Stalagmites de jais perçant le flanc de la montagne de Solvkant, les tours du palais royal de Jernvugge (le Berceau de Fer) s'étirent jusqu'à la cime du ciel, faisant affront aux dieux d'une dizaine de doigts de jais flanqués de meurtrières. Jernvugge est sans conteste le palais le plus impressionnant, mais aussi le plus glacial, forçant les résidents à allumer des milliers de feux dans les nombreuses cheminées du château, si bien que derrière les fenêtres brillent sans cesse des lueurs ambrées, colorant les façades de la ville endormie qui gît à ses pieds. Derrière ses murs impressionnants et ses remparts de pierre noircie, s'agite une ruche d'abeilles bourdonnantes dont le claquement des sabots fend l'air jusqu'aux montagnes, se dispersant en échos sinistres jusqu'aux sommets enneigés. Et chaque nuit, dans chacune des cités de Middholt, on entend les murmures des ambitieux, qui fomentent en secret complots et conjurations pour un jour siéger, à leur tour, sur le Trône de Jais, celui-là même sur lequel s’assoit l'Usurpateur, dans l'ombre des tours et la lumière diffuse des torches.

S'étirent sur la place publique ces trônes de bois aux cordes mortifères et aux billots de bois embrassés par le sang. Douze échafauds s'y trouvent, sous l’œil paternel de Jernvugge duquel on peut observer en silence les exécutions publiques. La justice royale ne se faisant jamais prier, il incombe aux âmes damnées de se repentir auprès du dieu de leur choix dans une jérémiade psalmodiée et angoissée. Ici se massent les habitants de la capitale alors que le spectacle de la mort est partagé à la fois par la plèbe et la noblesse, paressant délicieusement dans les litières au tissu chatoyant qui s'étendent comme des tribunes surélevées au-dessus du peuple, formant un demi-cercle de gradins de bois aux tentures colorées.

Sous le fracas des marteaux et l'averse des étincelles se déploie le Quartier des Forges, impressionnant dédale de ruelles sinueuses étroites jetant une ombre noire sur les étals chargés de soieries, de gemmes et de nectars multicolores aux teintes irisées. Foisonnent dans ce fatras hétéroclite d'objets armuriers, forgerons, maréchaux-ferrants, taillandiers et orfèvres, tous plus adroits à faire plier le métal de Solvkant et à allier les poudres de platine de Daìnnkastal pour en faire des armes au fil mortifère et résistant. On dit que des feux y brûlent nuit et jour, faisant s'alanguir les spectres ombrageux des passants nocturnes sur les murs noircis des bâtiments et qu'y glissent les vagabonds silencieux, attirés par le miroitement des brasiers et la chaleur des flammes, parangons d'une chaleur salutaire dans les nuits froides de la capitale septentrionale.

De par leur revêtement de bois d'ébène, elles assombrissent le ciel d'Ibenholt, leur toit de paille noircie ou d'ardoise jetant sur les murs des ombres sinistres. Percées de lanternes, les portes sont blanchies à la chaux, les dalles, sinuant comme une rivière de pierres argentées entre les habitations, en rehaussent le bois sombre au grain épais. Les plus riches bénéficient d'hôtels particuliers de pierres argentées prises à même le flanc de Solvkant ou de granit blanc, contrastant singulièrement avec les chaumières. Toutes coiffées de cheminées vertigineuses, les chaumières exhalent leur long souffle de fumée au-dessus de la cité.

La nef du temple fut érigée en gloire à Catharis, déesse de l'hiver et Mère de Septentrion, son effigie de jais émaillée d'opale faisant danser sur son visage sévère des reflets de frimas iridescent. Dans les trois autres transepts du temple, on peut y voir les effigies des autres dieux, trônant avec magnificence dans la lueur blafarde des torches. Les Parlemorts y œuvrent dans le silence du sanctuaire, embaumant les trépassés, préparant les tombes, déposant corbeilles de fruits et offrandes devant l'autel des dieux et veillant aux mariages et aux bénédictions. Alors que des feux y brûlent jour et nuit dans le temple comme sur le parvis, nulle neige ne semble étreindre le Tombeau des Dieux qui, toujours, triomphe des guerres et des épidémies comme s'il était protégé par la grâce de la déesse de l'hiver.

Entre les cimes enneigées de Solvkant, par-delà la Dorsale jusqu'aux côtes de la Mer des glaces s'étendent les Terres du Nord, fiefs, domaines et étendues placées sous la houlette d'Ibenholt. Un climat hostile fait frémir les terres rocailleuses, se durcir les sillons des champs et battre les peaux par le froid. Nul ne vient au nord s'il redoute les neiges éternelles, la dureté du sol qui crisse sous ses pieds ou la rigueur de tempêtes qui arrachent au cœur une supplication de mort et une exhalaison de frimas. Quelques petits villages émaillent la terre désolée d'Ibenholt au chaînon montagneux qui protège la Forteresse veuve et peu s'établissent près des côtes qui soufflent un vent de mer glacial et impitoyable.