdre dans les méandres d'un présent qui n'est pas mien.


Je n'y arrive pas. Au moins, c'est un fait que je ne peux dénigrer. Je n'y arrive pas, encore une fois. Les bras posées sur la table en bois, une lumière plus que conséquente traverse les vitraux de la salle, révélant toute la poussière qu'elle dissimule. Haussant un sourcil dépité, je laisse avec nonchalance ma tête tomber entre mes mains. Comme si comprendre ne m'était plus possible, comme si les mots se mélangeaient et ne menaient qu'à un ignoble miasme dégoulinant de mauvaise volonté. Père a tenu que je parte loin, qu'à mon tour je fasse mes preuves. Ardtan du côté des armes, quant à moi ? Le savoir m'empoisonne comme il peut me sauver d'une possible mort. L'argent est tombée, un cheval est arrivé et dans tout ceci un voyage plus fatigant qu'intéressant. A Sorhelm il n'y a jamais une goutte de pluie, ni un nuage menaçant de tomber sur nos têtes, elle correspond à la paix mais peut aussi cacher une quelconque guerre, trop de calme vient toujours à poser un grand doute. Arborant un sourire amusé, les instruments sous mes yeux ricanent, se moquent de moi au possible sans que je n'ai aucune rancune envers eux. Selon mon maître, même au début, il faut que je me retrouve parfois seul face à mon destin, celui d'un alchimiste, d'une personne qui inspirera l'incertitude autant qu'une fascination déconcertante. J'aurais pu me diriger vers les plantes, me faire apothicaire et soigner la populace malade jusqu'aux tripes. Rien n'y a fait, comme attiré vers ce monde aux recoins sombres c'est au coeur des ténèbres que l'on peut rencontrer ses congénères, là où pouvoir et érudition ne font qu'un. « A ce que je vois Lyel, tu travailles durement à la tâche. » uc.

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