« Even the youngest among the lions
has teeth and claws to bite and tear apart his foes. »

Le lionceau ne comprenait point pourquoi l'on s'acharnait à le mirer ainsi. Ce n'est pas de ma faute, n'avait-il de cesse de se répéter à chaque fois qu'un mauvais regard se posait sur sa petite personne. Ce qui n'était pas de sa faute ? La triste mort de Kataryn. Le dernier lionceau de la fratrie Clanfell était né la figure barbouillée de sang ; sa génitrice avait rendu son dernier souffle alors qu'il poussait son premier cri. C'était bien malgré lui qu'il avait arraché la vie à Kataryn. Ce n'est pas de ma faute songeait-il, et pourtant le poids de la culpabilité était bien présent sur ses épaules encore frêles. Là où le garçonnet allait, le spectre de sa mère le suivait, pour son plus grand malheur. Fils légitime de Sylar Clanfell, cadet de Synric et Sylarne, il était pourtant traité différemment de ses aînés, dédaigné alors qu'il n'avait causé aucun mal volontairement, il n'avait fait que naître. Il ne l'avait pas demandé, et on le lui reprochait. Son prénom seul – Ehvan – suffisait à l'exclure du reste de sa famille. S'il en souffrait ? Bien évidemment. Le mauvais présage sur pattes qu'il était n'était rien qu'un bambin, qui n'était pas encore en âge de comprendre la moitié des choses qu'on lui reprochait, n'évoquons même pas ces rumeurs de malédictions. N'y avait que Synric pour lui offrir quelques paroles réconfortantes et bien vouloir passer du temps avec lui, ce qui lui valut une admiration et une affection sans bornes de la part de son cadet, qui le voyait déjà somme son héros et modèle, bien qu'ils ne soient séparés que par deux hivers. Hélas pour Ehvan, ni Sylar ni Sylarne ne semblaient vouloir suivre l'exemple du jeune garçon. Le paternel voyait en Ehvan le malheureux être qui lui avait ôté son épouse et quant à Sylarne, elle ne lui pardonnait pas de l'avoir privée de sa mère. Naïf, le lionceau se mit en tête de tout faire pour leur plaire, pour récolter quelques marques d'affection. S'il arrivait de temps à autre que le père Clanfell lui ploie quelques tapes qui, à défaut d'être affectueuses, se voulaient satisfaites de son attitude, il ne sut jamais comment toucher le cœur de Sylarne. Si bien qu'il grinçait systématiquement des dents en sa présence, ne sachant quelle attitude adopter, ni sur quel pied danser. Pour le reste, on le traitait avec une indifférence qui lui était pénible, car lui ne demandait rien d'autre qu'un peu d'attention. Mais il s'y fit néanmoins, le lionceau se faisait à tout. La malédiction qu'on l'accusait de porter, il sut en faire une bénédiction et ainsi, Ehvan gagna rapidement en maturité et en capacités d'adaptations. L'on ne voulait point de lui ? Qu'à cela ne tienne, il se débrouillerait bien d'une façon ou d'une autre, du moment que Synric était là pour l'épauler.

Encore bercé de naïveté, Ehvan avait espéré que son paternel lui offrirait de déchirants adieux le jour de son départ pour les Tours d'Airain, là où il recevrait un entraînement militaire de qualité. Ah ! Notre lionceau tomba de bien haut lorsqu'il comprit qu'une fois de plus, il n'aurait le droit qu'au dédain et à l'indifférence de Sylar. Là où Synric se vit offrir une escorte digne de ce nom, à laquelle leur père avait pris part, lui n'eut pas même droit à un regard d'encouragement. C'est accompagné de trois malheureux gardes que le jeune garçon fut envoyé jusqu'aux Tours. La jalousie et la colère étaient des sentiments que le garçonnet abhorrait particulièrement, et pourtant ce jour-ci, il ne put s'empêcher de jalouser son aîné, qu'il adorait pourtant. Cependant, ces sentiments furent rapidement balayés, car il comprit très vite que les années qu'il passerait aux Tours d'Airain seraient de loin meilleures celles passées à Ibenholt, où il était sans cesse pointé du doigt à cause de sa prétendue malédiction. Loin de son paternel et du glacier qui lui servait de sœur, il pourrait enfin s'épanouir, vivre et goûter à ce que l'on appelait bonheur et qui lui avait jusque là échappé. Il avait également son frère pour lui seul, et loin des langues de vipère d'Ibenholt, les deux fils Clanfell ressoudèrent le lien qui les unissait.

Dire qu'Ehvan adorait son frère était un euphémisme. Ehvan vénérait Synric, le portait aux nues chaque fois qu'il en avait l'occasion. Il oubliait bien souvent qu'ils n'étaient séparés que de deux années tant son frère lui apparaissait comme un être divin. Il voyait en Synric le modèle que son paternel n'avait jamais été, et ainsi, celui à qui il fallait absolument faire plaisir. Le plus jeune ne manquait jamais une occasion de complimenter son aîné, loin de se douter qu'un jour, tout les séparerait... Quand Synric était concerné, Ehvan semblait porter les mêmes œillères qu'un canasson.  Le pauvre idiot ne voyait pas que déjà, leurs personnalités divergeaient. L'indifférence et la méchanceté auraient pu faire d'Ehvan un petit diable, mais bien au contraire, il se fit très tôt la promesse de devenir un homme bon, juste et droit, à mille lieues d'imaginer à quel point il lui serait difficile d'accomplir ce dessein. Mais, bercé d'illusions et d'imagerie chevaleresque, il se jeta à cœur et à corps perdus dans son entraînement militaire, persuadé qu'être un bon élève ferait du lui un bon chevalier. S'il était loin d'égaler son aîné, une fois de plus, il était bien plus fougueux, bien déterminé mais également bien plus acharné. En plus de forger son corps, Ehvan forgea son esprit. Et quel esprit ! Il débordait d'optimisme, de bonne humeur et de bonne volonté, si bien qu'il en agaçait plus d'un. La rancœur envers sa sœur et son père, qu'il avait nourri pendant tant d'années, disparut finalement, et il lui arriva de penser à eux avec une certaine mélancolie... Il rêvait d'un retour utopique à Ibenholt. Sylar l'accueillerait en fils prodigue, Sylarne lui sauterait au cou... Des chimères, encore et toujours des chimères...

La nouvelle de la mort de Sylar laissa Ehvan pantois de stupéfaction. Il vit sa bulle de bonheur, si durement acquise, voler en éclats. Plus que de la peine, ce fut de la frustration qu'il ressentit. Lui qui avait si durement, si longuement travaillé, ne serait plus jamais en mesure de prouver sa valeur à son paternel. Ce dernier mort, que lui restait-il à prouver ? Rien. Il en était du moins persuadé, jusqu'à ce qu'il comprenne ce que la mort de Sylar signifiait pour lui, pour Synric. Ce dernier prenait sa succession, il était l'aîné, c'était le juste cours des choses. Mais... et lui ? Encore une fois, il ignorait quelle serait sa place. Là où Synric se vit obligé de devenir un homme à seulement quinze années d'existence, Ehvan, alors âgé de treize ans, eut l'impression de redevenir un petit garçon craintif. Il ignorait où était sa place, ignorait s'il en avait seulement une. Arraché des Tours d'Airain, il fut de nouveau balancé dans un monde qu'il abhorrait tout particulièrement. Si cela n'avait tenu qu'à lui, il y serait resté toute son existence et se serait enfermé dans un cocon d'honneur et de justice. Aux Tours, les choses étaient simples, ordonnées – comme il les aimait. Le chaos était une chose qu'il avait beaucoup de mal à comprendre, lui qui malgré tout avait toujours été attiré par la lumière et ce qu'elle représentait. À présent orphelin, sa famille proche ne se résumait plus qu'à un frère adoré, et une sœur détestée. Pour Ehvan, les jumeaux étaient symbole d'ordre et de chaos. De lumière et de ténèbres. Il les voyait comme deux entités bien définies. L'une était bonne, l'autre était mauvaise. Une vision manichéenne qui le satisfaisait pleinement. Il était loin, bien loin de s'imaginer que Synric comme Sylarne étaient des êtres bien plus complexes qu'il ne se complaisait à le croire. Synric était si facile à aimer, alors qu'elle... Ehvan ne s'était bêtement jamais demandé pourquoi sa sœur était ce qu'elle était, trop blessé dans son amour-propre d'enfant pour avoir seulement envie de voir les nuances de sa personnalité. À cette époque, il n'aurait cependant jamais songé à lui faire le moindre mal. Elle était sa sœur, le même sang coulait dans leurs veines. Et puis n'oublions pas, le sens de l'honneur qu'il se vantait déjà de posséder l'en empêchait. Il était si occupé à se méfier de Sylarne qu'il en oublia complètement de surveiller ses arrières. Et finalement, alors qu'il s'y attendait le moins, ce fut Synric qui le poignarda dans le dos. Au sens figuré... comme au sens propre.

Il est une bien triste vérité à propos de la trahison : celle-ci ne vient jamais de vos ennemis.

Les longues années qui suivirent la disparition de Sylar furent bien tristes pour le jeune lion du clan Clanfell. D'humeur morose la plupart du temps, c'est d'un œil critique qu'il observait son aîné, qu'il avait de plus en plus de mal à comprendre. Leurs idéologies différaient bien plus qu'il ne l'aurait cru, et c'est au cours d'un bien triste épisode que la scission entre les deux frères eut lieu. Bien que nourrissant quelques réserves au sujet du souverain Kalanar, Ehvan n'aurait jamais osé remettre en question le règne de ce dernier. Ce n'était toutefois pas le cas d'autres... Même dans ses cauchemars les plus fous, jamais il n'aurait imaginé voir sa famille s'unir à celles de parjures, les Ravncrone et les Ebonhand, qui avaient dans l'idée de jeter le souverain elfique à bas de son trône. S'il nourrissait secrètement de tendres sentiments pour la fille d'Hulgard, la somptueuse, la douce Jora, ce n'était pas pour autant qu'il approuvait les choix de son paternel et son allié.

Lorsque la cité d'Ibenholt fut assiégée en pleine nuit – une attaque fort lâche selon Ehvan – il fut le premier à bondir et à s'armer, pour protéger la ville, et plus important encore, ses habitants. Hélas... Ce que le jeune lion ignorait, c'était que son frère n'avait nullement l'intention d'empêcher le massacre, ou la prise d'Ibenholt. Pis encore, il offrait son aide aux assaillants... N'écoutant que son courage, Ehvan se dressa contre Synric, tout en sachant pertinemment qu'en cas d'affrontement, il avait bien peu de chances d'en sortir vainqueur. Mais il était aussi buté que déterminé. Laisse moi passer, avait-il dit simplement, vaine tentative d'éveiller la raison de son frère. Pour la première fois fou de rage après Synric, ce fut Ehvan qui dégaina le premier son épée. Le duel des frères Clanfell réduit les affrontements extérieurs au palais à l'état de joutes enfantines. Ehvan mettait dans ses coups la force du désespoir et de la colère, mais Synric les para tous et finalement... La lame de l'aîné perça le flanc gauche du cadet qui, avant de s'effondrer, lança à son frère un regard consterné. Ce frère qu'il aimait tant n'avait pas hésité à faire couler son sang pour remporter la victoire et Ehvan s'en trouva davantage blessé dans son esprit que dans ses chairs. Tandis qu'un flot rubis s'écoulait de la plaie, il balbutia quelques mots, mais il y en avait un qu'il ne cessa de répéter, comme une terrible litanie. Pourquoi, pourquoi, pourquoi. Il était déjà à moitié inconscient lorsque Synric le traîna à l'infirmerie du château, malgré tout affolé de voir son petit frère dans un tel état.

Visiblement pas si maudit que cela, Ehvan se remit de sa blessure, mais la cicatrice qu'il en garda était là pour lui rappeler à quel point ses opinions et celles de son frère différaient à présent. Il fut peiné, mais pas surpris, d'apprendre que de nombreux elfes avaient été massacrés, en plus de nombreux habitants d'Ibenholt. La cité retournée n'était qu'un miroir de l'esprit du jeune homme qui devait à présent faire le deuil du frère qu'il avait tant aimé et admiré.

Au milieu du chaos généré par la destitution puis exécution du roi Kalanar, remplacé sur le trône par Hulgard Ebonhand, Ehvan trouva un semblant de paix grâce à la douce Jora, à présent princesse héritière. Dix années les séparaient et pourtant en sa présence, il avait la sensation d'être l'enfant. Il n'avait jamais aperçu de Jora que quelques mèches argentées, jusqu'à ce qu'elle ait quinze ans et que son paternel lui demande de veiller sur elle de temps à autre. D'abord, il l'avait aimée comme une petite sœur, ô combien différentes de Sylarne, puis... la nymphe avait grandi. Elle était frêle, chétive auraient dit certains, mais à ses yeux elle était d'une perfection sans égale, et la seule capable d'apaiser son esprit troublé, bien qu'elle fasse soubresauter son pauvre cœur à chaque fois qu'il posait les yeux sur elle. Loin de Synric et de Sylarne, en compagnie de Jora, Ehvan retrouvait un semblant de sourire, lui qui n'accomplissait plus sa besogne de lieutenant que dans la plus grande indifférence. Une indifférence qu'il fut obligé de mettre de côté lorsqu'il fut envoyé combattre à Askevale.

Car Jorkell et Hulgard semblaient ne pas en avoir assez, il leur fallait conquérir toutes les terres à portée de main. Il partit parce qu'il le fallait, mais avait l'intention de revenir au plus vite pour, peut-être, faire part de ses sentiments à la princesse, qu'importe qu'il soit plus âgé qu'elle, qu'importe qu'il ne soit qu'un lieutenant, qu'importe que son amour pour elle soit mal venu. Il l'aimait, qu'y avait-il à dire de plus ? Elle hantait la moindre de ses pensées, le lui avouer l'apaiserait peut-être...

Il ne le saurait jamais.

Pour lui, le siège d'Askevale fut de courte durée. Au mauvais endroit au mauvais moment, il fut victime de la poix enflammée, qui dévora la peau de son dos comme un animal affamé, le laissant dans une mer de douleur qui annihila ses capacités à bouger, raisonner, vivre simplement. Des semaines durant, il ne connut que l'enfer des brûlures, qui le faisaient hurler à la mort. S'il n'avait eu le souvenir de Jora auquel se raccrocher, il aurait supplié que l'on mette fin à son supplice, car le moindre mouvement suffisait à réveiller d'atroces souffrances. Lui qui n'était pas une jouvencelle douillette se serait volontiers arraché ce qu'il lui restait de chair si cela avait pu mettre un terme à son mal. Chaque moment de conscience était un moment qu'il regrettait. Il aurait voulu fermer les yeux et ne plus les rouvrir avant que la sensation d'être brûlé vif ne se soit envolée. Abruti par la douleur et les opiums, il manqua, une fois de plus à son devoir...

En fin de compte, peut-être était-il bel et bien maudit.

Hulgard assassiné. Jorkell couronné, Sylarne à ses côtés.

Jora séquestrée.

Le choc de ces révélations passé, ce fut une rage silencieuse qui naquit au sein du jeune homme, qui ne cessait d'aller de déconvenue en déconvenue, de trahison en trahison. De retour à Ibenholt, il ne cacha ni sa surprise, ni son dégoût, et certainement pas à ses frère et sœur. Synric, qui n'avait définitivement rien à voir avec l'homme qu'Ehvan croyait connaître, était devenu le conseiller de Jorkell, et dans son infinie bonté, lui avait laissé le poste de capitaine de la garde royale... Ce poste, Ehvan le lui recracha dans la figure, écœuré par ses agissements. Ignorait-il donc tout de l'honneur, de la notion de bien ? Apparemment. Quant à Sylarne, il n'aurait pu rêver pire souveraine. Il l'aurait étouffée avec sa pèlerine d'ébène s'il en avait eu l'occasion, mais puisqu'elle ne se présenta pas, il se contenta de quelques paroles assassines la dernière fois qu'il la vit.

Le cœur lourd et l'âme tourmentée par une vile envie de fratricide et de régicide, le Clanfell quitta Ibenholt. Mais pas sans avoir promis à la princesse Jora, au cours d'une brève entrevue, qu'il la délivrerait de sa cage dorée et lui rendrait son trône et sa couronne – si possible encore bien en place sur la tête coupée de l'Usurpateur.  Il chevaucha jusqu'à Sorhelm, dans l'espoir d'obtenir une entrevue avec la reine Nelrenethys. Il n'aurait jamais imaginé être si bien reçu, n'aurait jamais imaginé qu'elle lui ferait une place à sa cour, car les elfes n'étaient pas connus pour leur amour des humains. Aveuglé par son courroux et ses envies de vengeance, il en oublia de se méfier et une fois de plus, fit confiance trop vite. Car Ehvan avait un défaut, il ne voyait la véritable nature de ceux qui l'entouraient qu'une fois la trahison révélé. Lui, qui participe activement à la cause des rebelles, lui qui ne pense qu'à Jora emprisonnée, ne voit pas qu'il n'est qu'un pion de plus dans l'échiquier de le la souveraine elfique, qui en fait de compte, ne vaut pas bien mieux que Kalanar ou Jorkell... Jusqu'à quel point l'honneur et le sens des valeurs sauront retenir le jeune lion de sortir les griffes pour déchirer des gorges, sans distinction aucune ?
   

Félicitations, très cher pion, et bienvenue sur l'échiquier de Frostfall. Gare à toi, parce qu'ici, la félonie est un plat qu'on sert à toutes les sauces...

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   Sur ce, nous te souhaitons bon jeu sur Frostfall et espérons que la Fatalité te sera favorable !