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 Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora)

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Dralvur Snowhelm

Ours cendré d'Ibenholt

Dralvur Snowhelm
Ours cendré d'Ibenholt
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ARRIVÉE : 29/03/2014
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MessageSujet: Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora)   Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora) EmptyDim 1 Juin - 4:58

Fiche © Quantum Mechanics


Le passé pèse sur le présent
comme le cadavre d'un géant.
jora & dralvur
– QUATORZE ANS AUPARAVANT –

Redcliff, entrailles du Solvkant, calcinait l’aurore grimpante de sa pierre rougie. C’était comme de voir, sous chaque caresse de l’astre levant, une lame de fond écarlate se dresser haut dans l’horizon escarpé et, dans un silence matutinal, ronfler d’un prestigieux orgueil sous son revêtement immémorial. Mais il n’y avait pas que les atours de la forteresse Snowhelm qui fourmillait tel moire, car en son sein s’agitaient la maisonnée. L’on recevait, aujourd’hui, et même si le convive était coutumier de pareilles visites, la suzeraine du castel faisait montre, comme à son habitude, d’un fastueux zèle. « Par les Quatre, le roi viendrait-il se sustenter à notre tablée que l’on ne m’aurait rien dit ? » Le phonème rocailleux tonna dans le séjour en une volée badine, tirant chez l’épouse un rire cristallin qui, de si bon matin, égayait fissa l’humeur ronchonne du seigneur l’Ours. Tout autour s’agitaient en effet valets, servantes, cuisinières, et, il crut même percevoir, dans ce pullulement, les silhouettes de quelques ensembliers. Attablé devant pitance, il guignait les allées-et-venues de ses deux onyx éberlués, avalant sa collation sans quitter le panorama populeux des yeux. « Paix mon seigneur ! Laissez-moi donc savourer cette venue comme il m’en convient. Nous festoyons si peu en ce lieu que la moindre audience devient pour moi jubilé. » Léanalda aimait son mari, mais en s’unissant à l’héritier Snowhelm, elle s’était aussi unie au patrimoine austère de l’illustre dynastie. Dralvur n’aimait guère ouvrir son fortin incarnat que pour banqueter en de rares occasions, reléguant aux oubliettes les simagrées nobiliaires que l’Ebonmere affectionnait pourtant. « Ha ! Hulgard. Festoyer. » Il eut un rire tonitruant, comme si, assemblés, ces deux mots n’étaient qu'incongruité. Avalant le nectar de fruit gisant dans sa coupe, il signa à la négative en sourcillant derrière ses globes qui roulaient. « Ma foi oui. Et si votre bon vieil ami ne daigne estimer pareils efforts, je suis sûre que son adorable enfant saura apprécier ce raffinement », glosa la venus au crin de jais – remarquablement coiffé, constata à retard le lord –, une risette tant altière que matoise ourlant sa pulpe de carmin. Il déracina le calice de ses fines lippes, manquant faire goutter son poiré à même la broussaille de sa barbe. « Il vient avec Jora ? » Le seigneur attendit confirmation. « Mais ne lui avez-vous pas dit— ! » La madone, dans une soierie cobalt, et après avoir réajusté un bouquet passant d’aventure dans les bras d’un domestique, coupa le verbe de l’Ours comme géminée à son encéphale. « Que les garçons étaient chez leurs grands-parents. Bien évidemment. Mais vous connaissez ses préceptes… je crois qu’il préfère brinquebaler ce pauvre ange dans le giron de sa cuirasse plutôt que la laisser aux mains de la solitude. » Léanalda n’était que finesse, autant par son galbe que par ses allusions, mais l’habileté rhétorique manquait parfois trop à son époux. « Peste soient ses tourments ! », rauqua Snowhelm, reposant durement sa coupe et levant son séant de la lourde chaise en bois de chêne. « Mais vous adorez cette perle mon seigneur ! Quels sont ces mugissements que vous me faites là ? » Il balaya l’air d’une immense paluche, contrariant plus encore le portrait d’opale qu’était la sylphide. Fort peu étaient les femmes à savoir dompter un ours de cette lignée, mais la belle, admirablement, y était parvenue au fil des saisons, puis des années, et pour encore longtemps, l’espérait-elle. « Allons mon amour, je vous sais inquiet pour Jora. » La lady arrima sa fine dextre à la haute épaule qui lui faisait maintenant face, et la houle du colosse, déjà, se rassérénait face au rivage quiet des ridules féminines. « Il la cahote de toutes parts à chacune de ses pérégrinations, et lorsqu’il n’en fait guère, c’est cloitrée qu’il la laisse. Ce n’est pas une vie pour une enfant de six ans. » Lénalada effleura les saillies rêches du faciès qu’elle écoutait comme elle se serait abreuvée à quelque fontaine de jouvence. Elle regardait son lord comme tout homme aurait aimé être observé. « Eh bien faisons en sorte qu’elle passe un agréable moment en notre compagnie. Qu’elle puisse, à défaut d’une famille, se construire un cénacle d’affection. » Les laquais ne cessaient de faire bruire leurs enjambées tout autour d’eux, empêchant au fier Ours la coulée de tendresse qu’il aurait souhaité sceller sur les lèvres de sa femme. Austère et décent, songea la gracieuse, fardant un sourire qui transcenda ses gemmes émeraude. « Faisons donc cela », obtempéra la montagne, faisant cingler sur ses pinacles un aquilon de douceur.

♆ ♆ ♆ ♆

Trois heures s’étaient écoulées depuis le conciliabule matineux. Redcliff était fin prêt à accueillir la Main et ses gens mais une anicroche des plus cocasse retenait le seigneur dans les écuries. Le palefrenier, contrit, se perdait en un flot d’éclaircissements qui ne faisait que plus encore abasourdir le crâne du maître. L’une des neuf nouvelles pouliches du haras s’était vraisemblablement échappée à la tombée de la nuit, tarabustant les lads de garde jusqu’à l’aube en chevauchant dans le fief à la recherche de l’animal. Mais nulle trace n’avait été décelée, faisant naître parmi les garçons d’écurie un effroi mené de crescendo au fur et à mesure que les grains s’écoulaient, avant de se décider, enfin, à prévenir le palefrenier en chef. Si le patriarche signait ses actes de bonne-foi et bienveillance envers ses asservis, il valait effectivement mieux craindre son courroux martial. « Qu’on me selle la jument », trancha-t-il d’un ton roide, dardant les hères s’aplatissant derrière l’intendant équin d’un œil noir. « Les griefs seront pour plus tard. » Il s’agissait là d’un serment. L’on s’agita alors pour apprêter le destrier à la robe d’un gris pommelé, la mère de ladite pouliche, et Dralvur partit attendre au dehors pour inhaler cette lampée d’air frais qu’il espérait lénifiante. Mais plus loin, dans la cour, se présentait déjà le cortège Ebonhand. « Mordiable ! » Tout s’agençait si mal qu’il crut à une farce divine et, subito, l’un des lads lui mena sa monture. « Voici messire », annonça le garçon d’une voix fluette, échine courbée comme un chien battu et détalant vite en marche arrière. L’Ours gronda d’exaspération, puis grimpa la jument et talonna en douceur pour rejoindre les invités. A hauteur du carrosse d’où s’extirpait à peine la Main, Snowhelm héla avec voix. « Sitôt arrivés que je vous quitte déjà. Mais ne vois là aucune retraite Hulgard, tu ne te débarrasseras pas de moi aussi prestement ! » Une risette naquit en fond de fâcherie, puis il gauchit la nuque vers Léanalda. « Une pouliche est parvenue par je-ne-sais-quel-malheur à fuir de son étable. » La tanagra fronça des sourcils, consternée autant par l’embarras que le choix fait de son mari à quitter leurs hôtes pour quelque hasardeuse battue. Lisant autant chez l’Ebonmere que dans un livre ouvert, le lord rajouta. « Nul autre qu’un Ours ne connaît mieux ce territoire ma dame. J’aurai tôt fait de retrouver la trace de cette coquine, vous n’aurez pas même à supporter les assommantes historiettes de notre cher convive. » Il eut droit à l’incendie marital dans les prunelles de l’une, et les quolibets fraternels de la bouche de l’autre. Des deux, il préféra porter attention à son vieil ami, faisant fi de la colère féminine qui retomberait bien assez tôt sur ses épaules. Mais dans cette douteuse vaudeville fleurit une cascade flavescente que le soleil rendit plus encore éblouissante. A dire vrai, Jora n’avait jamais été blonde. La lune même semblait avoir déposé sur sa toison de la poussière céleste. Elle sortait son minois juvénile de derrière les lourds pans de rideaux, furetant le décor d’un museau rosi par la fraîcheur. Dralvur eut enfin un vrai sourire. « Ahh ! La voici donc ! » Comme l’aurait fait un oncle gâteux, il mira la nymphette de l'exacte manière que ses calots auraient scruté un trésor, oubliant presque sa chasse pour laquelle il avait été prêt à abandonner toute bienséance. Les sabots de son destrier claquant sur les dalles le rappelèrent pourtant bien vite à ses méandres.

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Jora Ebonhand

Perle de Nacre

Jora Ebonhand
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MessageSujet: Re: Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora)   Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora) EmptyDim 1 Juin - 18:27



L
'aquilon psalmodiait un sinistre cantique, cherchant vainement à rappeler à l'Homme que de toutes les puissances de leur macrocosme, la Nature était la plus redoutable, bien moins domptable que ne semblaient le croire ces créatures impérialistes qui en viciaient la vénusté, une beauté infiniment plus immémoriale qu'elles ne l'étaient. Aux tympans ingénus qui écoutaient la mélopée, les froids susurres éoliens étaient les murmures indistincts des figures déifiées qu'ils imploraient dans leur foi quadrigamie. Une chanson inintelligible qui défiait l'intellect humain, et Jora en était persuadée, les animaux devaient eux en comprendre les vers. Elle n'était ni un chiot, ni un oisillon, mais fille de dignitaire qui voulait surmonter l'embûche de l'entendement pour ouïr le message des dieux. Sinon, à quoi bon faire souffler et siffler la bise, si ce n'était pour communiquer entre deux mondes aux lisières immatérielles ? La belle enfant, forte de son imagination féconde, conglomérait oreille et menottes sur la paroi qui la séparait du dehors, ignorant le tapage des sabots sur la rocaille et les éclats de voix cycliques de la grande escorte pour se concentrer sur le vent septentrional. Le bruissement d'une page qui se tourne fit biaiser ses mirettes sur la seule autre personne présente dans la voiture, qui avait pris soin de s'entourer de divers documents et petits opuscules pour occuper son temps de façon fructueuse. Le mutisme presque formel déroba un soupir inaudible à la damoiselle dont l'échine épousa son siège, et elle contempla le seigneur consciencieux établir la liaison entre deux lettres, avec toujours ce même tic de ne contracter qu'un côté de son faciès lorsqu'il découvrait un élément nouveau. « Père ? » Il ne releva pas même le chef, ni n'arrêta sa lecture – mais il l'écoutait. « Sommes-nous bientôt arrivés ? » L'interrogation réussit l'improbable en arrachant le zélé à son travail, qui posa sur l'impatiente une oeillade dubitative. « Ce n'est point la première fois que nous nous rendons à Redcliff Jora, tu sais parfaitement que nous en sommes encore loin. » Le minois angélique se baissa avec une moue chagrine, autant navré de l'absurdité de sa question que de constater que sa tentative tacite d'entamer la conversation venait de lamentablement échouer. Trop subtil, peut-être, ou pas assez, dans tous les cas, les lippes juvéniles se scellèrent dans un silence bienséant pour ne plus importuner le noble pater. Toutefois, celui-ci ne retourna pas à sa besogne, et remarqua bien évidemment que quelque chose mécontentait sa nymphette.

« Que se passe t-il ? Je m'ennuie. » Elle mira le textile opaque qui leur camouflait l'extérieur autant qu'il les camouflait de l'extérieur. « J'aimerais aller jouer dans la neige. Il n'est pas question que tu ailles attraper la mort en te vautrant sur le sol, tu n'es ni un porcelet ni un manant... un beau pléonasme. » Cette fois, les prunelles azurées se posèrent dans celles smaragdines qui lui faisaient face, elle ne comprenait pas toujours le vocable dont il pouvait faire usage, mais au vu de la tonalité empruntée, elle était certaine que ce n'était pas un compliment. Ni pour le porcelet, ni pour le manant. « Jedath et Leogran ne sont pas là... N'es-tu pas contente à l'idée de voir lord Dralvur et lady Léanalda ? Si ! Si bien sûr, je le suis. Tant mieux, car tu risques de les coudoyer un moment. » Devant la mine inquisitrice enfantée par sa tirade, la Main se rehaussa quelque peu et reprit d'un phonème qui ne souffrait d'aucune irrésolution. « Certaines coercitions me contraignent à m'éloigner de toi, je suis appelé à être fort embesogné pour la lunaison à venir, il se peut même qu'il me faille pérégriner hors d'Ibenholt. C'est pour cette raison que je te mène à la tanière de l'Ours, n'y a pas meilleur refuge que je connaisse. Je ne voudrais pas les embêter... N'aie crainte, m'est d'avis que Dralvur sera ravi de cette perspective. Il ne sait pas encore ? Disons... que je ne l'ai pas informé de tous les détails de notre visite. Mais il acceptera, en tant qu'ami... et en tant que vassal. Je n'en doute pas. » La propension péremptoire qu'avait Hulgard à imposer sa volonté n'épargnait pas même ses plus proches comparses, surtout lorsque ladite exigence revêtait des allures de privilège, car fort peu étaient ceux autorisés à approcher son unique héritière, et encore bien moins ceux à qui il la confiait. C'était un gage de confiance plus que d'autorité, et les Ours pouvaient se targuer en être les seuls bénéficiaires. La main du père s'apposa sur celle de la fille, avec une tendresse qu'il ne réservait qu'à elle. « Outre le fait que Redcliff soit sûr et excentré, j'ai pensé que tu apprécierais davantage la compagnie des Snowhelm que celle usuelle de tes gouvernantes. Ai-je mal fait ? Non, je les aime beaucoup, c'est juste que... si j'avais su que je partais longtemps, j'aurais embrassé Irinwe un peu plus fort. Peut-être ont-il des oreilles pointues qui oeuvrent dans leur fief, tu n'auras qu'à jeter ton dévolu sur l'une d'entre elles auquel cas, et la rebaptiser Irinwe si cela te sied. »

La curieuse réplique laissa la fillette pantoise, tandis que le lord se replongeait enfin dans sa paperasse. Il n'avait jamais apprécié la préceptrice à sa juste valeur, qu'il considérait n'être qu'un caprice de feue son épouse, et de façon plus générale, il nourrissait une aversion viscérale pour les elfes, qu'il savait habilement cacher.



Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora) 759759sep


Les heures avaient avalé les kilomètres, et enfin, le plus haut gradé parmi les gardes leur avait annoncé qu'ils approchaient du bastion pourprin. Une auguste demeure qui avait toujours inspiré une certaine déférence à une Jora qui se languissait d'amarrer à bon port.  Les dernières coudées de l'innommable pente furent laborieuses, puis, elle osa pousser les rideaux pour apercevoir l'une des somptueuses et tout aussi terrifiantes gargouilles posaient en faction à l'entrée du château plurimillénaire. Elles étaient la première chose qu'elle voyait en arrivant et la dernière en partant, symboles éloquents des habitants qui vivaient sous l'héraldique de l'Ours orné d'une estoc. Et ce fut surtout le galbe d'une biche devenue ourse par les liens sacrés de l'union qu'ils aperçurent tout d'abord, seule parmi l'habituel comité d'accueil déjà prêt à prendre soin des voyageurs. Hulgard ne perdit point de temps et s'extirpa du véhicule tracté dès lors que les roues en furent immobilisées, dévoilant sa stature élancée et habillée d'un jais brodé de nacre, le tout à demi dissimulé sous une cape estampillée d'une grande Main Blanche – un emblème qui allait décidément bien au second homme du royaume. Ses cheveux dressés vers l'arrière et sa barbe fine frémirent un instant sous une puissante bourrasque, puis il s'avança pour saluer dignement la maîtresse des lieux, mais les formalités furent vite écourtées par le timbre guttural du seigneur et frère qui s'en venait à dos de destrier. La vision de Dralvur fit instantanément sourire le convive, qui patienta que les justifications s'éclaircissent avant de railler. « Voilà que l'Ours se prend pour un étalon, à courir la jument disparue ! Piètre allégation pour t'esbigner sitôt mon pied à terre, mais supposons que je te croie, va t-en donc courir les bois le temps que je conte assommantes historiettes à ta très chère. Tâche de ne pas te perdre. » Le rire rauque attira l'attention de l'enfant qui ne voulait plus attendre que l'on daigne l'appeler, pencha son museau par la fenêtre pour se rappeler au souvenir de ces bonnes gens.

Elle croisa aussitôt la risette de l'oncle vénéré et la lui rendit avec plus de luminescence encore. La longue cataracte opaline se serait volontiers confondue avec le parterre nival et semblait reluire plus encore avec la blancheur des cieux qui se miroitait sur les landes. Jora avait tout de sa défunte mère, des traits en courbes à la couleur des yeux, tout, sauf les cheveux. C'était par cette teinte capillaire unique que l'on associait père et fille, car Hulgard aussi l'arborait avec morgue, héritage physique qui s'était toujours transmis de génération en génération. La chevelure Ebonhand avait engendré moult légendes, et tout autant d'admiration, plus encore du temps où la royauté leur était indissociable. Cela étant, la donzelle disparut pour mieux descendre du coche et se présenter entièrement, emmaillotée dans une fourrure liliale qui lui donnait des airs de chaton touffu. Ses mirettes se levèrent en direction du Snowhelm qu'elle contempla à l'instar du messie tant attendu, les pommettes rosies par la froidure et le bonheur des retrouvailles. Cependant, un raclement de gorge prononcé la rappela aux convenances, elle croisa les calots du géniteur qui sourcilla et se fit comprendre sans un mot. « Bonjour monseigneur. » La nymphette fit courbette devant le cavalier, une salutation qui n'aurait pu être qu'une trivialité plus affectueuse qu'apprêtée si seulement la Main n'avait pas tant tenu aux règles de savoir-vivre – du moins, lorsqu'elles concernaient sa petite lady, qu'il voulait parfaitement éduquée. Plusieurs secondes s'écoulèrent, avant que ce dernier n'exécute un très léger mouvement de tête pour désigner l'Ebonmere non sans une lorgnade insistante. Le chérubin se planta devant Léanalda et fit derechef une révérence... avant de lui bondir dans les bras pour une étreinte bien moins cérémonielle, qui fit négativement opiner son pater. « Allons bon... Je suis contente d'être ici ! Oh je le confirme, elle s'est languie tout le chemin durant. J'aurais aimé voir Jedath et Leogran, où sont-ils ? Han, j'aime bien votre collier, il brille ! » Un sourcil courbé et un rictus amusé, le haut dignitaire se détourna de la discussion des femmes pour s'intéresser à son camarade. « Nous n'avons vu aucun cheval sur la route, je gage que mes hommes m'en auraient informé, j'ignore si ce détail peut t'être utile. Mais au fait, n'étais-tu pas dans la hâte ? Père ! Oui ? Puis-je aller avec lord Dralvur ? Hum... Je ne pense pas que cela soit une bonne idée, petite perle, Dralvur ne va pas glaner des perce-neige, il part à la recherche d'une pouliche qui s'est enfuie. »

Ladite perle afficha une expression désenchantée, toutefois, la négation n'avait pas été catégorique, aussi discernait-elle une flammèche d'espoir qu'il change d'opinion. Tout en triturant ses doigts et en prenant son air le plus mélancolique, elle tenta l'argutie. « Mais vous avez dit que la tanière de l'Ours était le meilleur refuge que vous connaissiez, et si je suis avec l'Ours, je suis en sécurité, non ? » Il cligna des paupières, acculé par ses propres paroles et une logique qu'il ne pouvait démentir. Une paluche torturée coula sur son visage, une flânerie dans une sylve sombre ne le réjouissait pas, mais il était vrai qu'elle n'était pas avec n'importe qui, et s'il n'était pas même enclin à lui confier son trésor pour une promenade, il n'avait plus qu'à faire demi-tour et à rentrer à Jernvugge. Alors, il soupira, puis haussa les épaules en signe de résignation. « Fort bien, tu peux y aller. A condition qu'il soit d'accord, bien entendu. » Jora leva le menton vers le Snowhelm et lui offrit son plus beau sourire en guise de pot-de-vin.

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Dralvur Snowhelm

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MessageSujet: Re: Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora)   Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora) EmptyLun 2 Juin - 3:01

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Le passé pèse sur le présent
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– QUATORZE ANS AUPARAVANT –

De sa haute monture, tout ne lui paraissait que microcosme ontologique, comme si, de ses terres, ses gens, ses convives et son épouse, rien n’était plus qu’amalgame de lointaines pantomimes. Un biotope dans lequel il peinait parfois à s’engouffrer, par cause de cette sibylline mélancolie qui fomentait sur le blason des Ours la rengaine de leur omerta. Un trait de caractère qui les rendait neurasthéniques en leur for, par quelque situation que ce soit, de jour comme de nuit, heureux ou malheureux. Telle était son escarre ; la sénescence venait, il ne le sentait que trop bien, et prochainement sa dame deviendrait grise, doucement plus frêle, fragile comme un fétu givré par le frimas, tandis qu’Hulgard déchoirait, reflet probant de la propre stature du Snowhelm, tous deux infectés par les plis du temps puisque tous deux d’âge semblable. Quant à la larme nacrée qui se courbait tout en bas, dieux seuls savaient la vénusté qui trufferait bientôt cette courte et petite silhouette enfantine. Redcliff resterait fier, immuable, et en son sein antédiluvien règneraient ses fils. Mais qu’était-ce tout ceci pour l’ombre du Solvkant, qui pour des ères encore, valserait paresseusement sur la steppe des Hommes ? Se faire un devoir d’aller débusquer une pouliche égarée lui devenait, subitement, fort peu captivant, mais la bonhomie de Jora ne put que tous les étancher du moindre quant-à-soi, et, pour le seigneur du fief, du moindre spleen existentiel. Il vit même briller dans les gemmes de Léanalda cette quintessence maternelle dont son âme abondait, dulcifiant le faciès rugueux de son mari par un suaire des plus épris. Dralvur tonna d’un rire quiet en le géminant au cristal badin que lady Snowhelm déversait lorsque la petite se mit à sauter des garçons ses amis à la nitescence du bijou. « Chez leurs grands-parents, ma demoiselle », assura le lord d’un signe du chef, ornant là son phonème d’une bienséance fallacieuse dont il ne pouvait rigoureusement pas éduquer son habitude lorsqu’il s’adressait à l’héritière Ebonhand. Pourtant, l’heure viendrait un jour où le vouvoiement prendrait place et où la Main n’accepterait plus, même venant de l’Ours son féal, que l’on s’adresse à sa perle comme on le faisait à un bambin. Mais en atermoyant cet aube, il prenait malin plaisir à jalonner ses discours envers Jora d’une dérision toute candide, couronnant parfois même l’ensemble d’œillades complices lorsque la gargouille tournait regard. Et en parlant du cerbère, celui-ci divulguait un fâcheux renseignement qui rembrunit sitôt le portrait du colosse. « Diables. Cette friponne a dû galoper jusqu’à rejoindre la sylve. » S’il redoutait que les nombreux prédateurs des bois seigneuriaux eussent sévis contre son animal, il n’en pipa toutefois mot, préférant garder, comme de coutume, ses troubles pour lui, et épargner ainsi toute anxiété futile pour qui cela intéresserait. Rappelant rondement à Dralvur la précipitation qu’avait ouverte sa quête, Hulgard récolta pour toute réponse un bruissement de bride et un cliquetis de sangles que le cavalier entamait déjà par son départ. Le tout fut néanmoins avorté par un éclat de voix semblable à un fébrile rossignol, et la jument, s’impatientant, fit claquer ses sabots contre le dallage séculaire tandis que son maître lui intimait le repos. Tous les orbes se rivèrent sur la nymphette, même les globes équins, et dans un silence stupéfait, l’on attendit que le pater daigne répondre seul à l’incongruité. Ergotant remarquablement, il dut pourtant laminer toute opposition comme Jora usait, par sorcellerie espiègle, de son charme d’ingénue. Le verbe de la Candeur fit sourciller lord Snowhelm qui par le simple mot refuge, crut percer l’une des arcanes bâtissant la visite de la Main du Roi en son fortin. Huglard souhaitait, une fois encore, probablement échapper à quelques élans paranoïaques desquels glapissait le nom de sa chère et tendre fille. L’Ours eut un regard entendu pour Léanalda qui ne lui répondit que par des lèvres closes et une ferme intention de ne guère épiloguer – maintenant ou une fois seuls. Elle ne souhaitait rien raviver des arias de son époux, plus encore maintenant que l’épicentre des grognements de Dralvur gîtait enfin dans leur cour. Il y avait, selon elle, un temps pour tout, et celui-ci présent était aréopage de convivialité. Le seigneur de Redcliff se tut donc. Docile malgré les torsions de lippes qui trahirent un moment son aigreur assourdie.

« Ce sera avec grand plaisir, milady. » Il vit là une fêlure par laquelle s’immiscer à l’instar de la petite Perle, tous deux résolument hardis à abattre les cloisons d’or dans lesquelles Ebonhand s’entêtait à calfeutrer sa Précieuse et Divine comme parure en son écrin. Il démonta prestement de son destrier en faisant chalouper sa pelisse d’un noir obsidienne sous laquelle reposait une tunique en taffetas cendré à chemise blanche, puis l’invita d’une paluche six fois plus pansue que la menotte de l’héritière à venir prendre ses aises près des flancs de la bête. Ceci fait, il mima une risette et prit la bambine sous les aisselles en la hissant sans peine aucune sur la selle en cuir brun. « Prudence », avisa la vénus d’un timbre doux mais intraitable – une concoction dont seule Léanalda possédait le secret –, et son époux, en montant à son tour, assura d’une même frugalité. « Toujours. » Jora au devant, il la dépassa de ses bras et sentit la fourrure dans laquelle elle était langée réchauffer son torse, avant que ses mains ne se saisissent des brides et ne manœuvrent la monture. Ses cuisses pressèrent et ses bottes talonnèrent l’animal qui partit en léger trot. « Je ne laisserai nulle tarasque séquestrer ta fille, Hulgard. Parole ! » Héla-t-il alors qu’ils sortaient déjà de la cour, le timbre roulé dans le fécule de la gouaillerie amicale – et somme toute narquoise. Puis les hautes murailles de l’orée happèrent la singulière silhouette du binôme à cheval, et le gravier de la voix masculine ne fut bientôt plus qu’un écho assourdi par la suzeraineté de Redcliff.  

Entamant le vertigineux layon de la forteresse, véritable excroissance filiforme qu’une voiture à peine parvenait à gravir de front, Dralvur se prit à embrasser ce panorama dont il était, depuis sa plus tendre enfance, éperdument amoureux. Les cimes des conifères étaient en cette saison délicatement saupoudrés de neige transie, mais leurs feuillages d’un vert sombre – et plus sombre encore jusqu’au bas – ressortaient majoritairement dans le pharamineux décor. Lorsqu’on descendait depuis le castel, l’on pouvait mirer, à des lieues à la ronde, l’immense lit dans lequel reposaient les terres du nord et, de fait, un nombre conséquent d’hectares appartenant aux Ours. « Je gagerais ma main droite que l’on ne t’a jamais fait dégringoler ce chemin au galop. Me tromperais-je ? » Il ne prenait que trop peu de risques à articuler pareille allégation, puisqu’aucun quidam, jamais, ne s’était hasardé à gravir Le Bras de Redcliff – et plus encore le dévaler – en sommant les sabots à quelques urgence suicidaire. Et la petite, toutes les fois enfermée dans ses carrosses, ne pouvait dignement contester la locution de son ersatz d’oncle. « Eh bien ma foi, il est temps pour toi de sourdre des Entrailles du Solvkant comme tout bon Snowhelm en possède l’habileté ! » A plus forte raison qu’il ne souhaitait plus perdre une seule seconde dans sa battue, et que s’il s’était résigné à descendre l’exigu sillon comme tout autre pèlerin de ses terres, sa patience se serait vite altérée en hâte agacée. « N’aie crainte mon enfant, sache que tu ne risques rien. » Sa roche possédait l’inexplicable dextérité à moduler un phonème né pour commander des armées entières, en un voile analgésique et pédagogue. Et sur ces entrefaites, la jument précipita ses membres en une course véloce où l’aquilon se mit à siffler dans leurs oreilles et où les deux précipices, magnétisants, firent tintinnabuler dans leurs esprits les carillons d’alerte. Tous leurs instincts se mirent à cabrer dans le corral de leurs pensées et, impérieuse, l’adrénaline se déchargea en flots dans leurs veines. Si le ser appréciait la chevauchée, il doutait qu’il en soit de même pour la nymphette, aussi prit-il garde à ne guère rendre le cavalcade plus endiablée qu’elle ne l’était déjà, conduisant la monture à un galop aérien et souple. « Regarde droit devant Jora, là est la source d’un excellent maintient ; ne jamais lâcher l’horizon des yeux. » Sur le sentier, l’on entendit du roc culbuté par les sabots s’évader dans le vide en dévalant par chahuts sinistres les escarpements parallèles et, auprès d’eux, dans la voûte laiteuse, se mit à pépier un gypaète de la volerie de Redcliff. La barbacane gardée par les augustes plantigrades de pierre n’était plus très loin, et sûrement le faucon encourageait-il le tandem, ou, au contraire, se gaussait du minois que tirât l’Ebonhand.

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Jora Ebonhand

Perle de Nacre

Jora Ebonhand
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MessageSujet: Re: Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora)   Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora) EmptyMar 3 Juin - 17:15



L
'agrément inespéré fut telle la braise ravivant un âtre moribond, celui de la félicité candide que provoquait la simple perspective de musarder autre part que dans des corridors même profusément parés. Qu'il était triste, au fond, de s'ébaudir à la senteur d'une flânerie, un cautère de liberté dont l'oiselet se contentait pourtant à défaut de pouvoir rencontrer le grand horizon. Encore inconsciente de la veillance pléthorique de l'unique figure parentale, elle se nichait sous l'aile de l'autoproclamé phénix d'opale en songeant que c'était là que se trouvait sa place. Aussi rares les sorties hors de son trébuchet pouvaient-elles être, aussi sincèrement les appréciait-elle, et entre les géantes pattes du maître Ours, nul ne serait à même de douter de sa sécurité. C'était l'image que Dralvur s'était toujours offerte, celle qu'Hulgard lui avait toujours octroyée, celle d'une confiance infrangible que rien n'excoriait. C'était donc le coeur aussi léger que son corps soulevé par les paluches du lord qu'elle se languissait de partir à la recherche de la pouliche égarée, une quête qu'elle s'était au final quelque peu arrogée en même temps que l'assouvissement de sa lubie. Une fois à dos de monture, elle contempla la robe pommelée et enchevêtra un instant ses phalanges au crin bien peigné, rêvant silencieusement de culminer un jour à pareille hauteur, elle qui atteignait avec peine la taille cintrée de son paternel. Une fois le cavalier dans son rachis, elle fit de son torse un dossier tandis que les bras la ceignaient en étau protecteur, sous l'oeillade tempérée de la Main qui n'en demeurait pas moins inquiète. Là n'était pas la question de savoir sa Perle avec le plus féal de ses sujets, rien, point même les remparts de Jernvugge ou ceux plus inexpugnables de Ravenhole ne parvenaient à endiguer l'appréhension viscérale du père envers l'unique descendante. Et s'il délaissait généralement volontiers son masque austère face aux quolibets fraternels du Snowhelm, existaient certains sujets sur lesquels il ne badinait pas. « Tu fais mieux, mon ami... » Maugréa t-il d'ailleurs en réponse inaudible à l'apostrophe amicale, ne détachant ses calots smaragdins du départ qu'une fois les galbes engloutis par la distance.

Parfaitement sage dans sa chrysalide de fourrure, Jora ne brisa pas l'enchantement du panorama qu'elle contempla également, aphone face à la majesté d'une nature que l'on connaissait pourtant hostile. Mais à choisir, elle préférait les abies d'une sylve pailletée de neige à l'architecture spinescente d'une capitale où se fomentaient des brigues dont elle n'avait pas idée. Elle comprenait que l'auguste mammifère qui tenait les brides favorise son havre extramuros à sa tanière citadine, qui n'était comme toutes pas épargnée des intempéries politiques. Quel monde abscons dans lequel elle était vouée à s'épanouir, la demoiselle enjôlée par le territoire séculaire qui s'étendait à des confins indiscernables. Un sourire jovial peint sur son minois poupon, elle leva ses grandes mirettes constellées de cils noirâtres vers le visage hirsute lorsqu'il lui soumis une question rhétorique, à laquelle elle donna tout de même suite. « Euh, non ? » L'interrogation qu'elle avait ingénument pensé sans corollaire eut tôt fait de se transfigurer en opération imminente, qui bien malgré les vers lénifiants du pédagogue avunculaire l'effaroucha. « M...mais je ne suis pas... hiiii ! » Pas une ourse à en devenir, mais elle allait tout de même obtenir son baptême du feu en terme de chevauchée, ce dont elle était à l'accoutumée formellement interdite. Son coeur si bien que son rumen se soulevèrent et harpa sa maigre poigne à tout ce qui était susceptible de lui éviter la culbute du millénaire ainsi que les mauvaises fractures qui iraient avec. La bienveillance du seigneur ne la destituait pas d'une frousse légitime lorsque l'on n'était point rôdé à l'exercice, et en plus de la prestesse et du degré de la pente, son poids plume et ses courtes gambettes l'empêchaient de se conglutiner à la scelle sur laquelle elle était cahotée. Ses quelques miaulements tronqués par ces mêmes bonds répétés ne ployaient qu'un aspect plus burlesque encore à la cavalcade sans fin, et si la pauvrette entendit les conseils avisés, elle les ignora au profit du firmament dans lequel elle aperçut le rapace qui avait, semblait-il, glati à leur attention. A n'en point douter, elle aurait préféré la voie céleste à celle terrestre, mais plus bas, elle distingua la barbacane qu'elle espérait être leur ligne d'arrivée.

Et une fois la meurtrière franchie, la cadence hippique s'amoindrit, et la jument s'immobilisa sous la sommation gestuelle de son maître qui, dans son illustre bonté, désirait probablement offrir un peu de répit à la pygméenne échevelée. Car si les crinières relativement courtes de ces sieurs se recoiffaient vite fait bien fait après tant d'émotions, celles immenses de ces dames n'exigeaient pas le même traitement. Houppes et noeuds multiples en guise de nouvelle chevelure, ce fut une mine cocasse que Jora redressa vers l'oncle attentionné auquel elle donna sa première impression. « Aïe. » L'une de ses mains alla masser la base de son épine dorsale et elle grimaça sous le lancinement de la douleur qui s'y répercutait, avant d'observer le sentier dévalé, qu'elle avait pensé étrangement plus long lors de la descente. Constater l'exploit auquel elle avait – presque – participé la fit subitement arborer une risette évasée, bien loin des geignements qu'une délicate créature de son genre aurait pu pousser en pareilles circonstances. « C'était drôle ! » Conclut-elle enfin, qu'importait ce que son teint un peu pâli pouvait attester. « Nous le ferons encore, hein, dis ? Tu veux bien ? Oh, je peux te tutoyer maintenant que Père ne nous entend plus ? » Elle n'avait diantre jamais compris pourquoi Hulgard s'échinait à ce qu'elle vouvoie Dralvur et son épouse, mais telles étaient les moeurs sociétaires à tenir, lorsque l'on était une enfant des cimes. Il était presque dommage de songer que ses efforts en la matière étaient mis à mal dès lors qu'il avait le dos tourné. « Pourrions-nous le refaire tout de suite ? Ah, non, la pouliche, c'est vrai ! Je l'avais oubliée, j'espère qu'elle va bien. Comment s'appelle t-elle ? Et de quelle couleur est sa robe ? » La Perle Ebonhand était particulièrement circonspecte lorsque son géniteur se situait dans les environs, lui qui l'avait toujours serinée sur le fait qu'un silence valait toujours mieux qu'une faconde vaine. Ne prononcer mot que lorsque l'on le lui demandait, et préférer les tirades concises quand ergoter était inutile. Pas avec l'Ours, qu'elle avait l'habitude d'assommer de logorrhées en tout genre, sûrement parce qu'elle ne le côtoyait pas autant qu'elle le voudrait. « Peut-être a t-elle eu peur d'eux ? » De l'index, elle désigna les idoles héraldiques postées en faction non loin d'eux, et qu'elle fixa avec un intérêt non feint quand bien même avait-elle eu plus d'une opportunité de les voir. « Moi si je n'étais pas avec toi, j'aurais peur. Est-ce aussi gigantesque en vrai, un ours ? Leurs poils piquent et chatouillent, comme ta barbe ? » Tête basculée vers arrière pour le voir, ses minuscules doigts s'apposèrent sur la joue du Snowhelm, qu'elle caressa dans une mélopée rêche qui la fit rire et exsuder toute l'innocuité de son âge. L'angelot fit battre ses paupières, puis s'enquit. « Nous y allons ? »

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Dralvur Snowhelm

Ours cendré d'Ibenholt

Dralvur Snowhelm
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MessageSujet: Re: Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora)   Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora) EmptyMer 4 Juin - 21:10

Fiche © Quantum Mechanics


Le passé pèse sur le présent
comme le cadavre d'un géant.
jora & dralvur
– QUATORZE ANS AUPARAVANT –

Les hauts bronzes corrodés par le temps furent bientôt dans leurs dos, narguant de leurs orbites vides le cavalier et la perle ivoirine qui nichait en son écrin. La jument ahanait fébrilement des naseaux comme son allure réfrénait, et eut même un branlement de crin qui fit valser sa toison d’opale telle une houle lactescente. Le morse tintinnabula, les brides avec, et, dans l’atmosphère hiémale, Jora couina. « Je le conçois. Ardue est l’assise pour un poids plume. Pour peu, et tu te serais envolée. » Il fit gondoler ses lippes d’un sourire attendri, fort peu peiné d’avoir dû meurtrir le petit séant de l’enfant pour quelques minutes gagnées en plus. L’Ours n’était guère seigneur à s’apitoyer pour si peu, quand bien même il eut s’agit d’une donzelle – héritière des Ebonhand de surcroît – et non de l’un de ses solides oursons. La nymphette, par ailleurs, balaya vite toute bouderie pour entériner une liesse mal endiguée. Éclat qui, inévitablement, souleva l’épaisse carrure qu’étaient les épaules de Snowhelm en un rire badin. « Tu le puis Jora, tu le puis. » Il n’appréciait que trop l’entendre babiller avec cette légèreté juvénile et non point ces simagrées obséquieuses qu’elle aurait bientôt à lui servir dès que l’âge viendrait, à l’instar de ses propres rejetons. Tous trois n’étaient encore que bambins, et si Léanalda ne lui rappelait que trop bien la croissance inéluctable qui possédait ses héritiers – et par conséquent, la fille d’Hulgard –, Dralvur se plaisait à vivre l’instant présent comme il venait, et non pas comme il deviendrait dans un proche avenir. Talonnant les flancs du destrier, leur trot devint un instant pas, puisqu’il cherchait du regard un horizon particulier vers lequel faire croisade. Tandis que la petite devisait allégrement, le colosse mira à l’Est, puis à l’Ouest, et enfin au Sud. Droit devait s’étendait la grand-route, par laquelle le cortège Ebonhand avait cheminé, et puisque la Main avait assuré n’avoir croisé nulle pouliche, il ne lui restait plus que de gauchir sa nuque vers la droite et la gauche, et finalement se décider. Tout n’était que sylve pléthorique dans laquelle un animal pouvait aisément musser sa silhouette – quand bien même claire et haute – du moindre regard inquisiteur. Aussi eut-il un soupir contrarié avant de répondre, évasif et le nez à fureter, d’un timbre complétement déconcentré. « Oh elle n’a pas de nom. Enfin… je ne crois pas. » Précautionneusement, il lâcha doucement les longes de la jument pour, sciemment, laisser faire l’instinct maternel qui, il l’espérait – et l’avait espéré en choisissant cette monture – guiderait les pas de la femelle vers son petit. « Peut-être les lads lui en ont-ils donné un. J’imagine. Qu’en sais-je. » Et du phonème employé, tout indiquait que l’Ours n’avait que faire dudit sobriquet choisi, aussi enchaîna-t-il promptement vers le propos caractéristique. « Eh bien, vois-tu, elle possède une robe gris-de-fer. » Lentement, le cheval se mit à obliquer vers l’Ouest sous les onyx attentifs du lord qui, en harmonie, baissa du menton pour scruter la glaise fraiche et hivernale qui détrônait peu à peu le pavement millénaire bordant la voie. Il crut distinguer une sphéricité dans l’amalgame argileux, mais l’ensemble fut bientôt dépassé par les hautes herbes givrées du bois dans lequel ils allaient inéluctablement s’enfoncer. Il releva sa mâchoire hirsute, ne lâchant pas les devants de ses calots. « Le gris de son pelage lui vient de son père, un étalon du Val, et, tout comme sa mère ci-présente… », dit-il en indiquant d’un vague signe du chef leur monture. « Sa croupe est pommelée de tâches blanches. A l’image de flocons de neige. » De ça, il aimait bien mieux converser. Les races nidifiant dans son haras pouvaient lui tenir le verbe des heures durant, au contraire de leurs patronymes, fioritures, selon lui, qu’il laissait bien volontiers au choix de ses palefreniers, ou même de ses fils, si le l’enjeu les amusait.

Jora se mit à indiquer les gargouilles que l’on pouvait encore contempler une fois à l’orée, tirebouchonnant à l’unisson le crin sombre du chevalier qui se para d’une nouvelle risette, apostrophant la remarque d’un Ha !, que l’on eut du mal à définir comme douce risée ou franche assertion. Dans un bruissement de cuir, il retrouva sa posture en maintenant ses babines retroussées comme elle enchaînait par une nouvelle interrogation, levant minois et hasardant menotte sur la broussaille ciselée du seigneur. « Dieux que l’on croirait entendre lady Snowhelm ! Elle aussi trouve cela fort piquant et fort chatouillant ! » Tonna la rocaille de Dralvur par quelque turlurette amusée. « Mais tu fais bien de les craindre, jeune perle. » Sinistre, son timbre le devenait, chamarrant son faciès d’une mine qui se voulait funeste, bien qu’au-dedans, le ser se gaussait de houspiller ainsi l’oiselle par récits et contes affolants. C’était bien là une tare, de l’avis de sa femme, que de chercher, sans répit, à effrayer les enfants. Mais il préférait assombrir la toile de fables et légendes affolantes plutôt que de bercer les âmes virginales dans des houles enchanteresses et idylliques que la vie et sa réalité auraient tôt fait de broyer. Et puis, fallait-il bien l’avouer, digne Ours de Redcliff qu’il était, il dégustait accouardir quidam. « Car les nuits où la lune se couvre de ses rondeurs et caresse de ses rayons blafards la barbacane, le bronze et la pierre des statues se fissure et se brise pour laisser éclore deux monstrueuses créatures façonnées à l’image de leurs reliquaires ; trois fois plus hautes qu’un ours brun. Elles descendent alors de leurs trônes et s’en vont chasser sur leurs terres, non pas des faons, non pas des biches, mais le moindre ennemi des Snowhelm rôdant parmi les conifères. Leurs griffes, égales à des flamberges, déchirent et lacèrent, tandis que leurs crocs, d’un émail aussi épais que des pilastres, se plantent goulûment dans les chairs félonnes. » Il articulait avec une emphase inquiétante, et, sans que la nymphette ne s’en rende compte, ses paluches, délivrées des brides quelques temps plus tôt, se levaient peu à peu atour de la fourrure. « Et lorsque, enfin, leur vindicte est rassasiée, elles rejoignent leurs socles en grondant leur aubade si fort et si gravement, que l’épine du Solvkant tremble de tout son long. » Brusquement, les bras noueux du lord s’abattirent en un étau de fer contre la frêle charpente juvénile, grognant un preste « GHRAA !! » visant à faire sursauter la vénus nacrée, sitôt minimisé par les éclats de rire de Dralvur et la redoutable cellule devenue étreinte affective. Ils s’étaient depuis peu embourbés dans la forêt même et, à quelques mètres de là, avisée par la clameur masculine, une ombre détala de derrière ses futaies pour cavaler dans les sous-bois. La jument tendit les oreilles à l’instar de son maître, qui, subito, se pétrifia en une attention décuplée. « Aah ! La voilà, la coquine ! » Nul doute, selon lui, que l’animal fuguant n’était autre que sa pouliche disparue.

Recouvrant d’une main ferme les rênes de leur destrier, il éperonna diligemment les flancs crémeux dans l’unique but de pourchasser la chimère évadée. Le galop auparavant achoppé reprit d’emblée, les lançant à vive allure à travers les troncs et bosquets, et si l’Ours souhaitait ardemment récupérer sa bête, il n’oubliait toutefois pas la peine qu’avait Jora de tenir convenablement sur selle. Dans la chevauchée, il fit donc en sorte de lover son torse contre le rachis de la petite, tentant au mieux de la maintenir et lui laisser de quoi s'adosser. Chose fort heureusement louable, car le cheval vit un chêne allongé tout du long sur leur route qui, visiblement, ne sembla pas effaroucher ses instincts. D’une grâce sans pareille, la femelle sauta par-dessus, laissant à peine le temps au patriarche de plaquer une paume contre le plexus emmailloté de l’Ebonhand pour amortir au moindre mal l’atterrissage qui s’en suivrait. Et si le bond fut souple, la réception était une toute autre histoire ; les sabots pétrirent la terre herbeuse et les souffles furent, un court instant, excavés par la pesanteur. La chevauchée reprenant, la patte du cavalier s’émancipa pour s’entortiller de nouveau contre les brides et manœuvrer sur une longue distance qui parut à la fois une éternité par son décor analogue, et des plus véloce par la célérité optée. Puis ils échurent enfin dans une clairière tapissée de mousse et où, par miroitements hypnotiques, l’astre diurne faisait ronfler sa clarté à travers feuillages comme des faisceau divins. Lord Snowhelm serra les longes et l’allure ralentit. Il connaissait ces parages, quand bien même infinis, et là était le carrefour de plusieurs chemins. « M’est avis qu’elle— » N’ayant guère le temps de finir, la jument se cabra et hennissant comme, sur leur droite, surgissait bel et bien une bestiole de poil gris. Pas la pouliche, certes non. Mais un jeune lupin aux babines retroussées qui, face à l’apparition, se mit en posture défensive et grogna lourdement avec dans ses globes écarquillés, la dangerosité primitive que façonne la peur…

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Jora Ebonhand

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MessageSujet: Re: Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora)   Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora) EmptyVen 6 Juin - 23:58



L
orsque le flegmatique châtelain lui fit savoir qu'il ignorait le nom de la bête évadée, Jora ne put empêcher un parallélisme incongru avec son dignitaire de père, qui lui, se souvenait rarement tous les prénoms de la pléthore de subordonnés et de duègnes qui foisonnaient dans son logis. Là n'était pas la question d'une acuité mémorielle lacunaire, ces sieurs avaient simplement les synapses disposés à des priorités autrement plus substantielles que leur cheptel, qu'il ait été d'ordre chevalin ou non. Elle gageait que ce ne devait pas être chose aisée, que de retenir tous les sobriquets et faciès qui oeuvraient dans des fiefs et demeures aussi considérables que l'étaient les biens des deux familles auxiliaires. Au moins Dralvur ne laissait-il pas la pouliche au funeste sort qui l'attendait inéluctablement au détour d'un conifère, contrairement à Hulgard qui n'aurait pas même sourcillé à l'idée d'abandonner une servante rétive dans les venelles tout aussi périlleuses de Jernvugge. La comparaison était une fois de plus inopportune, si bien qu'elle cessa d'y songer et se concentra sur la carnation de gris tavelé qui leur permettrait de distinguer la téméraire. Ce fut après un quelconque éclat grège que les mirettes ingénues quêtèrent dans le décors sylvestre, l'oreille vibrant au phonème de rogomme qui vrombit d'une octave qu'elle ne connaissait que trop bien pour être celle des narrations folkloriques et ancestrales. Aussitôt piquée dans sa curiosité, elle leva le menton vers le conteur émérite et l'entendit avec une contention idôlatre, bouche bée d'en apprendre toujours davantage sur des landes qu'elle avait pourtant déjà maintes fois visitées. Elle tenta de vriller nuque et épine dorsale pour apercevoir les gargouilles enchantées, solides cocons de créatures millénaires qui n'étaient apparemment pas seulement cerbères de la barbacane. Les mots du fabuliste se firent vite actes de scène dans l'esprit enfantin, et la pauvrette s'engonça un peu plus dans sa fourrure opaline lorsqu'il se plut à décrire le châtiment dispensé aux rivaux qui avaient le malheur de se faire prendre. Elle inspira jusqu'à en gondoler ses bronches et retint son souffle, plongée en apnée alors que, dans le récit, les gardiennes rejoignaient leurs socles originels et sombraient en narcose magique jusqu'à la prochaine lune – jusqu'à la prochaine traque. Un frisson lui lécha le râble, elle se retourna vers l'horizon boisé comme pour s'assurer que nulle déconvenue de ce genre ne se dissimulait quelque part, puis, deux pinces épinglèrent ses hanches et la firent bondirent autant que glapir. « DRALVUR ! » Feignit-elle de se lamenter non sans s'esclaffer, emmaillotée par la puissante carrure de l'oncle qui avec elle, se désopilait.

Elle avait toujours aimé ses histoires, et bien qu'accoutumée à se blottir contre Leogran en étreignant elle-même Jedath lorsque venait le temps des plus effarouchants méchefs, elle les appréciait malgré tout dans ce contexte bien différent. Mais le badinage patienterait, car l'objet de leur quête s'esbignait après avoir ouï leurs clameurs hilares – ou peut-être ne partageait-elle simplement pas l'opinion de la donzelle quant à l'appréciation du sombre apologue. « Je ne la vois pa...aaaaah ! » Si bien que le seigneur s'en allait la lui montrer, et au grand galop ! Forte de sa première expérience en la matière, l'Ebonhand se congloméra un peu plus au cavalier et tenta de serrer la selle de ses courtes jambes pour s'assurer un semblant de stabilité. Si elle fermait les paupières et occultait les violentes saccades des sabots, elle aurait aisément pu croire qu'elle volait, ne manquait plus que le gypaète antérieurement aperçu pour glatir à son tympan et le lui confirmer. La vue de l'obstacle fortuit la rendit exsangue, puis elle sentit un bras la ceindre et s'y accrocha également pour ne pas faire un vol plané bien moins agréable qu'elle n'escomptait dans son imagination. L'adrénaline à son paroxysme la fit un instant quitter la surface du globe, jusqu'à la retombée de leur monture aux haleinées rauques et promptes. Le point d'orgue de cette nouvelle chevauchée se fit dans une sommière où le sentier se brisait en diverses voies, que la fillette avisa toute avant de se faire surprendre au même titre que le Snowhelm, et de poser ses prunelles rondes sur la robe polychrome du canidé qui montrait les crocs.

« Oh... je crois qu'il n'est pas content... J'imagine que ce n'est pas l'une de tes statues qui se meut à la vie, hein ?... » Les ours ne s'acoquinaient pas avec les loups, lui était d'avis que les deux prédateurs étaient davantage du genre à se dilacérer la peau qu'à se bécoter le museau. C'était la première fois qu'elle était encline à contempler une telle merveille dangereuse d'aussi près, et profondément fascinée, Jora en oublia d'avoir peur. « Qu'il est beau... Je me demande si les loups se domestiquent... » Les aboiements gutturaux de l'animal lui répondit avec une telle âpreté qu'elle en soubresauta en même temps que la jument qui fit deux foulées de côté, et elle se souvint de frémir face à l'un des plus illustres maraudeurs de la nature. « P...pas celui-là dans tous les cas... ! A...allez oust ! Du vent, ne nous attaque pas ! Ce... ce ne serait pas gentil ! » De ses menottes, elle balaya frénétiquement l'air pour illustrer ses propos et se faire comprendre de son interlocuteur lupin, qui n'évalua vraisemblablement pas ces gestes de la meilleure des manières et se remit à clabauder de plus belle, l'air démentiel. La maladroite se voûta tout contre l'adonis à l'instar d'un lionceau cherchant le pelage parental, réduite à un mutisme plus circonspect pour ne pas envenimer une situation déjà trop délicate. Elle n'avait aucune envie de devenir charpies gouleyantes dans cette gueule pleine de dents, et sut que ce rôle ne lui était peut-être pas destiné à elle, lorsqu'au loin, un hennissement retentit. L'attention générale fut subito happée, la truffe noirâtre subodora l'air, et s'élança sans demander son reste en direction d'une proie infiniment plus facile. « La pouliche ! Il est sur la trace de la pouliche, il va la dévorer ! » Et il n'en laisserait que le crin mordillé au propriétaire s'ils ne se hâtaient pas de la retrouver les premiers.

La célérité du seigneur fit claquer les brides et ses talons frappèrent les flancs hippiques pour reprendre une fois encore une rythmique de flânerie à laquelle le chérubin commençait à s'habituer. Probablement galvanisée par la volonté de porter secours au cheval devenu gibier, elle ne se plaignit ni des cahots ni de la vélocité de la course qui, elle l'eut cru, manqua de leur faire embrasser plusieurs troncs au passage. Mais c'était compter sans la maestria de Dralvur qui fit victoire de toute embûche et les conduisit vers un autre terrain où quelques hautes frondaisons formaient une étrange arche. Les pas de la jument s'arrêtèrent à l'orée de sapins à demi effondrés, et la demoiselle pointa l'Ouest de l'index. « Regarde ! » Le gris tant convoité se montrait enfin, la pouliche se tenait à une vingtaine de coudées du binôme, et dans un excès de zèle, la joliette pygmée glissa du siège en cuir sans même consulter le lord. Ce dernier ne put qu'essayer, par l'office d'un fulgurant réflexe, de la retenir par son vêtement, duquel elle se sépara cependant, n'abandonnant dans les pattes de l'Ours plus que le manteau touffu. Elle rassembla les pans de robe et s'apprêta à rejoindre la fugueuse, mais n'excava la neige que de trois empreintes successives avant qu'un grondement familier ne la transisse sur place. Le loup de naguère réapparut, il considéra la pouponne mais ne sembla y voir qu'un menu fretin, insignifiant a contrario de la carne en abondance qui se situait de l'autre côté. Toutefois, l'infortune se faisant maîtresse du jeu, le canidé fit preuve d'imprudence et l'un de ses pieds s'apposa sur un mécanisme dont ils purent entendre le tintement de mauvais augure avant qu'il ne s'active. Des mâchoires d'acier assaillirent l'animal qui gesticula à l'image d'un damné dans des cris suraigus et tintés d'une telle douleur que l'Ebonhand en eut le sang glacé. Mais ce fut bien l'hémoglobine du pauvre lupin qui bariola l'immaculé tapis nival, pris dans une détresse ineffable et tapageuse, il s'animait sans se rendre compte que la denture affilée lui tranchait toujours un peu plus la chair. La nymphette fit instantanément demi-tour et sauta littéralement sur son escorte pour qu'elle la récupère séance tenante, à tel point diligente qu'elle se retrouva assise à l'envers et serra la taille du seigneur quitte à l'empêcher de respirer. « Finalement je reste ici ! » Non ravi d'apprendre que le braconnage violait manifestement ses terres, le noble hirsute conclurait que si un piège avait été disposé là, d'autres alentours guettaient hypothétiquement le faux pas.

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Dralvur Snowhelm

Ours cendré d'Ibenholt

Dralvur Snowhelm
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MessageSujet: Re: Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora)   Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora) EmptyLun 9 Juin - 19:52

Fiche © Quantum Mechanics


Le passé pèse sur le présent
comme le cadavre d'un géant.
jora & dralvur
– QUATORZE ANS AUPARAVANT –

Homme seul est viande à loup. Feu son pater n’avait eu que trop raison, lorsque, naguère, il s’était essayé à instruire de conseils avisés son dauphin de fils. S’il n’était guère seul en ce moment, il était toutefois indubitable que la présente ingénue ne lui serait d’aucune aide face à la menace lupine. Celle-ci, par ailleurs, après avoir pépié quelque miaulement d’alarme, s’en venait à considérer la bête sauvage d’une équanimité juvénile et inconsciente qui fit sourciller le seigneur. Tenant par les brides la jument qui ahanait et hennissait en pétrissant le sol de coups de sabots fâchés, Dralvur contractura sa mâchoire à un point tel qu’il fut incapable de répondre à la pléthore d’interrogations qui s’évidaient de la petite bouche. Et lorsque l’enfant fit branler frénétiquement sa menotte envers son prédateur par quelque semonce royale – à laquelle seuls des sujets dotés de bras, de jambes et de toute effigie humaine pouvaient décemment obéir –, Snowhelm gauchit des épaules et de la nuque pour aller chercher d’une patte circonspecte le coutelas de chasse qu’il savait maintenu dans l’une des doublures de la selle. Fort peu massif et loin d’être l’archétype même d’une arme, mais une lame tout de même qui, si le danger s’épaississait davantage, lui permettrait de braver l’attaque avec autre chose que ses paluches d’ours. Le loup avait beau vêtir la carrure d’un jeune mâle, sa force, il n’en doutait guère, serait égale à celle d’un homme enragé. Mais à peine ses doigts vinrent à frôler les saillies métalliques de l’objet sous les coutures de cuir, que la bête s’échappait à l’entente d’une bien plus succulente ripaille. A l’unisson, il déporta son regard et son attention vers l’horizon sylvestre d’où s’était déterré l’appel équin, et, en écho aux exclamations de l’Ebonhand, il articula avec humeur. « Par les Quatre !! » Voilà bien une chose ! En plus de les avoir tourmentés tous crocs sortis, le diable s’en allait à présent faisander la carne de sa précieuse pouliche ! Grognant d’exaspération et reléguant aux oubliettes l’algarade éhontée que lui expectorerait Huglard en apprenant que le feudataire avait entraîné dans une course-poursuite préjudiciable son unique héritière, Dralvur éperonna sa monture comme s’il eut s’agit d’une ruée sur champ de bataille.

Arrivés après une dure chevauchée à l’orée du bois, les pas du cheval firent halte, la nymphette pointa l’objet de toutes les convoitises et, un instant, le chevalier crut enfin trouver un ersatz de quiétude. Mais l’enfant s’évada à son tour, autant de son siège que des griffes du ser qui, par quelque vain moyen, tenta de retenir sa petite fourrure qui resta pétrifiée et vacante dans le creux de ses mains. « Jora ! » Héla-t-il d’un timbre où autorité et inquiétude s’emmaillotaient tous deux dans une rocaille sèche. Que les quatre enfers l’emportent si cette fichue vaudeville ne se décidait pas à prendre fin séance tenante ! Pis, dans tout cela, il savait que si malheur arrivait, en plus d’être peiné à déraison, il serait le seul et unique fautif. Faisant mine de démonter pour aller aux flancs de la Perle, il perçut dans son champ de vision une houle grisâtre qui aliéna ses sens. Le canidé revenait, d’une rogue suffisante, lorgner sa protégée et la favorite de son haras. Gorge nouée, il n’eut que le temps de river ses onyx sur la donzelle qui s’en revenait à grandes enjambées – même pour ses minuscules gambettes – et se hissait tout de go sur son trône de sûreté. D’un réflexe paternel, il cercla d’un bras les épaules du farfadet apeuré qui, dans sa précipitation, n’avait plus pensé qu’à rejoindre le clapier rassurant du sieur ursidé plutôt que de monter raisonnablement la jument. En d’autres circonstances, Dralvur aurait gouaillé. Présentement, il ne fit que serrer la petite contre lui, nuque vrillée vers le loup, lippes torsadées d’un sombre rictus. « Peste soient-ils. » S’il n’appréciait évidemment pas la compagnie d’une bête sauvage – plus encore si celle-ci biglait sur sa carotide –, la voir aux prises avec un piège de braconnier, sur son propre fief, n’était que fricot pour son ire seigneuriale. Grondant encore quelques sibyllines injures dans sa barbe, il tâta avec douceur le crin nacré et en vint à baisser son regard vers le bas, là où séjournait le minois lactescent, sur un poitrail ronronnant d’une litanie qu’il espérait réconfortante. « Et si nous jouions à un jeu ? » Il arqua un sourcil. Ses tempes bâtaient encore d’adrénaline, mais il invoquait un effort monstre pour costumer son masque d’une légèreté badine. « Si tu poses ne serait-ce qu’un pied à terre, tu perds. Mais si tu parviens à rester, seule, sur la jument, tu auras le droit de trouver un nom à la pouliche. Mh ? » La questionnant d’un signe de tête pour la simple forme, il descendit à la suite en ayant glissé, subrepticement, le coutelas dans le manche de sa pogne gauche pendant qu’il soutenant la concentration de l’enfant par sa duperie nécessaire. Pourvu que la monture ne cabre ni ne détale au galop… Priant tout le panthéon et le Démiurge même qu’un tel malheur leur soit épargné, il s’enfonça dans la neige en mirant précautionneusement sous chacun de ses pas qu’aucun collet n’y gîte perversement.

Avec pesanteur et grande lenteur, il contourna les jappements endoloris et s’en alla rejoindre la pouliche qui l’observait faire avec un œil bien trop nerveux. Elle était prête, tous muscles bandés, à sautiller encore et lui faire faux bon – les glapissements du lupin n’aidant guère à la calmer. Aussi s’accroupit-il doucement, prit le temps qu’il fallut, et s’avança jusqu’à sa hauteur pour agripper la muserolle. Une fois fait, il se redressa, souffla, tâta l’encolure et la maudit de murmures aigres pour lui avoir fait pareille escobarderie. Ils revinrent tous deux sur les traces laissées dans la poudreuse – sentier conforme à un semblant de sûreté puisqu’autres pièges il devait y avoir –, et il tira de la selle de sa jument des liens qu’il harnacha aux brides du jeune cheval. « Jora, assis-toi convenablement, veux-tu ? » Ce n’était plus l’ombre d’un oncle qui devisait, mais bel et bien la stature d’un lord qui dictait. Il attendit qu’elle s’exécute et lui tendit les guides nouées des deux montures. « Le jeu n’est pas terminé. Tiens-moi cela, je te laisse la garde des deux. Il s’agit là d’une grande responsabilité, j’espère que tu sauras en être digne. » Il comptait sur l’intimidation d’une telle tâche pour que, justement, la douce ne se laisse guère aller à de quelconques enfantillages. La guignait une dernière fois, il fit demi-tour, et, un moment, contempla la bête meurtrie. Nul choix ne lui revenait plus, car sa raison grondait en même temps que sa fierté ; jamais aucun trappeur n’aurait la peau de ce loup, tout comme, miséricordieux dans sa sentence, jamais il ne laisserait une âme, quelle qu’elle soit, souffrir plus que de raison un pareil tourment. Il n’était pas homme à souhaiter la torture de ses ennemis, même les plus virulents, déifiant dans une mort rapide l’étreinte savoureuse d’une paix que tout un chacun se pouvait de réclamer. Mauvais ou bons, nobles ou paysans, humains ou animaux. La quintessence d’un être n’avait pas à sombrer dans la géhenne, la vie, véritable pensum universel, se chargeant déjà bien assez de tous les éreinter. Il revint alors sur ses pas, avec autant de prudence que sa précédente pérégrination, puis bifurqua jusqu’au prédateur devenu proie. La gueule bestiale martela l’atmosphère de quelques coups de crocs qu’il obvia sans peine, puis, diligemment, par quelque contorsion de buste et de gestes, il vint planter son arme directement dans le palpitant. Un couinement déchira la tenture hiémale et puis, plus rien. Il rangea son coutelas au coin de sa ceinture et se démena pour retirer la carcasse du guêpier avant de la hisser en un râle sur un pan de sa carrure.

Ballotant sa prise sur épaule, il fut bientôt auprès de l’Ebonhand. « La souffrance, fléau de notre monde », articula-t-il en reposant lourdement le cadavre sur le râble de la pouliche, puis, l’attachant, il lorgna la petite qui avait bravement tenu son rôle. « Ne sois pas de ceux qui la chérissent, Jora. Souviens-toi toujours de cela ; il veut mieux abattre un supplicié plutôt que le laisser agoniser. On ne trouve nulle délectation à voir ses adversaires exhaler de peine. Laisse donc ces avilissements aux rats et aux charognards », conclut-il en achevant d’un geste sec sa besogne et revenant monter sur la jument. « Bien ! Sur ces entrefaites, je crois pouvoir dire que tu as honoré le jeu. De quel doux sobriquet souhaites-tu donc affubler ma pouliche ? » Talonnant doucement, ils repartirent en sens inverse pour s’engouffrer à nouveau dans le bois, avec, cette fois, bien plus de calme que leur chevauchée antérieure, repus d’une corvée menée à bien. Entre autres choses.

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Jora Ebonhand

Perle de Nacre

Jora Ebonhand
Perle de Nacre
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MURMURES : 725



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MessageSujet: Re: Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora)   Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora) EmptyMer 11 Juin - 23:24




C
omment pouvait-on escompter faire du tort à la faune, quand bien même celle-ci était-elle pourvue de crocs et d'une voix rauque ? La patenôtre lupine faisait frémit jusqu'au halo subtil de la minuscule lady qui se boucha les oreilles, sanguinolentes d'une compassion assourdissante. La peur n'alléguait pas que l'on souhaite le malheur à quiconque, elle n'avait même jamais lancé d'imprécation sur la pauvre bête en détresse lorsqu'elle avait dardé un regard dûment alouvi sur la pouliche – qui par miracle, n'avait point encore pris les sabots à son crin en dépit des circonstances. Le papillon revenu dans la chrysalide de laquelle il avait subito éclos, enhardi à ce point qu'il en avait omis que même l'aquilon pouvait lui froisser les ailes, il ne redressa le bleu irien vers le grand chêne auquel il s'était accolé que lorsque ce dernier lui fit une suggestion inopinée. Un jeu, en pareille crise ? L'ingénuité avala rond la sagacité, et la demoiselle écouta les règles tout en réitérant leur écho dans son esprit fébrile. Elle n'était pas sûre de vouloir être badine, lui aurait-il simplement sommé de ne pas mouvoir d'un cil qu'elle aurait accepté sans maugréer, mais la dimension ludique eut au moins le mérite de la rasséréner un tant soit peu. Elle agréa d'un hochement du chef, consciente malgré son jeune âge qu'au vu du contexte, il ne lui fallait plus commettre d'impair. Ce fut d'un œil inquiet et emmaillotée dans son manteau à l'épaisseur étrangement rassurante qu'elle observa la vaillance du lord, retenant ses hoquets effarouchés de le déconcentrer dans son entreprise, jusqu'à ce qu'il parvienne au cheval. En moins de temps qu'il n'en fallut pour le dire, il virevolta et fit le chemin inverse pour atteler la fugueuse à sa mère, dont le souffle rocailleux semblait la vitupérer – du moins, aux yeux de la songe-creuse. Après tant de péripéties, Jora serait fort heureuse de retrouver la sûreté et la chaleur du foyer Snowhelm, ainsi que les bras paternels dans lesquels elle n'épancherait toutefois aucune confession sur ce qui serait arrivé plus tôt. Mais contre la logique même, alors que leur mission était couronnée de succès, Dralvur ne sembla pas encore prêt à retourner à ses pénates.

Après s'être plus ou moins efficacement remise dans le sens adéquat de chevauchée, elle saisit les brides sans comprendre et se farda d'un air stupéfait, transie par l'importante responsabilité octroyée. « Hin-hin. » Fit-elle seulement en bougeant de nouveau le crâne de haut en bas pour illustrer son accord, toujours sans concevoir la teneur de sa prochaine traversée même une fois qu'il fut aux abords du prédateur. Il n'était pas l'Homme qui murmurait à l'oreille des loups, mais au moins, fut-il celui qui ne les délaissait pas dans une lente agonie et pire sort hypothétique si les braconniers le retrouvaient. L'éclat fulgurant de la lame fit soubresauter la pauvrette, qui biaisa abruptement le minois pour ne pas avoir à mirer la mise à mort, qui était aussi une mise en liberté. Le glapissement suprême fit hurler l'hiver dans l'âme infantile, un frisson lui lécha l'épine dorsale et elle se mordit la lippe pour ne pas verser de larmes. La moue chagrine et les calots jaspés d'étoiles pas plus ébaudies, elle entendit la péroraison du sieur et se jura d'en retenir la morale, puis il la rejoignit, et contre lui, échoua la petite carcasse harassée. A sa question et au privilège affilié, elle ne répondit qu'un haussement d'épaules, la mine basse, mutique dans la houle émotionnelle qui ballotait son être. Elle ne pouvait décemment se remettre d'une telle expérience aussi rapidement que lui, qui avait déjà côtoyé la Mort sous bien d'autres formes. Pour Jora, c'était la première de toutes ses rencontres avec Elle, si l'on occultait le fait qu'elle lui avait offert sa mère en triste holocauste le jour de sa naissance. Il lui fallait réfléchir, entreprendre une approche infimement moins candide de la vie et de ses vicissitudes, ce qu'elle fit la majeure partie du sentier boisé qui les conduisait vers la demeure patriarcale. Ce ne fut qu'à l'orée de la barbacane que le pépiement juvénile s'éleva enfin.

« Tu as bien fait, tu sais. » Elle se contorsionna pour distinguer le faciès hirsute. « Pour le loup. Ce n'est pas bien de le laisser souffrir. Les animaux se font mal quand ils en ont besoin, comme pour manger, mais l'Homme... certains prennent du plaisir à ça, je crois. » Elle baissa les yeux, puis les reposa sur l'horizon, et sur une voie pentue dont la montée se promettait plus laborieuse que la descente. « Mhmh. J'ai compris la leçon. » Elle hocha une fois la tête avec une détermination fascinante, heureuse que quelqu'un daigne lui expliquer un principe aussi fondamental sans éconduire sa curiosité pourtant légitime, comme avait marotte de le faire son pater. Eviter les sujets épineux pour la préserver dans l'innocence de son âge partait d'un bon sentiment, mais ce n'était diable pas une solution, ce n'était qu'un cautère que l'on voulait faire passer pour une panacée, et l'impéritie était une gangrène. Un timide sourire illumina ses traits chérubins, puis elle conclut. « Je vais appeler la pouliche Frimas. C'est joli, Frimas. »






J
ernvugge était une ruche anthracite aux avettes cannibales, des landes hostiles à qui ignorait comment jouer d'estoc, de taille et d'éloquence. Les ères évoluaient, et la loi du plus fort demeurait, s'aiguisait au gré des ambitions, au gré des séditions. Le Jeu des Trônes n'avait aucune accalmie, elle ne berçait jamais que d'une cantilène funèbre à laquelle il ne fallait pas tendre l'oreille, et soutenu par l'ancestrale alliée qu'était Dame Fatalité, il devenait l'échiquier du monde, une balance instable de choix et de sentiments. La malignité du fatum voulait que l'ondée tombe sur tout le monde pareil, honnêtes comme perverses gens trempées d'une pluie qui n'oignait leurs fronts que pour en faire les cibles des démons. Ceux-là, avaient causé bien d'irréversibles ravages, aux prémices de la saison équinoxiale, même le plus probe des amours était inapte à lui résister. Redcliff avait été plongé dans une apocalypse moribonde, et à jamais, le logement immémorial semblait avoir perdu sa lumière. C'était parce que les réminiscences y étaient vivaces et affligeantes qu'elle n'en avait plus revu les murs pourprins depuis... l'indicible tragédie qui avait fauché une âme noble, les avait privé d'un archange que l'on ne pleurait plus désormais que dans un silence reclus.
C'était parce que la Main savait que le plus loyal de ses féaux n'était plus, et ne serait plus jamais celui qu'ils avaient connu, qu'il l'avait pressé de quitter son territoire terni le temps de quelques aubades politiques. Avec ces températures anormalement basses qui taraudaient le royaume de glace, avait amarré nombre de discordances commerciales et autres déconvenues de cet acabit qu'Hulgard s'échinait à maintenir sous son contrôle. Kalanar était trop embesogné par ses lubies dévoyées pour garder un oeil véritablement efficace sur les affaires de sa propre contrée, bienheureux de pouvoir sustenter son oisiveté tandis que son illustre bras droit empêchait le chaos de tous les avaler. Ce dernier avait ses défauts, mais il était décidément aguerri aux moeurs gouvernementales au point d'être devenu indispensable à cette cour. Indispensable certes, mais lui-même intelligemment entouré, et c'était bien pour désentortiller ses pensées et stratégies qu'il avait fait appel au fils du septentrion le plus ingénieux et perspicace présent dans son entourage. Après des heures d'une immersion courtisane éreintante à même le palais royal, le binôme avait trouvé refuge au quartier des chaumes, dans l'hôtel Ebonhand où la vie familiale n'avait jamais brillé de par son animation.

Plus encore alors que l'unique héritière était calfeutrée dans ses appartements, sous ordre péremptoire de son père qui avait décelé un début de fièvre – bénin, mais rien ne l'était concernant sa fille. Ainsi donc, ce fut entre hommes qu'ils soupèrent, ergotant sans nul cesse de thèmes tous plus controversés les uns que les autres, non sans l'amère et véridique impression d'inhumer un problème pour en voir deux nouveaux germer de la sépulture du premier. Une conversation sans répit, qui les avait mené à travers les succulences culinaires jusqu'à tard, où ils disposèrent dans l'un des salons, au plus proche d'un âtre où le feu crépitait. Breuvage vineux comme éternel comparse, ils avaient poursuivi, jusqu'à ce qu'un silence songeur ne les isole chacun dans leur contenance – du moins, en était-il ainsi pour le maître de maison, qui traça les contours de sa toison du bout des doigts. « J'ignore ce que le sieur Drystar a en tête, mais il serait plus sage de rester aux aguets, je gage que lui envoyer un espion serait de bon ton... Qu'en penses-tu ? » Les secondes s'écoulèrent, mais ne vint aucune réponse... si bien que les prunelles smaragdines obliquèrent vers l'interlocuteur muet, et constatèrent que celui-ci était à plus de mille lieux quelque part dans son esprit. « … Dralvur ? » Retenta t-il, sans succès, les onyx de l'Ours restèrent fixes sur la danse ignée, et il ne sut malheureusement que trop bien vers où ses souvenirs pérégrinaient. La viduité changeait un homme, en altérait jusqu'à sa quintessence, surtout lorsque l'on avait aimé passionnément. Hulgard avait apprécié, mais jamais adoré feue Velanna, sa condition de veuf était un caprice du destin qu'il avait accepté. Il ne pouvait réellement comprendre, mais il compatissait, et ne prit d'ailleurs pas l'absence du Snowhelm pour lui. Il se tut même, n'insista pas pour laisser le temps au temps et le lord redescendre sur terre. Il s'apprêta à lui suggérer d'achever là la soirée lorsque l'on frappa à l'huis, réveillant instantanément la scène torpide, et un domestique manda la Main. « Je m'en vais m'occuper de cela, je reviens. » Le dignitaire posa sa coupe et se leva, parcourut une faible distance, puis s'immobilisa. « … si jamais tu ne te sens point de regagner Hoarfrost, sache qu'une chambre t'accueillera ici. » Il se tourna suffisamment pour l'apercevoir du coin de l'oeil, et sortit ensuite pour vaquer à son devoir.

Les minutes fluèrent, avant pour seule musique, les susurres des flammes. L'astre sélénite luisait déjà haut dans la voûte céleste, noire d'obsidienne sans le moindre astre. Une étrange nuit, comme hors du temps et de la raison. La porte piaula de nouveau, ramenant plus tôt que prévu celui que d'aucuns auraient parié être l'hôte. Mais les foulées furent aériennes, plus discrètes qu'assumées, et aucun phonème de rogomme pour annoncer le retour de l'auguste rhéteur, pour la simple et bonne raison qu'il ne s'agissait pas de lui. A la périphérie dextre du convive, apparut une cascade lactescente bien plus longue et ondoyante que le crin d'Hulgard, et deux gemmes myosotis à la nitescence pusillanime. « Dralvur ? » Elle vint plus proche, là où il pourrait la voir sans se vriller les cervicales. « Est-ce que tout va bien ? » S'enquit le carillon cristallin, les phalanges nouées sur les broderies de sa robe de chambre. Jora pencha un minois un peu rubicond sur le côté, les pommettes et la saillie nasale brûlées par une température un peu trop élevée, mais qui ne l'obligeait pas pour autant à garder la couche comme l'estimait son pater. Après qu'ils se soient observés, elle lui offrit une risette timide mais sincère, jeune lady ni tout à fait enfant ni tout à fait adolescente. « Je sais que je devrais être au lit, mais je trouvais cela un comble que tu sois chez nous et que nous ne puissions même pas nous adresser un mot. J'aurais aimé souper avec vous, mais tu connais Père... lorsqu'il pense que je suis souffreteuse, je n'ai rien le droit de faire, ni celui de voir quiconque si ce ne sont mes nourrices. J'avais envie de te voir, quitte à me faire disputer... »

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Dralvur Snowhelm

Ours cendré d'Ibenholt

Dralvur Snowhelm
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MessageSujet: Re: Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora)   Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora) EmptySam 14 Juin - 11:13

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Le passé pèse sur le présent

comme le cadavre d'un géant.
jora & dralvur

☩ NEUF ANS AUPARAVANT ☩

L’insipide feudataire était en proie à la dormance. Si, de son devoir de seigneur, il en faisait un zèle de responsabilités, son devoir d’homme était, à n’en point douter, devenu l’égal d’une comète déchue. Il avait, depuis maintenant quelques lunaisons, perdu son firmament comme un supplicié perdrait sa tête, dépossédé de son segment le plus vital et spolié de son trésor le plus cher et inestimable ; son épouse et aimée s’en était allée comme la nuit s’autolyse au profit de son confrère le jour. La perte lui avait été bien plus que térébrante, à la limite de l’endurable, et si le soulagement de voir poindre en cet obscur horizon le glas de cette terrible affliction lui avait apporté quelque vain répit, la dilection immensurable qu’il avait voué – et vouait encore – à Léanalda l’avait conduit à un sempiternel spleen qu’aucuns, pas même ses propres fils, n’avaient pu altérer. Ainsi trouvait-on l’Ursidé dorénavant bien sombre, spectre de sa propre ombre voguant dans les corridors de son auguste castel telle une bise hiémale, glaçant, sur son passage, figures et cœurs de par son austère réserve qui le conduisait tantôt à diriger d’une main de fer, tantôt à s’exprimer d’une langue d’acier. N’ayant jamais véritablement abjuré son patrimoine raboteux de fier, opiniâtre et taciturne lord de la maison Snowhelm – comme tout aïeul avant lui – il était toutefois parvenu au fil des années à épointer les arêtes de son blason au profit d’une bonhomie, certes modique, mais somme toute estimable pour le quidam. A commencer par son éprise. Et maintenant qu’elle n’était plus aux côtés du dynaste des Ours, le colosse devenait cariatide d’argile croulant sous le fléau d’un affect brisé. Pour qui allait-il désormais rire ? Pour qui allait-il désormais attiédir et dulcifier sa voix de rogomme ? Pour qui diables allait-il vivre, sinon qu’à travers le pensum de sa tutelle ? Le lacis existentiel perdait de sa valeur, une fois que l’on était annihilé de son guide, de son étoile. De sa femme. Le silence était devenu son plus triste ennemi, conquérant son fortin, ses terres et toute lande qu’il foulait, d’un frimas de givre dans lequel aucune lippe n’osait plus se décacheter si ce n’était pour l’informer ou souscrire à ses directives. Non pas qu’il s’en plaignait, puisque l’ermitage lui seyait comme une manicle, mais nul doute que cela n’aidait en rien son amnistie d’âme abîmée. Les journées passaient à présent comme le zéphyr effleure les falaises, et n’étaient plus cadencées que par la pléthore d’obligations dues à son rang et à son statut de père. Bien que, dans l’ensemble, il préférait encore s’adonner à la première plutôt qu’à la seconde, non pas par veulerie de reprendre, seul, le flambeau parental, mais par inextricable géhenne éprouvée à coudoyer ses enfants, apanages vivants de celle qu’il pleurait en silence. Ils avaient ses yeux. Ils avaient son crin. Ils avaient jusqu’à sa douceur lorsque, badins, ils s’esclaffaient aux éclats. Quel cruel jeu qu’était-ce là, pour les déités, que de le confronter à chaque nouvelle aurore aux échos de son tourment ? A trop aimer, il s’égarait. Car au-delà des apparences, devant lesquelles tous faisaient halte, il portait en son for l’affection pour ses fils comme un chêne porte avec force et foi sa coupole de foliation.

Aussi, prendre congé, pour quelques jours, de sa tanière almandine était devenu pour Dralvur l’unique intermède salutaire qu’il avait trouvé – outre celui d’envoyer ses héritiers gîter chez leurs grands-parents askevalois –, pour restreindre au supportable cette névrose dont, il en était persuadé, personne n’en aurait dûment assimilé les arcanes. L’aurait-on traité de père indigne que cela lui aurait peu importé, indifférent qu’il était aux rumeurs et autres clabaudages à son encontre, tant qu’il connaissait le véritable alliage dont il était fait. Il n’avait besoin de quiconque pour lui dire ce qu’il était, encore moins ce qu’il devenait, car lucide il restait malgré la démence de son cœur. L’esprit dominait à présent, encéphale impérieux de raison et d’acuité, et s’il y avait un quidam face auquel il se sentait pouvoir être sans se parer d’artificieux atours, c’était bien Hulgard Ebonhand dont il partageait autant les années d’amitié que la seigneuriale déférence envers la politique et les offices de grands hommes. Les affaires du royaume et du quorum nobiliaire était une flèche à son arc dont il se délectait de la constance, l’occupant jour et nuit s’il le fallait et s’il en avait décidé ainsi, et qui prenait dans son cycle embesogné le plus clair de son temps. Il aimait à croire que sa neurasthénie devenait quintessence d’entrain, quand bien même acharné, et que, dans son malheur, il devenait aussi fécond de labeur que de persévérance. Hélas, quelques lézardes subsistaient dans ce nouvel exosquelette en fonte, et tout acétifié qu’il était, il n’en restait pas moins humain, assujetti aux troubles souvenances que des instants comme celui-ci, nocturne et lové contre les flammes d’un âtre, ne faisaient qu’accroître. La valse ignée devenait alors chrysalide de réminiscences autant pesantes que mélancoliques, absorbant le grave châtelain dans quelque sombre retranchement que le ressac éthylique n’arrangeait en rien. Des heurts portés contre huis le ressuscitèrent néanmoins, triomphant là où son compère avait échoué, et le faisant sourciller en tirant ses gemmes d’onyx de leur ardent écrin. Sans toutefois vriller la nuque jusqu’au laquais, il se mit à contempler un angle de la pièce tout ouïe à la sollicitation que celui-ci exprimait avec platitude. Mandé, l’hôte se retira sous un haussement de menton de la part de l’Ours son convive, mutique et dénué de simagrées là où le silence se suffisait à lui seul, descellant cependant ses lippes à la mansuétude accordée. « Et je t’en sais gré. » Si les deux hommes s’épargnaient obséquiosités de gandins, ils savaient reconnaître en chacun la sobre bonté que leur fraternelle entente engendrait.

Ce n’est que bien plus tard, de nouveau happé par le pandémonium du foyer et la tyrannique mémoire d’une vie déjà bien vécue, qu’il fut derechef tiré de sa songeuse gâtine par, cette fois-ci, la venue d’une nymphette. Le crin moiré ne put guère le tromper, et si le visage poupon s’était mué en grâce plus féminine qu’enfantine, il ne lui fallut qu’un cillement pour reconnaître la petite Perle de ces sieurs. Là où, jadis, un sourire se serait volontiers glissé parmi les mailles de son faciès, un fade rictus attendri se contenta de sabouler ses ridules percluses de chagrin et de roideur. « Milady. » L’usage aurait souhaité qu’il s’adresse enfin à la demoiselle par le voussoiement des nobles mœurs, et, s’il en fut tenté l’espace d’un infime moment pour répondre au questionnement posé, la mutité de sa rocaille, prise au dépourvu ou lassé de devoir répliquer à cette sempiternelle interrogation dictée par nombre de gens, mua son salamalec en promiscuité tutélaire. Encore. Toujours. « Ne t’en fais donc pas pour moi. » Elle-même, après s’être amenée à le scruter comme on observe quelconque oncle apprécié, s’allégea de toute emphase pour deviser avec légèreté. « Ton père fait bien. Nul état n’est à méjuger. » Comble de l’ironie pour celui qui se disait être l’oriflamme insurgée de la doctrine parentale exercée par Huglard quelques années plus tôt. Mais il n’avait plus cette fougue vivace qui le bousculait des sentiers battus et la notion de maladie était devenue pour lui une épouvante que le deuil consolidait. Il s’adoucit toutefois, si ce n’était du portrait, au moins de ses calots d’ébène. « Mais j’apprécie ton hardiesse. Voilà bien trop longtemps que je ne t’avais vue, trois mois tout au plus, mais bien assez pour que tu grandisses encore et ne te transformes peu à peu en demoiselle. » Elle aussi, avait la douceur de sa mère. Il n’avait que trop peu connue Velanna, mais le peu dont il se souvenait subsistait indubitablement chez Jora, et, au plus s’en allait le temps, au plus elle lui ressemblait, si ce n’était parfaitement, au moins dans cette nitescence perceptible uniquement des séides Ebonhand. « N’aie crainte, je saurai défendre ta cause si jamais elle s’en trouve blâmée, quoi que je doute ton père suffisamment cruel pour t’arracher à moi. » Il esquissa un ersatz de risette et lui indiqua, doucement, le fauteuil à ses côtés, celui auparavant trôné par ladite figure paternelle. Il n’aurait, à dire vrai, supporté aucune autre présence que celle de la Main et sa fille en cette nuit cafardeuse. Attendant qu’elle prenne place, coudes scellés sur les accoudoirs et mains entrelacées, il débuta d’un timbre qui se voulait aérien mais qui ne fut, à meilleure écoute, que mélodie monocorde. « Sais-tu que Frimas a mis bas, il y a de cela dix jours ? Elle a mis au monde le plus beau poulain qu’il m’ait été donné de voir ; il est aussi noir que l’obsidienne, mais subsiste sur sa croupe des perles qui le pommèlent à l’égal de sa mère. » Il en parut fier, mirant le vide en faisant onduler ses commissures avant de sourciller. « Qu’en dirais-tu si je te l’offrais ? » Il en revint à l’enfant, traçant sur son masque un air entendu. « Bien sûr, je doute qu’Hulgard ne te permette un jour de monter quelconque cheval, mais cela me ferait grand plaisir que tu hérites de ce legs. Qui sait. Peut-être n’aurais-je jamais retrouvé Frimas si je ne t’avais pas prise avec moi le jour où elle s’est esbignée loin du haras. » Il ponctua sa phrase d’un haussement de sourcil et d’une vague inclinaison de crin. Déjà, à cette époque, sa chevelure n’était que kyrielle de mèches grises, assurément éperonnées par les arias du lord. « Ne te sens guère obligée, ce n’est en rien une astreinte, aussi comprendrais-je que mes lubies ne trouvent aucun écho en ton bonheur. Je suis un bien piètre baladin capable d’égayer le cœur d’une petite fille, j’en conviens tout à fait. » Un premier sourire naquit, mais il fut rudoyé d’une houle piteuse. A cela, il en revint à la contemplation du feu. « Conte-moi donc les dernières aventures de cette maisonnée. Je veux tout connaître de tes péripéties intra-muros. » Et ce disant, il mussa une partie de son attention pour ne plus écouter que la douce aubade d’un chant de rossignol éclos de la voix juvénile. Baume lénifiant à ses plaies gardées secrètes sous la cotte de sa tunique noire. Noire comme le deuil.

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Jora Ebonhand

Perle de Nacre

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MessageSujet: Re: Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora)   Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora) EmptyMer 18 Juin - 13:48


L
e décorum était une notion substantielle, mais superflue dans certains cas, et n'y avait nul besoin de se farder de simagrées dans l'antre de la Main. La nymphette s'était dévoilée en soie de nuitée – combien de fois l'avait-il vue dans cette tenue ? -, l'avait approché sans agrément aucun – combien de trésors d'ingéniosité avait-elle déjà déployés pour ce faire ? -, et avait fait preuve de privauté avec un naturel spontané – combien d'opportunités saisissait-elle à chaque rencontre pour abattre les tentures solennelles ? Elle rêvait de vie courtisane, mais ne pouvait se résoudre à agir en dame de société envers l'un des plus illustres châtelains du royaume. A ses yeux, il était une figure familiale avant d'être un lord, quand bien même Hulgard tentait-il vainement d'instiller cette idée qu'un lord se respectait en tant que tel, qu'importait l'affect concerné. Mais c'était cette proximité presque filiale qui faisait de Dralvur un être unique en son estime juvénile, elle qui chérissait si peu de repères en dehors des sempiternelles duègnes qui l'escortaient au quotidien. Elle se serait risquée à subir le courroux du maître de maison même si cela n'avait été que pour le saluer, bénir sa joue d'un chaste baiser avant de pendre congé aussi subtilement qu'elle s'était invitée. Toutefois, d'autres motifs moins badins l'avaient arrachée à sa couche : la tourmente, l'obscure intuition qu'une âme en affliction survivait péniblement en ce domaine impavide. L'unique convive du jour avait matière à se dématérialiser sous la vilenie de ses récents maux, elle le savait, et c'était bien là tout ce qui l'inquiétait. Elle s'en faisait, et aucune de ses mystifications ne réussirait à lui faire passer l'envie d'être auprès de lui, au moins pour lui apporter une once de cette tendresse féminine à laquelle il n'avait plus droit, le veuf qui n'avait que des fils. A défaut de croire à sa version concernant son état, elle fut au moins rassurée de voir qu'il ne la renvoyait pas à ses pénates avec promesse d'en référer à son suzerain, ses commissures labiales s'évasèrent un instant, puis elle aima également à croire que l'ascétique pater ne l'était pas au point de les empêcher de palabrer. Elle guigna le large fauteuil anthracite qui avait fait office de trône de fortune à ce dernier, puis s'y installa gentiment, trop menue pour épouser toute la place déjà chaude dans laquelle elle se sentit minuscule.

Jora leva une mine intriguée lorsque le locuteur aborda un sujet qui lui tenait à cœur, car d'une certaine façon, elle s'était liée à la fugueuse qui leur avait fait côtoyer bien des péripéties ce jour-ci. Une risette cette fois plus vivace anima sa physionomie, et elle s'exclama. « Vraiment ?! Ah ! Que j'aurais aimé être là, il doit être magnifique. Je suppose que tu ne lui as pas encore trouvé de nom ? Bien sûr que non. » Un ricanement cristallin joignit la mélopée de l'âtre, le Snowhelm était fier de son harras, mais il avait bien d'autres priorités qu'en baptiser chaque individu. Elle tenta de s'imaginer le nouveau-né, forte des descriptions offertes, avant de tomber des nues à la suggestion inespérée qui la gondolait de ravissement. Et le bougre osait mésestimer la valeur de son présent, une humilité qui aurait rendu la donzelle aphone si elle ne l'avait pas déjà été, aussi se hâta t-elle de remédier à l'incertitude inopportune du seigneur. « Han non, non ! Je veux dire... oui, je le veux, je l'accepte avec une joie incommensurable ! C'est trop, merci ! Merci ! » L'ébaudissement la fit céder à l'incoercible désir de l'étreindre, aussi bondit-elle de son siège pour rallier le sien et le gratifier d'une accolade, avant de se redresser et de demeurer devant lui sans se départir de son allégresse. « Oh, détrompe-toi, Père parle de m'apprendre à manier une monture. Il dit qu'il n'aime pas franchement la perspective de m'en voir culbuter, mais qu'une lady doit savoir tenir sur un cheval, qu'il s'agit d'une base d'éducation. J'ignore si j'aurais beaucoup l'occasion d'en faire, mais apprendre me plait, encore plus si je peux avoir le poulain de Frimas ! Enfin... je ne pourrai pas le débourrer moi-même, mais je le monterai ensuite ! » Dans les mirettes aigue-marine scintilla l'impatience égayée, l'Ebonhand s'égara même dans les landes de son imagination pour visualiser ce moment pour lequel elle se languirait désormais. Chevaucher dans les plaines middholtiennes était une utopie à laquelle elle n'aurait probablement jamais droit, mais sans rêves, la vie était trop insipide pour être vécue. Et dans le cas de la petite Perle, ses songes étaient les seules choses qui lui appartenaient vraiment, les seules que personne n'altérerait.

Après avoir recouvert un semblant de tempérance, la sylphide croisa ses bras dans son échine et entama un léger mouvement de balancier tout en réfléchissant, le regard levé vers les rideaux de brocart. « Il n'y a pas tant à narrer tu sais... Parfois, j'ai la sensation qu'ici, le temps se suspend, et que la rengaine ne cesse jamais. De l'aurore au crépuscule, je suis généralement accablée des mêmes rituels, je suis presque triste de ne plus être en âge de me cacher dans les placards pour épeurer Leonild. » La pansue domestique régnait avec despotisme sur les serviteurs du logis, toujours prompte à seriner la demoiselle et à rapporter à Hulgard les moindres bévues de ses consoeurs. Pas réellement vilaine, simplement peu affable. « Il n'y a pas longtemps, nous nous sommes dissimulées avec Irinwe après avoir abandonné un plateau de ses fameux biscuits au miel sur la table, et nous avons attendu. Nous l'avons prise la main dans le sac, cette gourmande Leonild, à les dérober pour les mettre dans son tablier. C'était désopilant, elle balbutiait, rubiconde de honte ou de colère, je ne sais pas exactement, sûrement les deux ! Mais elle en a été tellement vexée qu'elle s'est vengée, et il y a peu, elle a prétendu que je n'avais pas bu ma tisane avant le coucher. J'ai eu beau objecter, Père a préféré lui prêter foi, et j'ai dû en boire une deuxième sous ses yeux. » Elle frémit d'aversion et grimaça. « J'abhorre ces décoctions, j'en ai assez de tout ces breuvages médicinaux qu'il me faut ingurgiter sans raison. Et ces praticiens qui guettent sans arrêt la moindre crampe... je suis entourée, mais pas des bonnes gens, c'est frustrant. » La Main était à ce point paranoïaque – ou sustentait-il quelque dessein occulte – qu'il avait toujours une légion de médecins à disposition, et qu'il taraudait son enfant de potions et d'onguents alors même qu'elle se portait comme un charme, ce, depuis qu'elle était pouponne. S'il existait un quidam qui incarnait le Zèle, c'était bien lui. « Ces dernières lunaisons ont été tumultueuses sur le plan diplomatique, Père patauge dans la besogne, je le vois de moins en moins... Je ne lui en tiens pas rigueur, mais cela me rend... un peu triste. Il y a trois jours, il m'a autorisé à visiter les Iceveins, j'ai vu oncle Vorgrim, et aussi oncle Vorhem... même si lui, il me regarde toujours d'un drôle d'air. Je crois qu'il ne m'aime pas... à cause de... » Parce qu'elle avait purgé l'existence de sa défunte mère pour entamer la sienne, parce qu'elle lui avait dérobé sa sœur ce jour-là, le premier, et qu'il n'avait rien pu faire. Elle ne souffrait pas à proprement parler de la nonchalance du Parlemort, mais elle s'interrogeait sur cette indicible inimitié qu'il exsudait, sans trouver réponse. Et peut-être était-ce mieux ainsi.

Un rictus creusant sa joue, Jora frotta évasivement l'un de ses bras ballant, singeant l'incompréhension qui la tenaillait à chaque fois qu'elle discutaillait de Vorhem. Elle épura cependant son esprit et se mit à contempler le Snowhelm d'un œil inquisiteur, emprunte d'un mutisme concentré, et elle voulut décentrer l'intérêt de la conversation de sa petite personne. Le jeu de lueurs enflammées dansait sur un pan de la gueule hirsute, toile mélancolique du brasier qui réchauffait la fourrure du mammifère à défaut d'atteindre le cœur de sa houle, une vague à l'âme dont la sylphide était prête à essuyer le ressac, s'il le fallait. Et il le faudrait, se convint-elle, sirène plongeant dans les abysses des tribulations pour porter secours au naufragé en péril. Elle approcha plus près encore, ses phalanges foulèrent suavement le faciès raviné de l'Ours, qu'elle contraignit à relever le menton vers elle. D'une main étrangement maternelle, elle caressa les racines capillaires pour enjoindre aux mèches indociles de rester dans le rang, dégageant ainsi le museau de l'intéressé qui ne pourrait plus se tapir au revers d'un voile cendré. Là, la pulpe de ses doigts se mit à tracer l'entour du visage, elle ébaucha les rides du front, descendit le long de l'arrête nasale, et esquissa celles des joues. La fée peignit les traits avec douceur et minutie, comme si, à défaut d'être encline à refaçonner la sculpture, elle voulait en connaître toutes les aspérités, faire tomber le masque de dignité et apercevoir ce qui sanglotait en silence sous ce haut-relief d'apparence austère. La férue de lecture désirait lire l'opuscule vivant et inachevé auquel elle voulait aussi apporter son concours, avoir voix au funèbre chapitre que le sieur rédigeait à l'encre de ses regrets et au sel de ses larmes. « Tu sembles si fatigué... » Le derme d'albâtre fit chanter la toison rugueuse, puis le pouce passa sur les lippes scellées qu'il sembla vouloir redéfinir, bientôt aidé par le second pour étirer les coins et créer un sourire fugace, un sourire qui n'en était pas un. « Elle n'aimerait pas te voir comme ça... »

Et de cela, elle en était persuadée. Ce n'était point la délicate fragrance avinée qui avait occis ce qui naguère pulsait dans les noires agates cernées, la Regrettée s'était envolée avec une part de son époux, qu'elle ne rendrait malheureusement jamais. Elle-même embourbée dans une expression mélancolique, la jouvencelle finit par conduire le crâne de Dralvur contre elle, elle logea sa tempe sur son buste encore timoré et le prit dans ses bras, menton trônant sur le sommet de la tête qu'elle flatta dans une rythmique régulière, comme si elle était en train de le bercer.

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Dralvur Snowhelm

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MessageSujet: Re: Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora)   Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora) EmptyVen 20 Juin - 21:42

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jora & dralvur

☩ NEUF ANS AUPARAVANT ☩

Le Neurasthénique ne se défendit même pas, lorsque, d’une joie inopinée, la nymphette bondit et cabriola jusqu’à ses bras. Soulagé au paroxysme par le fruit de son étrenne, il cercla l’ingénue de ses bras noueux et exprima ce qui parut être un semblant d’éclat – toutefois diablement jugulé par la maussaderie de ses affects qui faisait de ses cordes vocales un fanum sablonneux. Dire que le patriarche n’était nullement acclimaté à pareille crépitation joviale eût été une bien belle litote, car de sa descendance masculine, aucune verve exubérante ne s’en était jamais réchappée. Lui-même n’aurait que trop peu admis un comportement volubile de la part de ses fils, trop roide et grave qu’il était dans sa besogne éducative, mais Leogran et Jedath possédaient en eux ce que tout Snowhelm fécondait en son for ; cette majesté niellée d’une franche austérité que les années fourbissaient à l’image du zéphyr ciselant le Solvkant. Oh, certes, leur jeunesse les acagnardait sans nul doute, et de cela, il ne pouvait lui-même pas les abriter – fût-ce peut-être en les disjoignant l’un de l’autre et les envoyant chacun dans deux beffrois opposés du castel pour quelque ermitage rigoriste –, mais force était de constater qu’il ne savait rien, ni n’était préparé à rien, des stupeurs constantes qu’avoir une fille occasionnait. Il ne pouvait que trop comprendre Huglard qui faisait de son enfant l’unique perle de son écrin, et même s’il avait été coutumier pour l’Ours d’arguer la paranoïa de la Main, il savait au fond de quel bois se chauffaient les arias paternels. Si Jora avait été sang de son sang, chair de sa chair, sûrement l’aurait-il édifiée à l’égal d’un astre, à plus forte raison qu’elle représentait à elle seule l’unique ramille d’une dynastie immémoriale. Mais elle n’était point sa fille, pas plus qu’elle n’était sa nièce. « Tu m’en vois ravi. Je n’ai que trop hâte de te voir chevaucher comme une dame. » Et ce disant, il discarta ses commissures en une risette de miel. Ses fils, Leogran plus encore, grandissaient tant depuis les dernières lunes qu’ils  semblaient avoir ingurgité quelque sibylline potion à laquelle, las, tout bambin succombait. L’adolescence les étreignait à peine que l’âge adulte viendrait bien assez tôt pour moissonner leur candeur et leurs traits juvéniles. C’était à la fois apaisant pour le triste seigneur de Redcliff qui, estropié de son épouse, avait perdu son équilibre pédagogique, et à la fois terriblement alarmant pour le père qui souhaitait ne jamais voir ses garçons devenir hommes. N’était-ce pas là le plus occulte secret de tout parent ? Préserver le temps dans sa paume pour quelques autres étreintes ou moments partagés ? Encore fallait-il que, de ces étreintes et lesdits instants, il en fût l’artisan. Il ne regrettait, en fin de compte, que ce sont il rêvait en silence et qui jamais ne saillait hors de son exosquelette. Et qu’en était-il d’Hulgard ? Observait-il son séraphin de nacre s’épanouir en femme avec l’identique tourment qui tarabustait son vieil ami ? Oui, Jora aussi, deviendrait bien assez tôt une dame, et aux côtés des oursons devenus lords, ils formeraient tous trois la nouvelle postérité des deux maisons affidées. Et tandis qu’il mirait, silencieux et attentif, l’enfant discourir de ses mésaventures, il se prit à façonner dans le kaolin de son esprit l’éventuel portrait que le futur leur réservait tous trois. Si les dieux le voudraient, peut-être son aîné allait-il épouser la nymphette, pérennisant ainsi les ancestrales unions entre Ebonhand et Snowhelm dont les deux souches étaient percluses, mais avant de pouvoir extrapoler plus encore dans le calice prolifique de son imagination, quelque chose attira la vigilance cérébrale de Dralvur. Sourcillant puis fronçant sa ride du lion, il murmura en écho du soliloque. « Des breuvages médicinaux…? » Voilà qui était pour le moins excessif, et s’il commençait à s’habituer au zèle tutélaire de la Main, il craignait là entendre un truisme jusqu’alors tu par Hulgard. L’ingénue était-elle bel et bien souffreteuse ? Cela aurait tant expliqué des agissements de son père, et à la fois tant accablé l’Ours, qu’il mussa la pléthore d’interrogations qui lui vinrent au palais pour ne torsader ses fines lippes qu’en un rictus pensif. Il ne souhaitait pas véritablement connaître le fin mot de l’histoire, supposant – peut-être à tort – que son frère d’armes ce serait donné la peine de partager tel aveu. Il aima à le penser. La maladie était devenue son Némésis, à un point si névralgique qu’il ne se serait jamais relevé d’une seconde perte aussi précieuse que l’effigie de son adorée.

L’entendant remettre en question sa sombre genèse et les sentiments abscons de Vorhem Iceveins, l’échine du seigneur se redressa tout-de-go pour permettre à l’une de ses épaisses paluches d’accoster la rotondité d’un petit bras. « Jora, non. Ne t’égare pas dans de si calamiteuses réflexions. Je sais que la culpabilité est un poison qui nous empuantit tous autant que nous sommes, mais de grâce, ne t’y noie pas de la sorte. Ton oncle Vorhem est un homme… » Il parut chercher ses mots, les dulcifiant par quelque subtilité dont il était absolument habile, lorsqu’il en prenait le temps et y mettait la foi. « C’est un homme que les affres de la vie, et particulièrement de la mort, ont rendu sombre et sépulcral. Je doute qu’il soit plus affable avec quiconque, mais cela n’insinue guère qu’il porte à ton encontre quelque rancœur que ce soit. Les êtres rongés par leur propre noirceur s’abîment parfois si loin en leur for qu’il leur est ardu de remonter à la surface, ne serait-ce que pour mirer l’éclat d’un rayon de soleil ou tracer sur leurs bouches l’écho d’un sourire. Laisse ton oncle là où il a décidé de sombrer et ne te laisse plus fourvoyer par les apparences, veux-tu bien ? » Sa patte, protectrice, émit une pression aussi éthérée que tendre. Il ne voulait en aucun cas que les radicelles névrotiques du Iceveins ne s’en prennent à la paix intérieure – et si précaire ! – de la jouvencelle, quand bien même eût-il forcé le trait sur la mélancolie de cet homme qu’il connaissait pourtant suffisamment pour ne point en faire quelque pasquin d’accablante satire. Mais le bien-être de Jora prévalait nettement sur la notoriété de Vorhem, et nonobstant les quelques échanges entretenus avec celui-ci à propos de l’héritière Ebonhand, il se souhaitait herse à toute angoisse superflue pour le jeune cœur encore pur. Là encore, il ne savait guère si les funestes augures du Parlemort à l’encontre de sa nièce étaient véraces, mais il fallait être fou ou damné pour rudoyer un ange déjà suffisamment meurtri. Mordiable ! D’un agacement de taureau, il se mit à fléchir de la nuque pour contempler la boiserie du sol que l’âtre moirait d’ondes chatoyantes, avant de sentir, subito, les frêles menottes de la douce enfant venir cajoler la rusticité de son effigie.

Docile et coi, il la laissa faire, redressant sa mâchoire hirsute d’Ours en humeur pour vêtir non plus le masque d’un quant-à-soi irrité, mais celui d’une accalmie confuse. La douceur féminine dont elle sut faire preuve le désarçonna tant et si bien qu’il perdit autant de ses mots que de ses fers méditatifs, ne laissant plus à ses orbes d’onyx que le soin de la scruter au rythme de son souffle et à la cadence de ses pulsions cardiaques. Elle lui offrait, sans le savoir, cette inestimable sérénité qu’il avait traquée comme un dément tout au long des dernières lunes, et du haut de ses quelques années chétives, parvenait à lui léguer ce qu’aucun être n’avait pu accomplir depuis son deuil ; l’armistice, quand bien même fugace, de son térébrant ressac émotionnel. Chaque toucher devint un baume pour ses plaies qui putréfiaient jusqu’alors le colosse d’ursidé, chaque regard devint nectar de jouvence pour son âme assoiffée égarée dans l’erg incommensurable du chagrin, et lorsqu’enfin, le phonème gracieux de la Perle se permit de bruire et que vint le récif d’une étreinte bégnine, l’épigastre du feudataire, tout digne et puissant put-il être, se souleva en emportant avec lui le ciment de ses lèvres. L’on pu lire alors les runes de la tristesse s’émanciper en corniches silencieuses sur le visage masculin, tandis que la même main se dressait derechef contre le rachis de Jora et empoignait l’étoffe sous ses blanches phalanges pour juguler le typhon qu’il sentait poindre. S’il n’y eut d’abord que le silence pour tout monarque, vinrent ensuite les plaintes rauques d’un homme en pleurs, frémissant comme une piètre feuille sous l’aquilon automnal. Il n’avait versé pas l’ombre d’une larme devant quiconque, jamais depuis qu’il s’était esbigné de l’époque juvénile, jamais, même, devant Léanalda, faisant de sa virilité une force de bronze. Mais le titan harnaché d’honneur et de panache s’écroulait enfin, aux pieds de l’oiselle pas plus dense qu’un fétu d’ivoire.

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Jora Ebonhand

Perle de Nacre

Jora Ebonhand
Perle de Nacre
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ARRIVÉE : 26/03/2014
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MessageSujet: Re: Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora)   Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora) EmptySam 21 Juin - 19:53



Cinq ans Auparavant

Q
uartz sondant l'onyx, les calots inquisiteurs quêtaient avec immodestie, labourant les tréfonds spirituels du seigneur hispide pour apercevoir la source d'idolâtrie, celle qui abasourdissait l'animal d'ineptie. Car il était candide, l'auguste ursidé, bercé par la mystification de ses affects, aveuglé par cette dilection à laquelle tous se laissaient prendre. Tous, sauf lui. Le frère taciturne, l'ancien sigisbée qui avait délaissé sa flamberge pour les patenôtres abstruses, lui, qui avait renié le jeu des trônes pour ne se vouer qu'à une philosophie qui n'échappait que trop à l'entendement du commun. Il la maudissait, son hypersensibilité intangible et mortifère, peut-être autant qu'il la chérissait, parce qu'elle lui permettait au moins de ne pas  obtusément suivre le troupeau, quitte à être le mouton noir parmi les laines ivoirines. Et il l'était, cette entité à la toge sépulcrale qui effrayait encore plus qu'elle ne fascinait, pourtant... il n'exsudait pas d'une aura plus obscure que celle de la Perle, tout n'était qu'un subtil leurre d'apparence. « Ne me donnez pas cette oeillade milord, ce n'est point forfaire à l'honneur de ma maison que de ne pas suivre son idéologie féodale. Mon frère est amplement plus digne de cette tâche que je ne le suis, nous serions trop de deux. » Du haut de sa vingt-septième année, le Parlemort d'une décennie d'expérience ne semblait pas faillir devant plus noble et plus âgé que lui, impavide, simplement persuadé de ses dires. « Là n'est de toute façon pas la question, la Main du Roi est un spectre depuis bien trop longtemps en perdition pour que je ne m'intéresse à son cas. Ma nièce en revanche... » Vorhem égara une oraison silencieuse, plus que conscient qu'il s'apprêtait à poser le pied sur les premières braises d'un sentier infernal. « Elle est moins une oasis dans votre traversée du désert que vous n'êtes à même à le croire aujourd'hui. Les cautères mentent, ils n'ont rien de lénifiant, et attendent que les germes de la gangrène soient prompts à s'étendre avant de révéler leur véritable nature. Vous en devenez tributaire, dupé par leur fragrance vénéneuse, par leur aspect de soie immaculée. Pensez-vous que le blanc est l'antipode du noir, monseigneur ? Leur complémentarité en fait des gémeaux dont vous ne soupçonnez pas de la dangerosité ni du paradoxe. » Le prêtre d'ébène soupira, comme accablé, massant l'arrête de son nez du pouce et de l'index. « Des ténèbres sont en faction au revers du plus séraphique des masques, ce n'est qu'une question de temps avant qu'elles ne souillent quelque âme infortunée et ne la transforment en engeance. Ce jour-là, je vous souhaite d'être loin. » Il redressa le chef, et distingua dans le râble du châtelain, le galbe de l'aîné Iceveins qui s'en venait à la rencontre de ce dernier. Plus sage serait de prendre congé ici, car Vorgrim n'avait de pareille à sa superbe que la véhémence de sa loyauté féale. « Puissiez-vous être sous la grâce des dieux... mais nul besoin d'être un fils de Veloth ou même un Parlemort pour augurer que si les choses continuent ainsi, nous en pâtirons tous. »



Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora) 759759sep


L
es sabots pilonnaient sur le pavage humide et abîmé, traduisant la prestesse d'une cohorte aux capes moirées par les faisceaux sélénites. La lune, ronde et imposante, les talonnait aux prémices de chaque venelle, pour les ravaler de sa nitescence opaline à la sortie, ne leur octroyant aucune retraite dans le dédale citadin. Mais les cavaliers galopaient, sans prendre le soin de biaiser leur itinéraire pour d'éventuels noctambules qui virent leurs réflexes mis à rude épreuve. Un malheureux pochard tout juste sorti d'entre les chairs d'une ribaude se tint au centre de la voie, une seconde, peut-être moins, entre l'instant où il aperçut le museau busqué du destrier et celui où il percuta le plastron chevalin. Comme une poupée de chiffon, il roula sous les pattes ferrées qui brisèrent le crâne et disloquèrent les os au point qu'il ne fut plus qu'un vestige informe de ce qui eut naguère été un homme. Pas une seule lorgnade ne vint s'enquérir du dommage collatéral, la troupe bifurqua dans la ruelle senestre et arpenta le quartier des Chaumes jusqu'au calcaire d'une demeure alliée. Là, ils firent fi des lugubres hurlements du Solvkant pour s'immobiliser à l'orée des herses d'obsidienne où la fidèle soldatesque les apostropha, soudainement enfiévrée au clabaudage péremptoire du meneur qui fit tonner son phonème, effarouchant sa propre monture alors incapable de faire preuve de calme et expectorant une volute blanchâtre à l'instar d'un dragon au feu assoupi. Fort heureusement, les grilles piaulèrent vite et ouvrirent la voie jusqu'à l'atrium où les accueillirent de haut-reliefs anthropomorphes, qui eux non plus, n'eurent pas l'ombre d'un intérêt pour le seigneur aux bras comblés d'une précieuse charge. Le souffle erratique et l'oeil démentiel, il écarta les pans de la couverture pour apercevoir le minois exsangue de la silhouette emmaillotée qu'il transportait. Ses doigts épousèrent succinctement la pommette gelée avant que, sans aucune aide, il ne descende de son juchoir et dépasse tous les subalternes domestiques pour pénétrer dans le logis, comme un dévot éperdu se précipiterait à l'intérieur d'un lieu de culte pour se réfugier. Ce ne fut qu'une fois dans les corridors qu'il héla un serviteur pour qu'il le conduise séance tenante au maître de maison qui, grâce au ciel, n'était pas de sortie ce soir. Galvanisé par la détresse de l'instant, il courut plus vélocement encore que le bougre sans lest, et il ne laissa fichtre pas le loisir à ce dernier d'entrer le premier pour annoncer le convive inopiné, comme l'auraient souhaité les formalités.

« DRALVUR ! » Tonitrua Hulgard, non sans manquer d'enfoncer l'huis et de piétiner le valet par la même occasion. Dans la pièce, il vit le galbe patriarcal soubresauter et un faciès atterré se tourner en sa direction, et il y avait fort à gager que l'angoisse blême de la Main ne contribuerait pas à le rasséréner. « J'ai besoin de toi ! Jora ! » Le nom sacré prononcé, il fit diligence jusqu'au divan où il déposa enfin l'effigie momifiée, du crâne de laquelle chut le textile pour dévoiler une donzelle plus blafarde que la saillie montagneuse sur laquelle avait été façonné Jernvugge. Les lippes charnues s'étaient gauchies d'une teinte pâle, les mirettes étaient cerclées, rougies et scintillantes d'une ineffable désolation, la joliette crinière argentine plus qu'un enchevêtrement de noeuds, et la bonhomie juvénile plus qu'un souvenir chétif. Le regard fixe sur une encoignure quelconque comme s'il y flottait un fantôme, Jora était absente, happée au coeur d'un insondable vortex duquel les attentions paternelles ne purent l'extirper. A deux, ils s'échinèrent à la ramener sur terre, récitant les mêmes incantations en kyrielle sans que cela ne provoque la moindre réaction chez la demoiselle, qui ressemblait à s'y méprendre à un macchabée sortit de sa sépulture. Ce ne fut que lorsqu'un tiers s'immisça hardiment sous le bras du dignitaire, que les tisons de la vie animèrent le portrait filial, qui scruta les gemmes de l'ourson venu à sa rescousse. Le lord Ebonhand se rehaussa, hagard, pantois face à l'apparition presque chimérique de Jedath, qui avait probablement entendu le vacarme orchestré depuis l'endroit où il s'était trouvé. La liaison adolescente immergea le salon dans une ambiance inintelligible, laissant les parents cois devant la puissance relationnelle de leurs enfants respectifs, car à peu de choses près, il aurait été aisé de croire qu'ils communiquaient dans un idiome aphone. Il fallut quelques secondes, nichés dans une faille temporelle, avant que les traits féminins ne se fissurent en mime inconsolable et que la sylphide n'éclate en sanglots spasmodiques sur l'épaule amie.

L'aube avait pourtant été anodine, et ce jour, promis à aucune arcane. Voilà quelques semaines que la Perle était officiellement devenue femme, encline à porter en sa matrice le fruit d'une union providentielle pour perpétrer un patronyme. Pour autant, son géniteur n'avait entamé aucune recherche de parti, ou s'il l'avait fait, il s'était bien gardé d'en informer quiconque, et sa vie restait ce même rosaire de rituels duquel naissait un désir subversif de changer, d'évoluer. Pour la première fois, la jouvencelle avait osé guerroyé pour ses intérêts, demandant des comptes à son cerbère et s'élevant avec témérité contre ses réponses exhaustives. Outré et bien plus expérimenté en matière d'autorité que ne l'était sa fille, il n'avait pas fallu longtemps avant que le sieur n'endigue l'indiscipline et ne la châtie d'une sanction exemplaire, elle qui eut justement été censée écouler sa journée en compagnie de Jedath en avait été formellement interdite. Il lui avait alors sommé avec l'âpreté d'un commandant d'armée de rallier ses appartements et de ne plus les quitter jusqu'à nouvel ordre, ce qu'elle avait fait, pour mieux saccager sa chambre. Plus tard, ce furent ses duègnes dont Irinwe qui avaient enduré les salves d'une colère insoupçonnée, l'oiselle montrant à qui voulait le voir qu'elle pouvait aussi être louve. La résignation apportée par le discours des nourrices ne l'avait cependant pas apaisée, bien au contraire, l'iniquité de sa situation l'avait fait imploser au point qu'elle en était venue à elle-même se blesser. Cheveux arrachés et bras griffés, ce fut en essayant de la calmer qu'une gouvernante avait été la proie de son anathème latente. Lorsque la Main était arrivée, il avait découvert un corps en putréfaction, et le truisme aussi improbable était-il ne faisait pas de doute. Puis, il y avait eu Vorhem, qu'il avait étrangement retrouvé dans le vestibule à humer le fumet morbide qui s'était emparé du domaine, et qu'il avait aussitôt chassé. Grâce à lui au moins, s'était-il rendu compte qu'éloigner son héritière était un impératif, et ce fut ainsi qu'après avoir interpellé quelques-uns de ses factionnaires, il avait immédiatement pris la route pour Hoarfrost.

Hulgard brisa le carcan de son inertie en emportant Dralvur avec lui, à seulement deux mètres de là où leurs descendances s'étreignaient. Ses phalanges forcèrent la clavicule de l'Ours involontairement, la piégeant dans un étau crispé tandis que les iris smaragdines se fichèrent dans leurs homologues de jais. « Ecoute-moi ! Ecoute-moi... Je te la confie, que personne autre que Jedath et toi ne l'approche ! » Il fut interrompu par un glapissement, Jora s'arracha à l'accolade du jeune Snowhelm qui venait de remarquer les lésions sur ses bras, laissées par ses propres ongles, et elle alla se réfugier sous un haut meuble, recroquevillée dans son coin sombre sous le regard tout bonnement sidéré et peiné de son père. « Prends soin d'elle, je dois... » La Main de Nacre eut a son tour une absence, l'esprit vaporisé par une bouffée de chaleur qui lui fit perdre le fil de sa tirade, les lèvres arides et le quant-à-soi inexistant. C'était la première fois qu'il apparaissait ainsi à son comparse, et la dernière, il l'espérait de tout coeur. Ballotté dans un cauchemar éveillé, il lui fallut un instant pour revenir à lui. « Je dois y aller, je reviendrai plus tard. » Sans une bribe d'explication, et après une ultime lorgnade envers sa fille, il repartit sur les chapeaux de roue.

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Dralvur Snowhelm

Ours cendré d'Ibenholt

Dralvur Snowhelm
Ours cendré d'Ibenholt
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ARRIVÉE : 29/03/2014
MURMURES : 1013



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MessageSujet: Re: Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora)   Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora) EmptyDim 29 Juin - 13:35

Fiche © Quantum Mechanics & Moriarty


Le passé pèse sur le présent

comme le cadavre d'un géant.
jora & dralvur

☩ CINQ ANS AUPARAVANT ☩

Il n’avait jamais particulièrement chéri l'indicible entracte dont se fardait la nuit, car, au plus loin où il pouvait remonter, jamais ses affects n’avaient été bien quiets lorsque, au dehors, irisait l’opaline rotondité. Mère l’avait souvent rassuré en arguant l’âme sensible qu’il possédait, et qui, dès l’obscurité tombée, fluctuait en une quintessence instinctive, supputant là d’occultes dons cerclant son être tout entier et que Père considérait souvent comme simple et rudimentaire enfantillage. Quel digne homme craignait le soir, plus encore dans l’illustre maison des ursidés dynastes ? Jedath avait donc dû composer avec cette névrose qui, du haut de ses seize hivers, ne s’était toujours pas décidée à lui offrir quelconque répit. Ainsi errait-t-il dans les galeries d’Hoarfrost, imaginant çà et là des ombres lugubres hantant les hauts murs du fortin, effigies d’ancêtres ou d’ennemis ayant péris dans l’enceinte même de la demeure familiale, ou bien encore furetait-il les saillies rocailleuses à la recherche de quelque passage secret encore vierge de toute révélation, prompt à saisir le moindre secret de la résidence – quand bien même Leogran ne l’accompagnait cette fois point. L’aîné s’en était effectivement resté au fief sous les ordres de leur pater, qui avait décrété avec force et foi qu’était venu le temps pour son héritier de diriger Redcliff. Mestre Josius pour le seconder – ou inversement –, son frère avait eu l’audace d’accepter, le menton fier et droit, là où Jedath se serait très certainement dérobé en alléguant à sa personne la mésestime dont tout le monde était maintenant coutumier : le puîné des Snowhelm manquait d’aplomb, au grand dam du patriarche qui ne se gênait parfois guère pour le lui dire. Fort heureusement, cette famille ne repose point sur tes épaules, mon fils, et si l’admonestation n’avait pas manqué d’indigner Leogran, Jedath, lui, savait en son for reconnaître la véracité de ces roides propos. Il n’était certes pas hardi, mais sa finesse d’esprit lui permettait d’opiner en silence là où un Ours Snowhelm se serait très certainement rebiffé, l’estoc en main. Peu lui importait de n’être pas un parangon familial, son frère était là pour soutenir la gloriole de leur nom et, contrairement à de nombreux benjamins, il n’avait pas à supporter le discrédit paternel. Outre un franc parler de titan, le lord son père restait une figure affective, à sa manière, avec qui il aimait à partager des moments comme leur actuelle pérégrination à Ibenholt. Il n’avait d’ailleurs pas eu à trop solliciter le seigneur, car, tout taciturne qu’il fût, celui-ci ne semblait jamais décliner la présence d’un de ses fils à ses côtés. Jedath le savait. Il savait qu’en lui ou en son frère perdurait le souvenir de leur mère, tout autant dans leurs physionomies que dans leurs caractères respectifs, véritables camaïeu du tempérament maternel qui dulcifiait les ridules rêches du colossal veuf.

Passant près de la bibliothèque, l’éphèbe constata sans grand effarement les lueurs veules de quelques candélabres allumés dont le rayonnement chaleureux s’écoulait de sous l’huis en bois d’yeuse. Il était plus que tard et sa place résidait en sa chambre, aussi persista-t-il à rester dans l’ombre du couloir pour poser une fine dextre contre les sculptures de la porte et y instiguer une douce pression qui ouvrit en silence l’entrebâillement. Dans le panorama en boiserie et pierre se dessina le bronze quiet du lord, assis dans son accoutumé fauteuil de velours cobalt ouvragé à l’égal d’un trône. Un legs précieux qui gîtait dans cette pièce depuis autant de siècles qu’Hoarfrost existait. Autant dire des lustres. « Une sempiternelle insomnie, Jedath ? » Questionna lentement le grave phonème qui fit néanmoins tressaillir le fils. Son père ne s’était point retourné, de trois-quarts mussé par sa position, un coude négligemment délaissé sur l’appuie-bras, et une jambe croisée sur l’autre, un opuscule de taille imposante religieusement posé sur les cuisses masculines. Il n’avait guère suspendu sa lecture, et, tournant une page comme si ce fût un voile de mariée, ajouta avec flegme. « Il n’y a que les pleutres qui épient dans l’obscurité, ou les espions richement gratifiés. Est-tu de ceux-là ? » L’ourson eut une moue contrariée, mais il hésitait entre froncer les sourcils ou articuler un sourire matois. « Non, père. » La gargouille, dans un quant-à-soi de maître, se décida à relever sa broussaille de cendre et exhorter sans dureté. « Eh bien ? Qu’attends-tu, alors ? » L’adonis ne sut si son père lui proposait d’entrer, ou de retourner flâner ailleurs. Épris d’un toupet soudain, il poussa un peu plus l’huis et pénétra dans l’antre, arrachant une risette invisible chez le patriarche qui, fort de sa pédagogie austère, ne manquait parfois pas de badiner tacitement avec ses garçons. Jedath fit quelque pas et prit place dans l’un des innombrables fauteuils clairsemant la bibliothèque, s’enfonçant bien au-dedans et laissant son rachis épouser la forme du dosseret tout en scrutant le chevalier érudit. Point un mot. Il ne fallait pas trop non plus pousser sa bonne fortune. Le jeune-homme était par ailleurs de ceux qui comprenaient le mieux l’essence même dont était faite son créateur, et si les sentiments paternels du lord lui étaient parfois sibyllins, le reste n’était qu’eau de roche. Il savait à quels moments parler. A quels moments se taire. Il savait quoi dire pour adoucir la colère du Farouche, et comment deviser pour lui tirer de rares éclats de rire. A cet instant précis, il sut devoir attendre que le timbre patriarcal ne se délie derechef pour, à son tour, pouvoir converser. « As-tu vu Jora, aujourd’hui ? » Le puîné sourcilla, tiré de sa léthargie. « Las, non… Un valet des Ebonhand est venu me prévenir. Je doute cependant que l’initiative vienne de son père, il est tellement… » Le cadet se tut en lorgnant Dralvur. Le patriarche proscrivait à ses fils quelque critique que ce soit à l’égard de la Main, seul lui, semblait pouvoir désapprouver Hulgard et, lorsqu’il lui en prenait la fâcheuse envie, ce n’était qu’en face dudit homme. « …occupé. » Se rattrapa de justesse le finaud. « Mh. » L’Ours Cendré, après avoir arqué sourcil, retourna à sa lecture. Nonobstant le signe, l’adolescent poursuivit néanmoins. « Je crois qu’il l’a punie. Assurément. Oui, mais pourquoi ? Jora est si… Têtue ? Gentille ! Têtue. » Jedath torsada ses lippes en un rictus, tandis que, de son côté, le seigneur étirait ses commissures avec taquinerie, sans quitter l’ouvrage des yeux. « Soit. Têtue. » Approuva le fils non sans une pincée folâtre. « Tu apprendras tantôt qu’il s’agit là du plus grand adage des femmes. Leur féroce opiniâtreté. Aussi ensorceleuse qu’harassante. Me voilà bien aise de n’avoir eu que des garçons, je ne sais comment j’aurais été, à la place d’Hulgard. » Il fit virevolter une nouvelle page sous le rire cristallin de l’éphèbe. « Vous n’auriez guère pu ! Je vous vois si mal enseigner à une fille l’art de l’escrime ! Ou bien encore celui de la fauconnerie…! Vous en auriez fait une véritable ogresse. » Le colosse fit mine de s’offusquer, rauquant de sa voix impérieuse. « Un peu de tenue jeune-homme ! » Le joyeux luron se pinça les lèvres en réfrénant un énième éclat, tandis que le crin paternel se saboulait de droite à gauche, un aquilon égayé balayant son faciès qui chutait à nouveau sur sa lecture. « Jora excelle dans bien des domaines qui te sont laborieux, mon fils, comme celui de l’hippisme… Oh je… mais ! Elle monte admirablement. Mais moi aussi ! Et puis, ses destriers sont bien plus courts et menus que les miens, ce n’est guère comparable…! Ma foi, je te ferai seller un poney si cela t’est plus commode. Oh mais, enfin ! Je n’ai jamais dit ça ! » Dralvur teinta son visage d’un ricanement roué et Jedath ne crut voir, à cet instant, qu’un homme d’une vingtaine d’années lui faisant face, comme si tous les arias, toutes les années et toutes les rides du patriarche s’affaissaient aux pieds de son éclat. Obviant à merveille le quolibet, il peignit sur son faciès un masque de pure allégresse. Rien ne valait, au monde, le portrait rieur du triste seigneur.

Mais un grand fracas mua leur conciliabule en débandade tonitruante, réveillant la maisonnée et faisant trottiner avec hâte les domestiques derrière la porte jusqu’à l’origine d’une telle clameur quand, stupéfiante, la Main s’introduisit avec hargne dans la tanière des ours, portant à bout de bras un tas filiforme qu’aucun des Snowhelm ne reconnut dans l’immédiat. « Par les Quatre ! » Dralvur s’était déjà levé, abandonnant séance tenante son épais volume qui chuta sans plus de forme contre le plancher, avant que ne s’en aille plus avant le colosse à l’encontre de l’hystérique hominidé. « Jora ?! » L’incompréhension fut souveraine, tirant chez le ser un rictus à la fois épouvanté et suffoqué, avant que les deux hommes ne se penchent sur la Perle alitée et que tonnent les litanies de l’angoisse, sitôt interrompues par un zéphyr de jeunesse. « Poussez-vous… » Nul ordre que voici, mais Jedath, jouant habilement de ses coudes et épaules, s’était déjà coulé contre le flanc de son allégorique jumelle. La vision de la belle ainsi abîmée par il ne savait quelle affection tira sur sa face juvénile mille émois cognant derrière ses orbes d’onyx. Il avait le regard de son père, plus encore de par leurs teintes, des qui se réincarnaient en gemmes ignées sous quelque émotion ressentie. Et dans les prunelles du fils vagirent des flots magmatiques. Aussi, lorsque la Douce se fêla de toutes parts pour laisser transpirer ses tourments en ressacs diluviens, le puîné fut là pour l’accueillir à l’égal d’un rivage familier, la cerclant de ses fins et longs bras et l’attirant tout contre son poitrail d’où battait la cadence rythmique d’un cœur tendre. Il ne lui vint aucun son à émettre, car il sut ne pouvoir apporter quelque réconfort que ce fût qu’au travers de sa chaleur, humaine au possible. Les patriarches, eux, s’étaient déjà redressés pour un tête-à-tête confidentiel.

« Par Catharsis, Hulgard, vas-tu—! » Mais la Main ne laissa guère le temps au feudataire d’articuler la moindre autre syllabe. Il lui fut tout bonnement ordonné de taire son ressac d’interrogations, et sous la divagation souffreteuse de son frère d’armes, Dralvur ne put qu’obtempérer. Il n’avait jamais, au grand jamais, vu l’Ebonhand dans un tel état – ce qui, foncièrement, n’aida point à calmer son propre désarroi. Plus loin, sous l’aube d’un miaulement, s’effeuilla la frêle petite carcasse qui sortit des ramures en textile pour s’esbigner dans une cache de fortune. « Hulgard… » Murmura l’Ours effaré, posant sur la Perle défraîchie une attention penaude. Jedath n’était pas en reste, lui-même ne savait que faire, restant là où il se trouvait en faisant valser ses orbites de la figure patriarcale à celle de l’Apeurée. Ne régnait qu’un maelström d’incompréhension auquel la Main semblait ne vouloir apporter par l’ombre d’un prétexte. « Hulgard, je t’en conjure, il faut que tu m’ex— » Derechef, son interlocuteur l’interrompit, laissant là, dans un tourbe lagon, son plus féal sujet. Mutique, les cordes vocales saccagées de n’avoir que trop jugulé ses questionnements, l’Ours Cendré suivit des yeux la silhouette masculine qui prenait diligemment congé. Et il aurait pu rester de longues minutes ainsi, pilastre sculptural, à ne point se mouvoir d’un iota, si son benjamin ne l’avait pas extirpé de son inertie en un appel bas. « Père… » Les Snowhelm se mirèrent, puis, à l’unisson, braquèrent leurs calots sur une Jora méconnaissable. « Je… » Le fils comprit devoir prendre la relève. « De l’eau. De quoi ? De l’eau, père… il lui faut de l’eau. De l’eau. Oui. Bien sûr. Je vais en mander, non… je vais en chercher moi-même. Reste… reste avec elle. » Et il sortit, incapable qu’il était de scruter plus encore le minois souffreteux de l’oiselle, tant il lui rappelait celui malingre de son aimée trépassée.

Le silence retomba comme du plomb, et, lentement, doucement, s’articula la svelte carrure de l’adonis qui se redressa en emportant avec lui l’édredon qui avait jusqu’alors caparaçonné le fétu de paille. L’étoffe en main, il se hissa et s’approcha jusqu’à Jora, puis s’agenouilla une fois encore et pénétra l’espace proscrit en veillant, à chacune des crispations physiques de l’agnelle, à ne point se précipiter. Il avait l’impression de devoir dompter un animal sauvage, à ceci près, que ladite créature était aussi chère à son cœur que ne l’était l’eau pour quelque être vivant. Une fois assez proche, il s’assit tout près de son flanc et, par des gestes aussi doux qu’amènes, la recouvrit en l’amenant contre lui. S’il décela une légère défiance de prime abord, sa tendre Perle se laissa finalement aller. Il l’étreignit de tout son soûl. « Père suppute que tu es meilleure cavalière que moi. » Le phonème de Jedath était de ceux altiers, déjà grave pour son jeune âge, mais possédé par une incontestable suavité qui rendait chacun de ses mots de plus captivants, et lorsqu’il susurrait comme à cet instant même, son verbe devenait baume pour n’importe quelle lésion. Son bras closant les épaules féminines, il laissa son pouce caresser la joue rebondie et humide de sa captive. « J’ai beau contester, il n’en démord pas… Mais au fond, nous savons tous deux qu’il a raison. » Il émit un ersatz de rire qui galopa tout le long de son abdomen pour aller conquérir l’âpre royaume de l’épigastre géminé. « Te souviens-tu de cette fois, où ma jument – quel était son nom, déjà…? » Il parut chercher, ou attendre qu’elle laisse percer de sa cloison le moindre son. « Pomme ! Oui, c’est tout à fait ça…! » Qu’elle eût révélé ou non le patronyme, cela lui importait peu. Il cherchait, par un moyen ou un autre, de ramener la nymphette dans leur réalité, en passant par le pont des heureuses souvenances. « Cette fois où Pomme a cabré si haut et si vigoureusement, qu’elle m’a renversé tête la première dans l’auge des gorets ? Mes aïeux, je remercie encore aujourd’hui tous nos dieux pour que ni Leogran, ni Père, n’aient été présents ce jour-là… L’opprobre aurait été si faste, que je me serrais terré ad vitam æternam dans la plus haute chambre de notre plus haute tour…! » Il fit mine de réfléchir, circonspect. « Ma foi… somme toute comme une véritable princesse de conte… » Et une grimace renfrognée de faire son apparition, comme si l’idée lui était humiliante, alors que, de tout son for, il ne souhaitait qu’alléger l’âme de Jora par quelque pitrerie et autre autodérision.

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Jora Ebonhand

Perle de Nacre

Jora Ebonhand
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MessageSujet: Re: Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora)   Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora) EmptyMer 2 Juil - 15:20


D
ans son rumen retourné, dansaient encore les charbons ardents qui avaient naguère sublimé son ire au point d'en faire un art morbide. Un ouvrage suintant et instantané qui trônait encore au creux de son alcôve, qu'elle ne verrait jamais plus que comme une sépulture à jamais maculée d'une souillure immatérielle, presque irréelle. Elle était la première à vouloir désavouer cette véracité pestilentielle, mais les affres qui disloquaient son usuelle joliesse et entaillaient toute membrane d'allégresse censuraient aussi sa volonté d'occulter. Même dans la pénombre de ses paupières, s'ébauchait l'ineffable drame dans des esquisses phosphorescentes et horrifiques, en l'instant, la Perle était intimement persuadée qu'elle serait incapable de se relever de ce méchef. A quoi bon, si cela signifiait prendre le risque de faucher une autre vie comme elle l'avait fait ? L'innocuité personnifiée s'adultérait en plausible fléau inapte à faire la distinction entre l'allié et le rival – dans les deux cas, elle était de toute façon bien trop ingénue pour ambitionner la mort de quiconque. Le papillon à peine éclos de sa chrysalide d'opale avait pourtant vicié le monde, racorni dans son encoignure qu'il désirait plus exigu que possible, le lépidoptère d'amertume avait envie de s'arracher les ailes et de ne plus jamais voir le soleil. Aucun de ceux qu'elle chérissait n'était à même de comprendre, dans les calots de son propre père, elle avait décelé le candélabre d'émotions acides – la peur primaire, l'incompréhension diffuse, la nausée de la découverte... Même si la lésion avait été aussi fugace qu'une fulguration dans un ciel estival, elle n'omettrait jamais que Hulgard l'avait un jour mirée non pas comme la chair de sa chair, mais comme une créature maupiteuse. Le regard d'Irinwe aussi l'avait lacérée au plus profond de son être, l'elfe était l'unique témoin de l'incident, et pourtant, l'effroi passée, elle n'avait point hésité à étreindre la meurtrière contre la cage qui gardait son cœur amène, juste avant que le maître des lieux ne manque d'enfoncer l'huis après que les domestiques l'aient alerté. Ces calicots d'épouvante, elle ne voulait surtout pas les distinguer dans les onyx ursides, elle désirait tant préserver ce qui pouvait encore l'être qu'elle préférait subir sa transe plutôt que dulcifier son vertige dans les bras de l'un ou de l'autre. Paumes agglutinées sur les oreilles, elles se mouvaient frénétiquement pour empêcher toute sonorité d'atteindre les voies acoustiques qui vrombissaient bien assez ainsi, seuls les sanglots éperdus résonnaient en son âme à l'instar d'une mélopée viscérale.

Jora ne vit pas son géniteur s'en retourner conjurer l'anathème qui s'était abattue sur sa demeure, ni même Dralvur se dérober car colosse aux pieds d'argile. Ses mâchoires carillonnaient à en user l'émail, et derrière les lippes qui s'esquintaient à rester scellées, s'articulaient les doléances impulsives qui animaient la fine silhouette en d'incoercibles spasmes qui lui offraient l'allure d'une fillette en crise. Lorsqu'elle révéla ses prunelles où luttaient le bleu originel et le rouge conquérant, ce fut pour mieux voir Jedath approcher comme si elle avait été une louve acculée. Elle se serait damnée pour un peu de sa chaleur lénitive, mais la crainte de lui porter préjudice l'emportait sur toute autre notion et elle s'enlisa un peu plus dans le fond de son terrier dans l'espoir qu'il se résigne. C'était toutefois fort mal connaître l'ourson qui, patiemment, atteignit son dessein et affleura auprès de la naufragée. Celle-ci se laissa draper, s'opposa un instant au contact doucereux non sans couiner, puis... ce fut elle qui abdiqua. Cependant, la donzelle demeura recroquevillée sur elle-même, encore lovée dans une carapace illusoire qu'elle n'était pas prête à fissurer. La réminiscence soudainement récitée la désarçonna à tel point qu'elle fut contrainte d'écouter, se remémorant malgré elle la saynète avec, à défaut de jovialité, un semblant d'accalmie retrouvé. Elle ne dit mot même lorsqu'il quêtait pour le nom de la jument rétive, Pomme qui avait causé quelques splendides pépins à son cavalier. Ce jour où il avait pataugé dans l'auge, elle se rappelait avoir ri comme jamais auparavant, une flammèche qui aurait aisément pu mettre le feu aux poudres chagrines... si seulement le mal qui la rongeait n'avait pas été de cette amplitude. L'éphèbe – à juste titre – mésestimait la tourmente de son ménechme spirituel et glana, à l'inverse d'un agrément, des pleurs décuplés. Néanmoins et signe de sa progression, l'Ebonhand concrétisa cette fois une jonction de syllabes plus ou moins intelligible. « Je ne voulais pas... ! Je n'ai jamais voulu que ça se passe comme ça, je le jure, je le jure, je le jure... ! » Les gémissements s'engrenèrent avec plus de sève encore, la belle tentant de convaincre d'une innocence qu'elle savait captieuse, même si ses intentions l'avaient véritablement été – innocents. « Je voulais juste un brin de liberté, pouvoir fouler la neige sans que l'on craigne que j'en fonde ! Juste... ne plus être toute seule, je ne supporte plus cette cage, je veux juste vivre un peu, un tout petit peu... ! Je n'en peux plus d'être considérée à l'égal du cristal, je n'en peux plus... ! »

C'était pourtant en milliard de brisures que le sylphe la récupérait aujourd'hui, mais probablement rien de tout ceci ne se serait produit si la Main avait fait preuve d'un tant soit peu de commisération envers sa pauvrette d'enfant. A trop atrophier le carcan autour du cou de la biche, même de la plus docile, sa longanimité périclitait jusqu'à éveiller l'instinct de survie. C'était ce qu'elle avait cru bon de faire – et elle s'était fourvoyée. Peut-être son père avait-il raison, elle n'était faite que pour être conservée dans un écrin verrouillé à la contemplation de quelques rares privilégiés, elle ne savait plus pour quel nord opter. « Je n'ai jamais désiré lui faire du mal ! Lorsque j'ai ouvert les yeux c'était... c'était trop tard... Elle ne méritait pas une telle abomination, personne ne le mérite... C'est horrible, c'est inhumain... ! » Entre ses vers saccadés et douloureux, la jouvencelle essayait laborieusement de reprendre son souffle, mais chaque inspiration lui donnait l'impression de goûter à un soufre qui lui brûlait la gorge et l'empêchait au final de respirer. Une épine lui transperça le palpitant et gangréna sa vilenie jusqu'aux cordes vocales de l'oiselle dont la trachée se contractura, une main sur sa gorge, elle s'empourpra de douleur et d'un oxygène lacuneux, avant d'imploser d'un timbre térébrant. « Meryll est morte !!... elle est morte... » Meryll, la doucette nourrice qui l'avait jadis nourrie au sein, celle qui, à l'instar d'Irinwe, avait tâché de combler une absence maternelle avec un attachement sincère. Ne tenant plus rien de son opiniâtre résistance, la nymphe échoua tout contre le puîné Snowhelm, comme si une mer houleuse l'avait projeté sur l'étoc qui la sauverait de la noyade. Elle l'étreignit avec la puissance du désespoir, éplorée alors qu'elle n'aurait pas imaginé avoir encore de quoi humecter les atours du sigisbée. « Jedath ! Jedaaath... » Se lamenta l'inconsolable telle une pouponne abandonnée dans le givre du monde, incantant fièvreusement pour puiser le butin de bienfaisance qui crépitait en l'essence fraternelle, celle qui l'emmaillotait de bien des manières. « Laisse-moi rester avec toi cette nuit, je ne veux pas être toute seule avec mes démons, je t'en supplie, j'ai tellement peur ! » La bienséance prônait qu'il était inconvenant pour des individus de leur âge de partager la même couche sans qu'un anneau symbolique ne ceigne leurs annulaires, en d'autres circonstances, Jora n'aurait jamais osé heurter les mœurs en soumettant cette requête, mais aux grands maux les grands remèdes. Hulgard serait infailliblement trop soulagé de la voir apaisée et assoupie pour s'outrager de la savoir dans la même couche qu'un homme, et puis, Jedath n'était pas n'importe qui. N'était pas question de quelque effluve sybarite que ce soit, les Ours avaient la confiance amaurose de la Main, ce n'était ce soir plus à démontrer.

Au gré des minutes, la spasmophilie larmoyante de la demoiselle s'estompa, le malaise s'était tant généralisé dans son corps gracile que cette dernière ne semblait plus rien sentir de son enveloppe charnelle. Elle avait versé jusqu'à l'ultime perle de rosée saumâtre que ses conduits lacrymaux étaient enclins à sauvegarder, la déshydratation taraudait son organisme et l'ensemble des muscles de son minois était engourdi. Elle était parvenue à mettre son eurythmie au diapason avec celle qu'elle oyait dans le poitrail masculin, mimant avec une volonté fébrile les martèlements cardiaques pour ne pas ajouter une violente tachycardie à la kyrielle de ses troubles. Un mutisme tacitement consenti pacifiait la tension instaurée à l'arrivée du lord Ebonhand et de sa Perle fracturée, Jora se laissa suavement bercer, trouvant dans la chaleur de l'adonis, un havre de paix. Ce fut de façon tout à fait fortuite que ses mirettes guignèrent le textile qui vêtait Jedath où, à niveau de son visage blême, elle distingua une moucheture sombre. Intriguée, elle y passa la pulpe de son index et gratta légèrement la matière pour ensuite constater que son doigt était sali d'un pourpre chaud. « … Tu saignes... ? » La donzelle se redressa pour croiser les sombres agates de son ami non sans un air penaud. Elle ne comprit pas tout de go que l'ourson ne souffrait d'aucune plaie, mais que le fluide purpurin coulait de ses narines, à elle.

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Dralvur Snowhelm

Ours cendré d'Ibenholt

Dralvur Snowhelm
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MessageSujet: Re: Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora)   Le passé pèse sur le présent comme le cadavre d'un géant. (jora) EmptyJeu 10 Juil - 15:57

Fiche © Quantum Mechanics & Moriarty


Le passé pèse sur le présent

comme le cadavre d'un géant.
jora & dralvur

☩ CINQ ANS AUPARAVANT ☩

Le sylphe n'avait jamais vu l'agnelle dans un tel état, celui torrentiel d'arias aussi sibyllins qu'inquiétants cerclant la frêle silhouette plus obstinément encore que ne le faisaient ses propres bras. Jedath avait toujours joui d'une amitié guillerette avec l'héritière Ebonhand, de celles folâtres, éthérées, et donc foncièrement enfantines. Combien d'heures avaient-ils passés à escorter leurs pas de grands éclats de rire ? L'allégresse était à leur union ce que la corolle était aux fleurs printanières, et quand bien même les deux enfants, devenus maintenant adolescents, se permettaient de temps à autres l’incartade de conciliabules sérieux et sobres pour deviser de choses bien plus adultes, jamais, au grand jamais, ne s'était immiscée entre eux quelque drame aussi diluvien. Et la voir pleurer, grands dieux ! mettait le bellâtre dans tous ses émois, si ce n'était ceux faciaux, au moins ceux intéroceptifs. Car déjà son palpitant s'emballait sous l'écoute du phonème rompu de sa douce moitié, obligeant le Snowhelm à abîmer tout masque aérien sur ses ridules pour ne se concentrer plus que sur le trouble de ses affects. Ses pattes, encore bien fines et néanmoins longues, serrèrent derechef les épaules de la triste oiselle, pour qui le temps de l'ingénuité semblait déjà s'effeuiller en lourds lambeaux. « Je te crois Jora, je te crois. » Se prit-il à répondre sous l'avalanche de promesses dont s'instiguait le palais féminin, avant de se taire subito comme la Perle poursuivait de son soliloque effrayé. La Liberté. Il savait que cette singulière dame était une chimère bien trop peu effleurée par les doigts de son amie, jalousement déjetée des opulentes geôles dans lesquelles La Main gardait continûment sa fille cloisonnée. L'adonis, aussi vif que sagace, avait depuis bien des lustres intégré la soif légitime que la naïade nourrissait à l'encontre de cette impitoyable carence, mais, comme bien d'autres, il s'était trouvé dans l'incapacité à pouvoir libérer l'héritière de son solide carcan ; il n'était point preux chevalier enhardi, moins encore un bélître capable d'agonir les décisions hautement cruciales du lord Hulgard. Ne s'était plus alors présenté que l'unique solution de faire évader la dryade de la prison de son esprit, évinçant tourments et neurasthénie par le baume lénifiant de cette douce et juvénile gaieté qu'il s'était fait, au fil des années, un devoir d'offrir à la douce. Et de leur patrimoine jovial ne restait plus rien, ce soir, sinon que leur immuable affection et le dévouement inénarrable de Jedath, portrait craché de son pater en l'oriflamme du dévouement.

Brutalement, le débit labial s'intensifia si vivement et promptement dans la gorge de Jora que le Snowhelm se détacha quelque peu, autant pour la mirer au mieux que pour la laisser inhaler de l'oxygène visiblement trop raréfié en sa trachée. Coi d’hébétude, il dardait ses deux onyx sur le portrait affolé avec, dans sa panse, l'inextricable sensation de paranoïa venant à son tour le contaminer. Que disait-elle ? Qu'étaient-ce que ces calomnies ? Interdit, il répétait en un écho inaudible le vocable atterrant s'excavant de la bouche charnue : abomination, horrible, inhumain. Par les Quatre, qu'avait-il bien pu se passer ?! Y avait-il eu mort d'homme ? Eh bien oui... Vraisemblablement. Sourcillant d'effarement, l'ourson auscultait les aveux avec, il l'espérait, un ersatz d'équanimité pouvant lui éviter d'aggraver le trouble de l'agnelle. Elle n'avait guère besoin d'un sot singeant l'horreur de situation par quelque grossière mimique. « D'accord, je... J'entends bien... » Son timbre le trahissaient indubitablement, mais il y avait sur ses traits cette farouche volonté d'être un mât solide sur lequel la Perle pouvait s'appuyer sans craindre quelque chute que ce soit. À brûle pourpoint, l'enfant s'affaissa sur le buste adolescent, saboulant la stabilité du sylphe qu'il retrouve vite, étreignant la larmoyante en broyant ses lèvres pour ne point succomber au même déluge. Car, autant l'état de Jora que la situation présente, écorchaient ses nerfs à vifs et son extrême compassion. « Shh, shh... » Elle clamait son patronyme comme l'on implorait les dieux, rotules à terre et bras hissés, le désespoir pour toute obole. Il se sentit bouleversé de tout son être et ses globes devinrent bientôt humides, trempés par le ressac de la Perle qui trouvait chez son compère le reflet de son affliction, unis à la vie par leurs cœurs géminés. « Bien sûr. Si tu croyais que j'allais te laisser seule... » Plus rauque qu'à l'habitude, sa voix ressemblait à une cataracte de roches comme il se faisait violence pour ne pas laisser les sanglots étreindre sa svelte poitrine. Peu lui importaient les mœurs en vigueur, elle était l'égale d'une sœur chérie et adorée, aussi le glas de mauvaises intentions prêtées par l'accointance charnelle entre un homme et une femme n'avait-il, entre eux deux, ni place ni raison.

Les minutes fluèrent, l'héritière Ebonhand parut trouver quelque accalmie relative puis se décida à redresser son minois moins poupon que d'une vénusté grandissante. Néanmoins, sous les voussures de son museau, trônait là un cruor qui fit froncer les sourcils de Jedath. « Tu saignes...! » Et d'ajouter tout de go, craignant l’effroi chez la nymphette. « Ce n'est rien, un trop plein d'émotion, très certainement, j'ai un vieil oncle à qui ça arrive souvent... » Malhabilement, il tentait une fois encore de minimiser la situation, tirant sur sa propre manche pour éponger le fluide purpurin et babillant une kyrielle d'autres arguments pouvant adoucir la transe de la souffreteuse. L'huis de la bibliothèque se rouvrit sur les pas pesants du maître de maison, qui scruta tout autour la pièce vide avant de revenir là où il avait laissé les deux enfants, faisant halte à leur hauteur et s'accroupissant auprès d'eux – mais à une distance raisonnable – pour mirer dans la tanière de fortune si le typhon était passé. Plus ou moins, constata le patriarche, sur qui une profonde anxiété se lisait encore mais qui avait recouvré un quant-à-soi salutaire. Au regard du sang, il s'interloqua, questionnant directement son fils. « Qu'a-t-elle ? » Il doutait que son puîné détienne une quelconque culpabilité dans ce manifestation, mais il était encore intimement persuadé que la jouvencelle serait incapable de lui rétorquer quoi que ce soit, tout du moins de cohérent. « Rien ! Ce n'est rien. » Les gemmes de l'adolescent irisèrent d'une lueur farouche, déversant au mieux le message tacite qu'il cherchait à envoyer au seigneur. Celui-ci ne malmena que plus encore ses sourcils. Quand bien même il comprenait l'habile tour du garçon, cela n'empêchait en rien la souffrance percevable de Jora. Dralvur Snowhelm n'avait point la grâce de son rejeton, moins encore lorsqu'une personne chère était le sujet d'attention, aussi vrilla-t-il cette fois la nuque vers la Perle et questionna derechef. « As-tu mal ? » Il lui tendit le verre d'eau claire qu'il était justement allé glaner, patientant autant qu'il le dût pour qu'elle se décide à le saisir. « Bois un peu, cela te fera du bien. » Son phonème avait retrouvé la force tranquille d'une falaise, quand bien même ses prunelles irradiaient-elles de l'inquiétude rongeant ses tripes. Elle avait un teint valétudinaire tout aussi proche que celui de feu son épouse à l'aube de son trépas, et le spectre était ardu à chasser de ses pensées, tant son regard se perdait contre l'effigie juvénile. « Père... Elle est épuisée. » Le lord opina lentement, sans ciller de sa contemplation circonspecte. « Effectivement. » Si par épuisée son fils tentait de dire brisée. « Je souhaiterais veiller sur elle. Toute la nuit. » Les orbes d'ébène s’inclinèrent jusqu'au jeune-homme qu’il considéra longuement. « Soit. Ça ne pourra que te faire du bien mon enfant. » Il en était revenu à Jora. L'affection unissant son benjamin à l'héritière Ebonhand n'était pas à disculper, car il la savait aussi immaculée que ne l'était la neige du Solvkant. Hulgard n'avait pas à être aux faits des dispositions prises, et, quand bien même, il doutait que son vieil ami ne soit d'humeur à ergoter sur pareilles vétilles en des heures aussi sombres. Le chevalier récupéra d'un geste infiniment doux le cristal entre les pattes de la nymphette, le posa au-dessus, sur le mobilier, puis se pencha un peu plus pour la récupérer entre ses bras, extirpant de là la bête sauvage pour mieux la dompter contre son poitrail.

Lorsqu'il la déposa un peu plus tard, ce fut sur la couche moelleuse d'un lit, installée religieusement par peur de ne meurtrir, ou même fracturer, quelque morceau de cette fragile carcasse. Il la recouvrit d’un édredon et l'ombre d'une risette osa enfin traverser son sinistre faciès, offrant là une salve de douceur inespérée dans cet amas de rusticité virile. Sa paluche replaça une mèche insubordonnée en frôlant de peu la carne, et il murmura. « Ton père reviendra demain. » Elle n'était ni esseulée, ni abandonnée, et de ça, il voulait qu'elle en soit certaine. Se redressant, il s'écartant de quelques pas et rejoignit la carrure de l'ourson resté en retrait. « Regarde-moi. » L'adolescent s'exécuta, levant haut son menton, et son père poursuivit, d'un ton à la limite de l'intelligible. « Promets-moi de venir me quérir s'il y a le moindre problème. Le moindre, Jedath. Quand bien même cela puisse envenimer son désarroi. » Il transperçait tant et si bien les gemmes de son puîné que celui-ci ne répondit qu'en hochant du crin, solennel. « Bien. » Le lord posa sa patte sur le relief d'une épaule, aimant, et eut un dernier regard pour la Perle dans son écrin d'étoffes avant de prendre congé, sans plus un mot. Il allait veiller jusqu'à l'aurore, priant le panthéon entier pour que cette nuit ne soit pas la sinistre frégate emportant dans l'En-Deçà la belle âme innocente dont il croyait encore Jora Ebonhand pourvue, sans se douter, un seul instant, qu'elle avait vêtu peu de temps auparavant les nippes d'une bourrelle assassine.

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