attente est longue, l'ambiance se fait pesante et, dans le silence de la nuit, seuls quelques chuchotements trahissent l'impatience de certains des gardes à intervenir. L'idée qu'ils venaient peut-être de retrouver les assaillants de leurs camarades assassinés plus tôt suffisait la hardiesse des moins courageux, tandis que les autres n'attendaient qu'un mot pour faire justice. L'officier, lui, se montrait plus mesuré. S'il était déterminé à s'emparer des écuries et de ceux qui s'y étaient réfugiés, il n'avait aucune certitude quant à leur identité ou sur leur nombre réel. Il avait déjà subi de lourdes pertes cette nuit, et il savait qu'il devrait rendre des comptes à sa hiérarchie. Dès lors, toute prise de risque devait être murement réfléchie. Devait-il ordonner l'assaut ? L'espace d'un instant, son emprise sur Morgana se fit moins ferme. Si cela tournait au carnage, il vaudrait mieux qu'il ne survive pas à ses hommes, sans quoi ses supérieurs lui feraient connaître l'Abîme. D'un autre côté, s'il s'avérait que ses hommes ont raison et qu'ils soient tombés sur la piste de ceux qui venaient de semer le chaos dans tout Jernvugge, alors il connaîtrait un sort pire encore. Soudain, il ressentait tout le poids de ses responsabilités l'écraser tout à fait, ne lui laissant qu'un choix factice, que la peste ou le choléra.

Son hésitation dura alors quelques instants, une éternité pour tous les protagonistes, la pesanteur du silence  uniquement troublé par les plaintes de Morgana qui suppliaient Jora et son escorte de lui venir en aide. D'un coup, un grand fracas vint mettre un terme à ce moment de flottement qui durait depuis trop longtemps déjà. Il ne fallut qu'une fraction de seconde au sergent pour comprendre ce qu'il se passait. Trop tard: déjà les silhouettes des quatre fugitifs et de leurs montures qui tentaient de fuir dans la pénombre furent remarquées par la cohorte de gardes. Sans même attendre quelque ordre que ce soit, certains se mirent à la poursuite, tentant vainement de rattraper les cavaliers à la seule force de leurs jambes. Pris de court, l'officier mit quelques secondes à réagir. Une fois ses esprits retrouvés pourtant, il se mit à aboyer des ordres aux archers de son commandement, les autorisant à faire feu à volonté. Il ne fallut qu'un instant pour que ceux-ci s'exécutent, bandant leurs arcs avant d'anticiper la direction prise par Jora, Ehvan, Irinwe et Jack pour mieux tenter de les atteindre. La première volée de flèches siffla alors, mais aucune ne sembla faire mouche. Sans attendre, l'officier ordonna à ses hommes de recommencer. À nouveau, les jets mortels s’élevèrent dans le ciel de Jenrvuggue avant de redescendre à toute vitesse en direction de leurs cibles. Cette fois, pourtant, l'un d'entre eux fit mouche. Un cri de douleur transperça la nuit. Irinwe était touchée, la flèche se fichant dans sa cuisse gauche alors que les quatre fugitifs continuaient leur cavalcade en direction d'un bois qui les mettrait hors d'atteinte des gardes déjà largement distancés.

Comprenant cela, le sergent ordonna que l'on tire une troisième salve, mais il était déjà trop tard, et les traits tombèrent cette fois loin des fugitifs qui parvinrent à disparaître dans la nuit. Sur les visages des gardes éparpillés sur ce champ de bataille improvisé, on pouvait lire tantôt le dépit, tantôt la colère. L'officier, lui, ne semblait montrer qu'une profonde inquiétude, si bien qu'il laissa tomber Morgana. Lorsqu'il l'entendit geindre à nouveau, il considéra sa captive. À quoi bon la tuer, désormais ? Elle était peut-être la seule chose qui lui permettrait de sauver sa tête si jamais il s'avérait que sa hiérarchie lui demande des comptes, ce qui arriverait très certainement. Elle était vraisemblablement complice de ceux qui venaient de prendre la fuite. La considérant alors, il finit par ordonner à son second, juste à côté de lui: « - Traîne là jusqu'au Tombeau. Surveille-la pour moi. Je suis certain que les Ravncrone auront un tas de choses à lui demander. »

Alors, l'homme s'empara de Morgana, la relevant sans ménagement aucun. À l'abri des bois, peut-être Jora pouvait-elle encore entendre les cris stridents de sa complice qui se débattait alors, suppliant, hurlant pour qu'on la tue sur le champ: tous savaient que le Tombeau était pire encore que la mort.