Trois grands coups de botte à l’armature mouchetée de rouille portée à l’amas de paillasse qui lui servait de couche le réveillèrent. «Les aurores, fils de pute. Aucun homme digne de ce nom ne devrait avoir à se réveiller aux putains d’aurores. Recule, repart et retourne garder n’importe quelle porte que mon enfoiré de père te paye à regarder et j’oublierai l’envie insatiable que j’ai de prendre ta pique et de te l’enfoncer jusqu’à ta sale gueule par l’orifice qui te sera le plus désagréable.» Un flot de vin de la veille lui martelait le crâne. Pourquoi diable le seul moment où l’on avait besoin du bâtard devait être aussi tôt? Il ouvra finalement les yeux. La lumière était faible, mais déjà trop agressive pour des yeux toujours fatigué des abus de la nuit. Le garde lui était familier, un homme au menton fuyant, rentrant difficilement dans son armure. «Lord Doran vous requiert sir.» Malheureusement pour Willem, si quelqu’un pouvait bien le pousser à se lever avec le soleil c’était Doran Goldenhorn. Il soupira, «Dégage maintenant, j’irai au chevet de mon oncle ne te fait pas de mouron». Une fois seul, Hunt enfila une simple chemise de chanvre, une de ses seules tenues qui ne témoignait pas de sa vie débauche. Il sortit de sa chambre et se dirigea vers les cuisines. Les limiers lui lancèrent des regards d’excitation, mais le temps pressait. Il leur apporterait à son retour un morceau de l’orignac qu’ils avaient traqué la veille. Aux cuisines, il vola un biscuit au miel et un baisé à Silae, la jeune rouquine aux yeux de biche chargée des déjeuners qui lui avait un jour offert son pucelage. Elle lui promit une visite dans les prochains jours et il s’en fut.
La chambre du vieux cerf empestait la maladie et les onguents aux épices envahissantes. Rien ne s’était amélioré apparemment. Son entrée troubla le calme du vieil homme qui entrouvrit de lourdes paupières enflées. «Je vais mourir.» Sa voix ne témoignait pas la moindre tristesse, elle semblait même camoufler une pointe d'amusement. Sa main tremblante désigna un large banc adjacent au lit de plumes. Il avait de larges mains, forgées pour le combat et dont les fortes jointures semblaient encore pouvoir briser les os avec aisance même affligées du mal qui le rongeait. Il n’était pas nécessaire d’encourager le malade, il avait été préparé à mourir toute sa vie, à passé au fil de l’épée. Willem Hunt s’avança d’un pas lourd, la tête basse, et pris place dans un mutisme complet. La nouvelle l’affligeait plus qu’il ne l’aurait imaginé et ses pensées se troublèrent dans une brume sombre. «Écoutes-moi maintenant. Lorsque que je  serai mort, tu prendras ma place en tant que maître d’armes et tu siègeras au conseil lorsqu’il sera nécessaire.» Les mots prirent du temps à faire écho dans les oreilles du bâtard. Il doit être dément, jamais mon père ne voudra de moi près de son siège aux andouillers. Il ne savait quoi répondre, les mots s’entrechoquaient dans sa tête et se brisaient contre les murailles de son esprit. Finalement, il balbutia une réponse sans équivoque, «Je n’en veux point.» Le visage du guerrier resta stoïque, il faudrait plus qu’un non pour faire fléchir Doran Goldenhorn. «Les conseillers de mon père vont protester et…» Le regard se posant sur lui le fit se taire immédiatement. «Les hommes de ton père tueraient leur propre fils si cela pourrait leur permettre de prendre la tête de ce château. Sévérick ne leur porte aucune sympathie. Je suis son frère et la seule personne en qui il place la moindre confiance. Il a besoin que je lui lègue un remplaçant qui ne rêve pas de son sang après mon départ.» Il avait raison. De nos jours, les hommes ne vivaient que pour leur propre ambition dans une course éperdue vers le pouvoir et Willem Hunt avait cure du pouvoir. Or, il n’avait jamais eu d’autres responsabilités que ses limiers et bien qu’il fût le meilleur combattant parmi les rangs du maître d’armes Goldenhorn, il n’avait pas la gueule d’un professeur. «Jamais mon père n’acceptera.» Doran restait aussi solide et têtu qu’une statue de marbre. «Ton père m’a donné le mandat de choisir parmi mes hommes et je te choisi. Ne te détrompe pas, il t’acceptera en tant qu’un de ses hommes, mais ne t’aimera jamais en tant que fils. J’étais là lors de ton premier vagissement. J’ai vu ta camériste de mère perdre sa vie en te donnant naissance et j’ai reconnu la force des cerfs en toi. J’ai prié ton père de ne pas t’abattre. Il m’a donné la charge de faire de toi un homme et m’a donné sa parole face à ta survie tant que je te rendrais utile. » Il marqua un pause. «La nuit de l’exil de Maric, son héritier légitime, Sévérick est venu me voir. Jamais il n’a ressenti la moindre tristesse. J’ai dût l’enivré de rhum pour qu’aucun des serviteurs ne meurs ce soir là tellement sa honte avait réveillé de rage en lui. Ton père est un homme de devoir. Jamais il ne connaîtra la compassion, mais il est mon frère et il m’écoute, les dieux soient loués. » Willem ferma les yeux, tentant de s’imaginer la vie que son oncle lui proposait. Quelque chose ne collait pas. Il était trop jeune, trop irresponsable et trop ivre de vices pour tenir un tel rôle. «Je ne peux pas le faire.» Le vieil homme lui empoigna le bras fortement, son visage au nez camus le foudroyant du regard. Il parla d’une voix forte et agressive, «Je vais mourir. Ton père ne se remariera pas et il est vieux tout comme moi. Son fils est au loin ou mort pour autant que je sache. Comprends-tu ce qui se passe Willem ? Je t’ai donné une chance de vivre, je t’ai élevé comme un fils, je t’ai fait chevalier et oui, je t’ai apparemment fait don de mes vices de jeunesse, maintenant, à toi de me rendre service. Ma Siobhàn est jeune et forte, mais elle sera lancée seule dans une fosse à lion si tu ne la protège pas. Je ne tolérerai pas que tu me refuses. Tu auras tout l’or que tu voudras pour t’acheter des femmes et une nouvelle épée…» Il en avait assez entendu. Le jeune homme se leva et se précipita vers la porte. Sur le seuil, il s’arrêta net, un sourire sur ses lèvres : «Elle mourra plus ridée que vous, vieux cerf rabougri que vous êtes.» La dernière chose qu’il entendit du vieil homme fût son rire gras entrecoupé d’une terrible quinte de toux.                          

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