Fille cadette des Horseborn, famille vassale des Lonerider, Malen est une véritable petite peste. Enfant gâtée, prunelle de son père et de ses frères, elle a toujours reçu plus d'attention que le reste de la fratrie Horseborn, développant un goût certain pour l'histrionie la plus envahissante. Narcissique, égocentrique et égoïste, Malen est une jeune femme volubile, irrévérencieuse par son incapacité à s'inhiber elle-même et très peu discrète. Répugnant à être laissée de côté, elle est indéniablement dépendante du regard des autres, souhaitant se faire aimer de toutes les manières inimaginables, redoutant d'être la cible de ragots ou de médisances, mais les colportant à son tour avec une ferveur presque cruelle lorsqu'elles concernent une tierce personne. Véritable souveraine de son univers, elle fut toujours surprotégée par la parentèle, écartée du monde réel et entourée de chimères. On la voit toujours comme une fragile oiselle et pourtant, une certaine force de caractère émane de ses traits jouvenceaux et de ses éclats de colère de plus en plus fréquents. Jalouse, possessive et envieuse, elle souhaite tout acquérir et tout posséder, quitte à tout arracher des mains d'un autre, puisqu'on ne lui a, jusqu'à maintenant, rien refusé. Facilement émerveillée, un rien la rend euphorique et sémillante, mais un rien la précipite également dans une chute dysphorique qui teinte invariablement son humeur de paranoïa et de jalousie maladive.

Introduite très tôt à la cour de Hvittjell, elle fit la connaissance de Cienna Lonerider avec qui elle trouva plusieurs affinités, notamment la haine pour les choses militaires et un émerveillement tout aussi partagé pour les rumeurs de la cour. Précieuse péronnelle, elle affectionne les tenues particulièrement fastes et ostentatoires, s'alourdissant de bijoux et d'artifices pour faire son chemin parmi les plus intrigants courtisans. Forte de son ascendance sur son père et à grands renforts de moues boudeuses, Malen obtient florins et deniers, dépensant sans compter pour des frivolités en tout genre, s'autorisant tous ses caprices et ses moindres lubies enfantines. Ainsi lorsque Cienna est invitée à la cour d'Ibenholt par Synric Clanfell, son promis, la jeune femme supplie son amie de l'accompagner pour goûter elle aussi aux coursives de Jernvugge. Rêveuse et idéaliste, elle s'imagine déjà tomber sur le prince charmant, un jeune noble riche qui pourra l'arracher à l'austérité de Hvittjell pour lui permettre de vivre à la cour d'Ibenholt, couverte de richesses et de bijoux.



« C’est non, ma chérie. Je te l’ai déjà dit, Ibenholt est à cinq jours de distance et ce voyage m’en coûterait trop. Je me dois de refuser. » Sur le faciès séraphin de la donzelle se sculpta une moue qui n’avait plus rien de boudeuse, une magmatique colère étreignant son ventre et laissant dans la bouche adolescente un goût de cendres. Résolument embêtée de voir ses caprices se heurter à un écueil, elle riva ses poings à sa taille, feulant sur son père. « Cienna y va tout le temps, elle ! Ce n’est pas juste ! Elle épousera le lord Clanfell et moi je me retrouverai avec un de ces imbéciles de Greymoor à torcher les écuries et à nourrir les porcs ! » Fracassée, sa colère s’épanchait désormais en obscénités rageuses. Gagné par l’érubescence que lui tiraient de telles paroles proférées par sa précieuse fille, le patriarche Horseborn se mordit la lèvre, son visage glabre se contorsionnant en une expression désolée. Mais derrière le crin paille de la jouvencelle bouillait une ardente contrariété qui jailli de ses lèvres une autre fois. « Si au moins tu me permettais d’aller à la cour, je pourrais trouver un bon parti ! Un seigneur riche et noble et courtois qui n’aurait rien à voir avec les fils Greymoor et leur vulgarité ! » Sur ses traits adolescents fusa une expression révulsée alors qu’elle laissait couler une autre logorrhée. « Tu te rends compte qu'Olav Greymoor, celui-là même que tu veux me faire épouser, m’a dit l’autre jour qu’il me ferait hennir comme une jument en se servant de mes cheveux comme bride quand il me saillirait ? Oh, et c’est sans compter la fois où il m’a dit que quand je serai sienne il me partagera avec ses frères ! Tu veux vraiment me faire épouser ce genre d’hommes, papa ? J’en déduis qu’imaginer ta petite fille dans cette fâcheuse position ne te fait ni chaud ni froid… Parce que si mon bien-être t’intéressait ne serait-ce qu’une seconde, tu ferais apprêter céans une diligence pour Ibenholt ! » Le géniteur ne savait visiblement plus sur quel pied danser, triturant nerveusement les pans de son surcot, incapable d'endiguer le fiel de sa fille ; une bile que personne n'arrivait à juguler, d'ailleurs. Puis, il poussa un soupir creux, levant les yeux au ciel dans une apostrophe tacite qu'il dédiait sans doute aux dieux. « Et que feras-tu quand tu seras à Ibenholt, mh ? Je ne peux me résoudre à laisser la prunelle de mes yeux arpenter seule les coursives du castel de jais. Ne sais-tu pas que les courtisans y sont vils et périlleux, Malen ? » Oh, elle ne savait que trop que les nippes des flagorneurs n'étaient que d'hubris, de vilenie et de mensonges, mais qu'auraient-ils à faire d'une fille du Val tout juste connue des Greymoor et des Lonerider ? Elle avait néanmoins remporté la joute des permissions avec brio, une victoire de plus qu'elle ajoutait à son tableau face à un père qui se faisait plus ductile que médullaire. « Kelen peut venir avec moi ! Maintenant qu'il est revenu des Tours il voudra bien se distraire de toutes ces joutes et de tous ces entraînements. Je t'en prie, papa, dis oui ! Il me protégera, tu le sais bien ! » Depuis le retour du benjamin, qui lui avait confié vouloir intégrer la prestigieuse Garde royale d'Ibenholt, Malen n'avait en tête que les vins de myr qui affluaient à la capitale ainsi que les sybarites courtois qui s'épanchaient en cajoleries à l'ombre des jardins de glace, une merveille dont elle n'avait qu'entendu parler à travers Cienna et qu'elle rêvait de visiter. Son frère l'accompagnerait sans doute durant son séjour, lui donnant l'occasion de se gaver de friselis pendant qu'il passait à travers les rites initiatiques de la Garde. « Tu me promets d'être prudente, Malen ? Les gens là-bas sont de vraies cérastes quand ils ne te mordent pas comme le vouivre, je t'en prie, ne fais pas de bêtises... » Les prunelles vitrifiées par une euphorie qui se traduit par l'étreinte violente de ses bras autour du cou paternel. Survoltée, elle le cribla de baisers qui vinrent s'écraser sur le roc de sa joue obombrée de barbe alors qu'elle gloussait, extatique : « Merci mon petit papa, merci, merci ! Je serai prudente, c'est promis ! »
Et déjà derrière ses prunelles cristallines s'étiolaient ses rêves de chevaliers courtois et de couronnes alourdies des joyaux les plus éclatants.


« Je suis certaine que tu mens, Lera ! » Sur les lèvres églantine fleurissait une moue perplexe, entre les cheveux de paille germait une expression dédaigneuse. La péronnelle au crin chocolat eut un rictus narquois, levant un sourcil par condescendance. « Je ne mens pas. Daren Greymoor m’a déflorée après le tournoi. » Malen ne lui laissa pas le temps de se vanter davantage, lui rétorquant sèchement : « Il a une femme, impossible. » Amusée, la mignarde vit son sourire s’élargir. « Et alors ? Comme si ça empêchait les hommes de désirer d’autres femmes… Je te dis qu’il m’a déflorée. Avec Cienna qui a eu les grâces du lord Clanfell, il ne reste plus que toi. » Courroucée, la lady Horseborn esquissa une moue agacée, sa liliale dextre s’attachant à sa chevelure flave pour en triturer quelques mèches, signe qu’elle était proverbialement irritée par les insinuations de son amie. Dans le castel d’Horsengar tout n’était qu’éclats mirifiques d’un jour qui se complaisait dans une chaleur torride et les deux belles avaient choisi une tenue de soies vaporeuses pour chasser de leur peau laiteuse une fièvre halitueuse. Comme chiffonnée la chevelure de la jouvencelle brillait d’une nitidité d’or dans les rayons fragmentaires d’un soleil qui périclitait à l’horizon. Sa comparse, Lera Dawnrider, avait une peau plus halée, son crin noisette déferlant jusqu’à des hanches féminines en boucles lestes. Ses prunelles ambrées étaient toujours burinées de moquerie. Une parfaite imbécile qu’exécrait Malen sans pouvoir s’en débarrasser, les deux émules se livrant une compétition constante pour conserver la faveur de la princesse de Hvittjell. Malen n’avait connu que la rivalité, la jalousie empanachant sa médullaire dorsale comme un parasite vorace. Elle plissa le nez, révélant quelques taches de rousseur. « Ne t’inquiète pas pour moi, Lera. Je suis déjà courtisée par un noble d’Askevale, nous ne tarderons sans doute pas à sauter le pas. » Un pieu mensonge. Un des nombreux leurres qu’elle disséminait sans même l’ombre d’un remord, par instinct de survie. Elle n’avait aucune envie de se laisser dévorer les entrailles par les anthropophages mijaurées sans rien faire. L’escobarderie demeurant l’unique glaive qu’elle possédait contre le surin des mauvaises langues. Flairant l’affabulation Lera lui servit une fois encore sa mine moqueuse. « Et il s’appelle comment ce cher lord d’Askevale ? » Prise au dépourvue, l’agnelle ne le laissa pas paraître, se contentant de calquer à la commissure de ses lèvres un sourire fleuri. « Il s’appelle Lorel Ironclad et il est dans la trentaine, rien à voir avec les jeunots avec qui tu fricotes. » Haussant un sourcil, Lera ne se fit pas attendre. « Ironclad ? Jamais entendu parler. Pour le coup, je crois que c’est toi qui me mens maintenant. Et puis ça change rien qu’il soit plus vieux que Daren… » Les prunelles étincelant du triomphe, l’agacement de son amie se faisait lauriers. Lui servant un faciès teinté de satisfaction, elle fit fuser sa réplique d’un ton narquois. « Oh si, ça change tout ! Il m’a dit qu’il m’apprendrait tout et qu’après avoir été avec lui, je serais la meilleure amante de tout Middholt. Les nobles feront la queue pour demander ma main à mon père… » Elle fut interrompue par l’intendant qui frappait à la porte avant d’entrer. « Votre frère est de retour lady Horseborn. » Sommée de descendre, elle laissa planer le silence quelques secondes avant de suivre l’intendant. Les joues toujours caressées par l’érubescence, elle se promit de ne pas rester trop longtemps à la remorque de ses deux meilleures amies qui ne tarderaient pas à la remplacer par une autre pimbêche plus stupide encore. C’est l’épigastre bouillant qu’elle salua son frère de retour d’Askevale, l’esprit toujours occupé à passer en revue les amants potentiels.

Un jour elle leur apprendrait toutes à fermer le caquet qui leur servait de bouche.