Mon esprit était un océan troublé ces derniers temps. Depuis que j'avais recroisé Irinwë à Ibenholt, quelque chose avait ressurgi des méandres de ma conscience. Avais-je eu raison, avais-je eu tort de conseiller mon père à changer d'allégeance ? Était-ce le meilleur choix à faire ? La honte d'avoir abandonné une enfant à son sort d'orpheline m'avait étreinte une nouvelle fois, et ce goût amer ne quittait plus ma bouche. J'arborais une mine sombre quand j'étais seule et parvenais à remettre le masque d'indifférence qu'on attendait de la part d'un garde du corps en public. Il était désolant de constater que mes résolutions s'érodaient face à une amie et j'avais beau plaider la faiblesse humaine, je ne parvenais pas à me le pardonner moi-même. J'avais trahi Lady Jora, l'admettre amenait une saveur putride aux mets que je pouvais avaler. Sans y réfléchir, mes pas m'avaient mené dans l'aile où elle était retenue. Deux gardes limitaient les entrées dans ses appartements. Une prison dorée. Ils m'observèrent, suspicieux soudainement. Ils savaient qui j'étais, même s'ils n'avaient sans doute jamais entendu le son de ma voix. Mon armure cliqueta tandis que je m'arrêtais pour leur faire face, plutôt que de passer mon chemin. Je les toisai, et je sentais dans leurs regards des pensées hostiles que je n'avais jamais perçues. Mais ça devait être mon esprit qui me jouait des tours, le fourbe animal. La culpabilité me rongeait, voilà tout.
Je les saluai brièvement d'un signe de tête sans leur avoir parlé pour autant, et j'allai pour reprendre mon avancée, lorsqu'un bruit inhabituel parvint à travers la porte close. Un bruit sourd. Un bruit de chute. La chute d'un corps. Des réflexes ancrés dans ma chair depuis plusieurs années maintenant s'éveillaient immédiatement. Les gardes se regardaient l'un l'autre, ne sachant quoi faire. On leur avait formellement interdit de quitter leur poste. Mais j'étais libre de mes mouvements, pour un temps encore, peut-être. Aussi, je poussai les battants qui scellaient les appartements de Lady Jora et j'y entrai sans autorisation. Des instincts protecteurs avaient levé l'alarme dans mon esprit. Je devais m'assurer qu'elle se portait bien.
Enroulée dans ses draps de soie, la fille d'Hulgard Ebonhand se prélassait au pied de son lit. Elle n'était pas tombée de haut, et un tas de couvertures avait amorti sa chute. Mais elle semblait dans un état second, et je me précipitai à son chevet. Comme si je n'avais jamais changé d'allégeance. Comme si la jeune femme restait ma protégée. Comme si je ne lui avais jamais tourné le dos.
Et pourtant…
« Lady Jora, que s'est-il passé ? », demandais-je d'une voix où l'inquiétude perçait.
Les effluves alcoolisées me parvinrent enfin, elles qui avaient valsé dans les airs à cause de mon empressement. Elle avait bu. Rectification, la demoiselle aux cheveux d'un blond presque argenté était ivre. La Mascarade avait apparemment déjà fait une victime et, connaissant l'heure qu'il était, je savais qu'elle n'avait que quelques heures pour s'en remettre. Mais où était Irinwë ? Que faisaient ses gens ? Comment se pouvait-il qu'elle n'ait personne à ses côtés dans un tel état ? Peut-être que l'elfe était partie chercher des plantes pour faire une de ces décoctions miracle. Elle reviendrait bientôt, sans doute.
Et moi ? Que devais-je faire ? Bouclier-lige de la Reine Sylarne, je n'aurais pas dû être là. Mais penchée sur la noble enfant, je ne pouvais me résoudre à l'abandonner une nouvelle fois. « Milady, m'entendez-vous ? Milady ? », mon timbre se renforçait tandis que je l'avais prise par les épaules et qu'avec moult précautions je passais un bras sous sa nuque pour soutenir sa tête. « Jora ? »
Jora Ebonhand
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Sujet: Re: [event] all these perfect imperfections (jora) Dim 27 Avr - 13:22
S
a couche brimbalait à l'instar d'un vaisseau en plein océan, il lui semblait sentir les ressacs heurter les flancs et lui donner un vertige émétique. La respiration erratique, la sudation perlant à ses tempes, c'était davantage emmaillotée dans un profond malaise que dans ses draps que la donzelle était alitée, jurant par toutes les déités qu'elle vivait ses derniers instants sur cette maudite terre. Les lancinations d'angoisse se mêlaient aux haut-le-coeur et Jora se surprenait à vouloir qu'une âme charitable lui porte l'estocade. Quelle indicible sottise d'avoir goûté au travers de l'alcool un jour aussi primordial que celui-ci, à peine une poignée d'heures avant le Bal qui augurait – elle l'espérait très sincèrement – l'essor qu'elle attendait depuis trop longtemps. Vex, ce faquin, elle le maudissait mille fois pour l'avoir encensée et encouragée à boire à outrance, sans lui confier qu'après l'étonnante sensation de légèreté et de désinvolture qu'apportait l'ivresse, il y aurait une véritable sarabande qui se jouerait dans son crâne. En cet instant, elle se promettait solennellement de ne plus jamais humecter ses lippes d'une quelconque larme de vin, qu'il eut s'agit de picrate ou de celui d'Agathée. Elle ne se souvenait qu'à peine de ses gardes qui l'avaient traînée jusque dans le palais où ils avaient eu la chance de croiser Irinwe, qui s'était occupée de coucher sa maîtresse, celle-ci s'assoupissant presque instantanément. Un long moment s'était écoulé depuis, et son organisme avait profité de sa sieste pour appeler à la sédition.
Tournant, se retournant, gesticulant, l'Ebonhand luttait contre elle-même en miaulant de frêles gémissements. Une roulade de trop la fit littéralement choir de son lit, chute qui fut heureusement amortie par des couvertures qu'elle avait certainement jetée là, elle ne savait comment. Moribonde sur le sol, elle n'entendit point l'huis s'ouvrir et ne prit conscience d'une présence que lorsqu'une phonation s'enquit de son état. « Mmmh... gnnhmpf... » Maugréa la colombe dans un dialecte de son cru, la crinière en pagaille et le teint exsangue. « … je vais mourir... » Ses paupières s'ouvrirent laborieusement, puis elle darda un très long regard évaporé à la Blackthorn, inspectant ses traits avec une lenteur accablante pour que ses méninges puissent rassembler les informations. « Vous... c'est vous... vous avez mis un poison dans ma tisane...! » En pleine divagation, la jouvencelle tenta de s'extirper des bras de son interlocutrice... pour mieux y retomber, et finalement abdiquer à l'idée de se lever. Elle préféra rouler sur le côté pour s'éloigner de la félonne, à à peine une coudée de là. « Laissez-moi... je ne veux pas... de votre aide... ! Je n'ai pas... plus... besoin de vous... » Un temps qu'elle estimait révolu, depuis que les vestes s'étaient retournées au profit d'un certain Usurpateur.
Le minois de la donzelle se teignit de verdâtre et une sueur froide la fit trembloter. Jora se força néanmoins à se mettre à quatre pattes, piètre spectacle dont elle n'avait pour l'instant cure tant elle s'échinait à survivre. Cependant, sa tentative de se mouvoir fut promptement endiguée. « … Blaze... !! » Une main plaquée sur sa bouche, elle tendit la seconde pour désigner un objet. « Le vase... le vase !! » Elle attendit tant bien que mal que le chevalier daigne le lui rapporter, avant d'y rendre tripes et boyaux comme si elle était en train de vomir son âme. « Au secours... ! » Une menotte fermement agrichée autour du récipient, l'autre avait intuitivement saisi l'armure de la bretteuse pour ne pas qu'elle l'abandonne, marquant par là tout le paradoxe de la chose.
Blaze Blackthorn
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Sujet: Re: [event] all these perfect imperfections (jora) Sam 3 Mai - 12:24
Elle reprenait conscience et sa bouche empâtée m'envoyait au diable avec plus de retenue que d'autres occasions, prophétisant une mort improbable et trahissant une tolérance restreinte à l'alcool. « Vous... c'est vous... vous avez mis un poison dans ma tisane...! » L'accusation aurait porté un trait bien plus blessant si elle n'avait pas été en proie aux vicissitudes de l'ivresse. Et pourtant c'était sa colère qui parlait, son inconscient qui dévoilait des idées fausses. Comment aurais-je pu chercher à l'empoisonner ? Comment même aurais-je pu l'atteindre alors que je prenais soin de la croiser le moins possible pour ne pas voir des éclairs des ses yeux. Elle s'écarta de moi, repoussant les bras tendus et préférant rouler sur elle-même pour s'éloigner. « Laissez-moi... je ne veux pas... de votre aide... ! Je n'ai pas... plus... besoin de vous... » Je me redressai, bras ballants, et reculai d'un pas ou deux. Je savais bien qu'elle ne voulait plus de mes services : qui aurait voulu de l'aide de la part d'un traître autrefois bien connu ? Cependant, elle devait savoir en son for intérieur que j'étais la seule capable de l'aider pour cette fois, puisqu'elle rappela mon attention avant de porter une main à sa bouche, signe évident d'un haut-le-cœur qui risquait de se déverser sur le sol marbrée. « Le vase... le vase !! » Quel vase ?, allais-je répliquer avant de suivre la direction de son doigt et de m'élancer en quelques enjambées pour récupérer le vase, balancer les fleurs et l'eau qui y trônaient par dessus mon épaule, et le présenter à la jeune femme qui y régurgita tout ce qu'elle avait pu ingurgiter. Sa menotte s'accrocha à mon armure et la tendresse que j'avais à son égard se raviva à l'instant même. « Au secours... ! », implorait-elle encore tout en rendant sa bile.
Un garde eut la présence d'esprit d'avancer dans la chambre, ayant entendu qu'on appelait au secours. Sans doute voulait-il vérifier que je n'avais pas été envoyée par Lady Sylarne pour occire la donzelle que Jorkell voulait garder enfermée. J'aboyais, en croisant son regard choqué et goguenard, un « Sors d'ici ! » qui le renvoyait au dehors en le faisant même refermer la porte. Voir l'héritière Ebonhand dans un tel état était sans doute hilarant pour lui, qui servait Jorkell, mais je ne pouvais souffrir qu'on se moquât ainsi de Lady Jora. Maintenant toujours le vase sous sa bouche, je la couvais du regard, me sentant infâme et indigne d'être ici. Et pourtant, il n'y avait personne d'autre à l'instant, et je ne pouvais me résigner à quitter les lieux une nouvelle fois. Ou du moins, pas avant de m'être assurée qu'elle était remise de ses émotions dégobillantes.
Lorsque les soulèvements d'estomac se furent calmés, je reposais le récipient avec douceur, en lui laissant une main dessus, au cas où elle avait besoin de l'utiliser encore. Je me débarrassai ensuite des gantelets de métal qui couvraient mes mains, afin de sortir un tissu qui entourait un poignet endolori depuis un entrainement précédent. Je tendis le textile à la princesse, afin qu'elle s'essuie les coins de la bouche. Qu'importe que le foulard soit souillé, il ne me servait pas à grand chose en temps normal. Et, la fixant toujours d'un regard inquiet, je m'entendais tenter de la rassurer : « Ça va aller, Milady. Ce n'est qu'un mauvais moment à passer. » Je me souvenais moi-même de ma rencontre avec la boisson, et de la même difficulté que j'avais connue le lendemain de mon mariage. Ma voix était douce tandis que je reprenais : « Pouvez-vous marcher, Jora ? Un bain vous fera le plus grand bien, il suffit d'envoyer quelqu'un chercher de l'eau… » Je me redressai lentement, la soutenant avec attention. Était-ce le moment pour lui demander pardon ? Un pardon que je ne m'accordais même pas ? Non. Elle n'était sans doute pas assez lucide pour savoir ce que je lui demanderai, alors autant ne pas essayer. Il fallait d'abord l'aider à s'en remettre, et peut-être plus tard… Mais pour l'heure, l'aider à se remettre de cet épisode désagréable. « C'est la première fois que vous buvez, Ma Dame ? » Étais-je en droit de l'interroger ainsi ? Je n'étais point sa mère, et je n'étais même plus son amie. Simplement un soutien que les circonstances la forçaient à accepter pour le temps que ça durerait.
Jora Ebonhand
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Sujet: Re: [event] all these perfect imperfections (jora) Lun 5 Mai - 11:04
S
i elle avait pu distinguer la mine gouailleuse du factionnaire qui avait fait une brève incursion, peut-être aurait-elle fait l'impensable effort de se redresser pour pouvoir le tâcher de sa bile – dans tous les sens du terme. Dans tous les cas, elle ne devina la présence d'une tierce personne que par l'injonction de la cerbère qui la renvoya à ses pénates, trop occupée qu'elle était à faire ses dernières patenôtres tant son malaise lui donnait l'impression qu'il s'agissait de la fin. Mais au moins, elle se purgea de son mal et se sentit presque instantanément mieux une fois sa panse tarabustée vide, ce, même si elle n'était point prête à aller danser tout de go. Les larmes aux cils et le soufflant rauque et manquant, Jora se calmait lentement, jusqu'à ce que ses mirettes ne se relèvent en direction du mouchoir d'infortune tendu par la Blackthorn, qu'elle prit pour en faire bon usage. Voir cette dernière prendre soin d'elle de la sorte lui léguait une sapidité plus amère encore que les sécrétions gastriques et hématiques, simplement parce qu'elle lui remémorait un temps qu'elle regrettait, une période pas si lointaine. Etait-ce en souvenir de son allégeance d'antan qu'elle restait ainsi l'épauler, ne lui tournant pas pour la seconde fois l'échine en revalant d'hypothétiques remords par instinct de sauvegarde ? Elle l'ignorait, ne savait que dire, que penser, et se contenta donc de se redresser tout en s'appuyant de tout son poids sur le chevalier qui n'aurait nulle difficulté à la soutenir – physiquement plus que mentalement. « Mhmh... » Fit-elle seulement lorsqu'il fut question du bain, avant de s'entendre râler sur le responsable de son état. « Maudit sieur à la langue bien pendue, Dagoth emporte sa fichue force de persuasion, je me suis laissée leurrer comme une enfant qui ne connait rien à la vie ! » N'était-ce point le cas ? « La première et la dernière fois, je jure solennellement que je ne toucherai plus jamais un verre de vin de toute mon existence... burp... jamais ! »
Ce serait Vex qui rirait à gorge déployée s'il apprenait les résultats de son audace avinée, à n'en point douter. Puis, l'on fit mander l'aide de domestiques pour préparer ledit bain, les allées et venues faisant promptement tournoyer la tête de la jouvencelle qui préféra s'aliter en attendant que le tout soit prêt. Une fois que ce fut chose faite, elle ne fut guère pudibonde à se dévêtir devant les servantes et s'immergea progressivement dans l'eau fumante pour y noyer son trouble. La sensation salvatrice la fit soupirer d'aise, elle aurait juré pouvoir s'assoupir à nouveau, cependant... « Dehors... Toutes, sortez. » Les galbes firent volte-face dans le dessein de disposer. « Pas vous, lady Blackthorn. » Elle patienta que toutes les autres aient quitté les lieux, comptant sur, elle l'espérait, la curiosité de la bretteuse plus qu'autre chose, puisqu'elle n'avait officiellement plus d'ordre à recevoir de la part de l'Ebonhand. Seules, les secondes fluèrent, mutiques, pesantes, jusqu'à ce que la voix de la demoiselle ne s'élève. « Merci... » L'oeil bas, elle contempla les ondes aquatiques, hésitante quant à la suite de la conversation, qu'elle osa tout de même poursuivre après un second silence. « Blaze... as-tu... vraiment renoncé à moi ?... » Loin d'être incongrue, la familiarité du tutoiement lui était revenue intuitivement, car jadis, elle l'avait considérée comme une amie – comme un modèle.
Blaze Blackthorn
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Sujet: Re: [event] all these perfect imperfections (jora) Dim 11 Mai - 23:23
L'enfant avait bu motivée par les paroles traitres d'un félon dont j'ignorais l'identité. Je ne cherchais pas à la connaître, laissant les choses suivre leur cours. Bientôt, Lady Jora fut dans son bain et je m'apprêtai à quitter les lieux. Elle me retint contre toute attente -ou peut-être aurais-je dû m'en douter ?- et, intriguée, je restai. Rien ne m'y obligeait, à part peut-être ce sentiment de devoir qui s'était éveillé lorsque je l'avais trouvée à terre, dans cette pièce immense où elle semblait si frêle et si seule. Mais seule, elle ne l'était qu'en apparence. Irinwe était dans les couloirs de Jernvugge, et elle comptait l'en faire sortir, tôt ou tard. Je ne savais toujours pas quoi faire, mais je garderai le secret sur cette entreprise. Irais-je ou resterais-je ? Seul le temps, et le moment venu, me le diraient. Et pour l'heure, ça n'était pas le cas.
Pour l'heure, l'héritière d'Hulgard Ebonhand me remerciait, attirant sur elle mon regard honteux. J'avais fait si peu. J'aurais dû faire bien plus, et ça n'était pas le cas, loin de là. La jeune femme ne me fixait pas, non, elle s'intéressait aux cercles concentriques sur la surface de l'eau qui l'enveloppait d'une lénifiante chaleur. Sa voix s'éleva de nouveau, me brisant le cœur plus que je ne l'aurais cru. « Blaze... as-tu... vraiment renoncé à moi ?... » Je l'observai, la femme-enfant, l'héritière d'Hulgard, et je restai muette pendant quelques instants. Les apparences voulaient bien dire ce qu'elles dévoilaient : en lui tournant le dos, j'avais renoncé à elle, à ses droits, à son héritage déjà taché de sang. Mon armure me semblait bien plus lourde maintenant que je devais l'assumer devant celle que je ne protégeai plus. Je n'aurais pas cru pouvoir me sentir ainsi, mais c'était la culpabilité qui parlait. Et si elle me rongeait, cela voulait bien dire que je n'avais pas totalement renoncé à elle. Que je ne l'avais pas totalement abandonné. Ou du moins, que ça n'avait pas été de mon plein gré. Mais pourquoi se mentir ? Pourquoi refuser de voir la vérité en face ? Pouvais-je, devais-je, reconnaître qu'une part de mon âme était broyée à chaque fois que je repensais à Lady Jora ? « Milady… », je tentais d'entamer une phrase, mais les mots suivants se refusaient à mes lèvres. Que pouvais-je lui dire ? Lui jurer de nouveau fidélité alors que j'avais trahi sa cause ?
Pourtant… Irinwe avait eu confiance en moi, avait cru en moi, même, et elle m'avait confié son projet de faire échapper Lady Jora. Je n'avais pas eu le cœur, ni le courage, de les rejoindre dans cette entreprise. Je ne le pouvais pas. Mes serments n'avaient qu'une infime valeur et si je les brisais encore, je ne croirais plus jamais ma propre parole. « Je ne saurai vous protéger. » Ce n'était pas ma capacité que je mettais en doute. C'était plutôt l'image que ça renverrait que je redoutais : la demoiselle devait paraître forte et elle ne pouvait accorder son pardon à tous. Je me sacrifiai sans le dire, sans en être vraiment consciente. « J'ai été lâche et faible, je le reconnais, mais je ne pourrai jamais vous nuire. » Les Clanfell étaient mes suzerains désormais, mais si une nouvelle guerre devait éclater, jamais il ne me prendrait la folie de lever les armes contre les Ebonhand, quels qu'en soient les ordres qu'on me donnerait. Je protégeais Sylarne, et ne prendrai part aux combats. Devait-elle savoir que je connaissais le projet d'échappée ? Comprendrait-elle que je ne pouvais l'accompagner ? « Je croyais avoir renoncé à vous, Lady Jora, mais ça n'est pas le cas. Je sais que vous êtes forte et que vous avez en vous tout ce qu'il faut pour régner et vous faire respecter. Ma présence à vos côtés sera un signe que beaucoup méprendront : je ne peux consentir à vous rendre vulnérable aux critiques. Sans renoncer à vous, je renonce toutefois à une place dans votre suite. » L'armure grinçait et brinquebalait tandis que je posai un genou au sol. De haute stature, je dépassai aisément le rebord de la baignoire où Lady Jora était et mes yeux étaient plantés dans ses prunelles. « Sous d'autres cieux, j'aurais voulu ne jamais vous avoir tourné le dos. » Était-ce sage de le lui dire ? N'allais-je pas culpabiliser d'autant plus ? Je resterai à mon poste auprès de Lady Sylarne, mais cela n'était pas mentir que reconnaître dans un tête-à-tête avec l'enfant aux cheveux blancs que j'aurais voulu qu'il en soit autrement.
Jora Ebonhand
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Sujet: Re: [event] all these perfect imperfections (jora) Mar 13 Mai - 15:29
V
oilà qu'elle se retrouvait à faire des bulles dans un bain chaud en compagnie de son ancienne égide sur le front de laquelle avait été estampillé le terme félonie. Celui-là même qu'elle avait craint de voir sur le faciès hirsute du seigneur Snowhelm, celui-là même qu'elle croyait aussi orner le minois de Jack Claymerie et de tous ceux qui ne lui avaient point encore manifesté leur allégeance tacite. Si on lui avait dit que cette journée serait si haute en truculences et émotions qu'elle parvenait encore à couver sous le voile du quant-à-soi, elle ne l'aurait jamais cru, et pour cause ! S'il avait fallu y mettre sa main à trancher, sans doute aurait-elle parié sur le fait que la Blackthorn aurait poursuivi sa route, non mécontente d'avoir gagné ses éperons auprès de la nouvelle souveraine. Force était de constater qu'elle s'était fourvoyée, et à bien y songer, elle avait presque honte d'avoir si mal pensé. Pour autant, était-ce l'affection d'antan ou la miséricorde qui l'avait poussé à lui apporter son soutien ? L'incertitude flamboyait toujours en l'esprit embrumé de la naïade qui appréhendait le corollaire de son interrogation, elle qui s'était plu à réclamer des comptes même de manière courtoise à la traîtresse d'apparence. Celle-ci ne fut visiblement pas plus confortable avec le temps des confessions, c'était là son opportunité de faire amende honorable, elle qui avait dû endurer l'ire acerbe de la princesse déchue qui n'avait que trop montré les crocs. Serait-ce une occasion qu'elle saisirait ou qu'elle laisserait s'évanouir dans le néant ? Jora savait, elle savait que c'était très certainement la dernière fois avant longtemps qu'elles converseraient, et si leurs vers se recroisaient, elle ne serait plus une oiselle en cage, mais une candidate à part entière du jeu des trônes.
Elle écouta, les mirettes toujours aussi basses, inapte à faire face aux actes inéluctablement assumés du chevalier qui ne faisait que souligner l'évidence. Des mots qui ceignirent sa gorge et la firent un instant suffoquer, car si elle préférait ouïr la vérité, cela ne signifiait pas pour autant qu'elle était indolore. Comment pouvait-elle ne pas renoncer à elle tout en refusant de se joindre à sa cause ? La décision absconse eut du mal à faire écho en l'Ebonhand, qui ne releva le regard que lorsqu'elle entendit les cliquetis de l'armure et vit son interlocutrice poser une rotule au sol à ses abords. Elle semblait maculée de remords, aurait souhaité, comme nombre, que les choses ne se soient pas déroulées ainsi. Mais l'on ne pouvait refaçonner le passé, il fallait se concentrer à forger le futur. « Et moi donc. J'avais confiance en toi. » Et n'avait malheureusement plus désormais, il n'était pas question de cette rancune qui l'avait encouragée à être acrimonieuse à chacune de leur rencontre, non, il s'agissait du truisme de leurs positions respectives. « Je ne crois pas que ce soit pour me préserver des médisances que tu me refuses ta loyauté, je crois que tu te cherches des excuses, ce n'est pas moi que tu tentes de convaincre. Durant toutes ces années Blaze, j'ai appris à te connaître, je t'ai beaucoup observée, écoutée, les gens comme toi survivent à travers leur honneur, un honneur que tu as bafoué en courbant l'échine face aux Ravncrone. Un semblant d'honneur que tu as peut-être retrouvé en te mettant au service de la reine, et tu ne supporterais pas de trahir à nouveau, n'est-ce pas... » Question rhétorique, la jouvencelle n'était pas sotte, ou l'était beaucoup moins qu'auparavant dans tous les cas. Elle détourna le regard, l'immobilisant sur un détail trivial de la décoration de ses appartements. « Je comprends. Je ne l'accepte pas, mais je comprends. J'ai été aveuglée par la rage et l'affliction après le meurtre de mon père, je pensais naïvement qu'il suffisait que nos partisans s'élèvent pour que je puisse reprendre le trône, c'est terriblement faux... L'instinct de préservation a permis à certains de ne pas se faire éradiquer comme beaucoup de nos féaux l'ont été, qu'aurais-je fait, à votre place ? Aurais-je préféré finir la tête sur les remparts de Jernvugge avec la quiétude d'avoir péri pour mes convictions ou me serais-je agenouillée devant l'Usurpateur ? Quelques-uns ont été plus retors, ils ont feint, et continuent de me soutenir malgré le péril. Tapis dans la pénombre dans laquelle ils ont été acculés, ils n'oublient pas. » Son visage prit des courbes désenchantées. « J'avais espéré que tu sois de ceux-là... »
Blaze Blackthorn
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Sujet: Re: [event] all these perfect imperfections (jora) Lun 19 Mai - 1:42
« J'avais confiance en toi. » Cette phrase, peut-être plus que toutes les autres, aurait presque suffi à faire tout vaciller. Mais je ne cédais pas à cette petite voix qui m'enjoignait à épouser sa cause complètement. Je n'avais pu me pardonner cette trahison -car c'en était une-, mais je savais que je ne pardonnerai pas plus de trahir Lady Sylarne. J'étais dans une serre inextricable et des ronces m'enserraient les poings. Les mots de Lady Jora me broyaient les entrailles, et je voyais derrière l'enfant que j'avais protégée, la jeune femme qui émergeait. Elle comprenait, sans l'accepter, et décelait mieux mes motifs que moi. J'inclinais la tête, sans mot dire, peut-être sous la honte, peut-être sous la fatigue. Lady Jora continuait de parler et elle en vint à ses soutiens, tapis dans l'ombre. « J'avais espéré que tu sois de ceux-là.. » Une moue désabusée ornait à présent mon visage : je ne pouvais porter de masque en sa présence. Parfois, j'avais l'impression qu'elle me perçait à jour en un rien de temps, et je ne pouvais lui mentir ou lui dissimuler quoi que ce soit. Elle savait pourquoi je ne pouvais être à ses côtés. « Je ne peux pas… Je n'ai jamais voulu apprendre à feindre plus que de raison. » Plus qu'une explication, c'était une justification. « Je ne peux feindre une allégeance. Les intrigues de cour ne sont pas, et n'ont jamais été, des eaux où je sais naviguer. » Ça n'était même pas des manières que j'appréciais, mais ç'aurait été porter un jugement sur ces pratiques, auxquelles Lady Jora s'adonnait. « J'espère que vous saurez trouver de quoi pardonner la déception que je vous cause. » Mon ton était trop froid, et mon visage s'était durci. Que faisais-je ? Je me sentais m'attendrir pour elle et je savais qu'il fallait que j'instaure une distance salvatrice. Je ne pouvais pas quitter Jernvugge avec elle. Ç'aurait été insensé, dangereux, risqué… et indigne. « Vous avez bien compris, Milady. J'aurais préféré ne jamais vous avoir trahie, mais ce qui est fait ne peut être défait, et je ne peux malheureusement pas revenir sur mes actes passés. Et pour autant, même si mon cœur voudrait vous suivre, ma raison s'y refuse. Je ne peux être une tourne-casaque à l'infini : même moi, je finirai par douter de tout, notamment de ma propre parole et de mes choix. Qui pourrait ensuite prêter foi à mes décisions ou mes promesses ? Le pourrais-je moi-même ? Non. Non. Il vaut mieux que je cesse ces inepties et que je m'en tienne à ce que j'ai juré, malgré ce que ça peut me couter. » Je m'étais relevée, l'armure grinçant à chacun de mes mouvements, son poids se renforçant à chaque pas que j'esquissai. Je ne la regardais plus, préférant fixer les murs autour de nous, plutôt que de croiser ses prunelles. En m'écoutant parler, je savais que j'avais bien changé depuis que j'avais prêté serment devant Synric Clanfell. J'étais résignée à remplir ma tâche, mais je ne savais plus si j'avais fait le bon choix. Revoir Lady Jora, en aussi mauvaise condition, ivre à en vomir, m'avait rappelé que celle que j'avais abandonnée n'était qu'une enfant, qu'une jeune femme rendue orpheline par le coup du sort et les trahisons en règle à la Cour. « De surcroit, vous n'avez pas besoin de moi. Vous avez assez de conseillers avisés pour vous garder des embûches et des faux-pas. Des moins lâches que moi, dans tous les cas. » La lâcheté, sans doute le second fléau que je redoutais, et devant lequel j'avais pourtant courbé l'échine. Parjure et lâche. J'étais tout ce dont elle n'avait pas besoin. Elle serait mieux sans moi. Je me le répétais, et pourtant, ses mots me revenaient, rengaine traitresse qui me meurtrissait plus que de raison. J'avais confiance en toi. « Me permettez-vous de prendre congé, Milady ? Je sens bien que je vous importune par ma présence… » et si je reste plus longtemps, je ne parviendrais pas à me regarder dans un miroir. Je taisais bien sûr ces dernières pensées qui m'assaillaient. Je devais quitter les lieux. Ma raison balançait, et c'était la dernière chose dont j'avais besoin : un ballottement entre deux pôles qui s'opposaient, dont l'un d'eux devait tôt ou tard s'échapper de la citadelle. Je ne pouvais être la proie aux regrets. Je devais me ressaisir. Reprendre l'ascendant sur ces pensées troublées. Agir de façon digne, noble, comme mon rang me l'ordonnait. « Je vous souhaite un franc succès dans votre entreprise, Princesse. Sincèrement. Mais je ne pourrais y prendre part sans totalement y perdre mon âme. » J'attendis qu'elle me donne mon congé, puis je vidais les lieux après m'être inclinée une dernière fois à son adresse. De longues enjambées me conduisirent jusqu'à ma chambre, où je m'enfermais avec mes regrets, mes doutes, et mes interrogations qui tournaient plus que jamais dans cette tempête sous un crâne.
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Sujet: Re: [event] all these perfect imperfections (jora)
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