Ombre aux contours tranchants, lueur noire rutilante, le Trône de Jais brûle comme une torche de lumière sombre au fond d'une salle grandiose, coupant le souffle à tous ceux qui posent leurs yeux sur lui. Les draperies violines frappées de la corneille ne font que souligner l'éclat cristallin du trône qu'on dit composé d'ossements divins et émane de son imposante stature un étrange aura qui impose le respect. Tout dans cette salle n'est que violet et ébène, même les estrades disposées en demi-cercle devant le trône. C'est ici que les citoyens viennent exposer leurs doléances et rencontrer le roi.

Annexée à la salle du trône, la Salle Ovale est l'épicentre du pouvoir d'Ibenholt. Le Grand conseil s'y réunit au moins une fois par semaine pour discuter des réformes à apporter ou y prendre les décisions concernant l'avenir du royaume. Les murs de grès noir sont si lisses et réfléchissants qu'on dit, avec mépris, qu'ils servent de miroirs aux égos surdimensionnés qui siègent au conseil, renvoyant aux conseillers une image d'eux-même dégoulinante de gloire et de stupre. Beaucoup sont ceux qui accordent du crédit à la légende qui racontait que les conseillers du roi déchu Kalanar y invoquèrent des ombres par leurs complots, jumeaux parfaits qui empêchèrent, comme des spectres matériels, le roi de s'enfuir et le conduisirent inévitablement à la mort. Peu sont les conseillers qui accordent crédit à de telles sornettes, mais la pierre réfléchissante de la pièce ovale fait, effectivement, jouer les silhouettes au jeu des trônes.

Dragons d'obsidienne, ils veillent sur les couloirs de l'Aile ouest, leur gueule flamboyante illuminant les planchers miroitants de noir. Les gardes y veillent en permanence, rallumant les feux des dragons lorsque se consume entièrement l'huile pour éclairer les pas des illustres résidents de cette section du château. On y trouve, tout au bout du couloir une antichambre et la chambre du roi, à l'opposé de celle de la reine qui doit traverser une longue galerie flanquée de dragons pour rejoindre le lit conjugal. La chambre du prince héritier se trouve entre les deux, escale mitoyenne où s'étire un arc de voûte impressionnant. Quelques appartements partagent l'aile ouest, réservés à la famille des souverains ou aux plus illustres invités. Les murs imposants amplifient le claquement des pas et le cliquetis sporadique des armures, échos étouffés par les flammes des torches et l'épaisseur des murs.

À l'opposé de l'Aile du Dragon se déploie l'Aile du Phénix, occupant l'est du palais. Y résident les courtisans, leur passage feutré éclairé par de somptueux phénix qui déploient leurs ailes de jais et renvoient la lumière blafarde des flammes bleues qui jaillissent de leurs gorges cuivrées. Le froissement des tissus précieux s'y fait toujours entendre, tout comme les murmures des mauvaises langues dont l'unique occupation est le commerce du ragot et la fabrique de la rumeur. Des alcôves surplombées d'arc de voûte et de lourds rideaux violacés servent de sanctuaire aux conversations les plus scandaleuses et les dieux seuls savent ce qui s'y passe derrière les draperies vaporeuses. Une succession de chambres partage l'espace, toutes chauffées par d'imposantes cheminées et les domestiques s'y affèrent, au même titre que les esclaves, pour satisfaire tous les caprices.

Niché au centre de Jernvugge, ce jardin est flanqué de galeries ouvertes ornées de pendentifs de glace cristalline qui tombent des corniches, parfois étirant leurs longs doigts de frimas jusqu'au sol. Malgré le froid et l'hiver qui règne en maître à Ibenholt, des fleurs y poussent quand même, leurs pétales argentés ou tachetées d'indigo brillant d'un éclat de nacre dans le soleil du jour. Les courtisans sont nombreux à arpenter les galeries trouées d'arches noires, parés de fourrures luxueuses et de bijoux de cristal, partageant rumeurs croustillantes et vin chaud, admirant la vue des intrigantes fleurs aux pétales lourdes de cristaux de neige. Une chose est certaine, la vue de ce jardin hivernal est loin de laisser les gens indifférents et peu connaissent le secret de cet endroit qui semble suspendu hors du temps et insensible aux caprices du climat.

Cuisines, quartiers des domestiques et des esclaves, dépôt d'armes, salle des trophées, intendance, bibliothèques et scriptoriums se retrouvent dans les différentes annexes du château et dans les dépendances. Une ruche d'abeilles s’affairant au bien-être de leurs seigneurs et maîtres, ils officient tous dans l'ombre des grands, presque oubliés et pourtant si nécessaires, si cruciaux. L'immensité de Jernvugge en laissant plus d'un perdu, au fond d'un couloir sombre, il faut presque un plan ou plusieurs années d'expérience pour s'y retrouver dans cet enchevêtrement labyrinthique de couloirs, dédales, pièces et passages secrets. Et à la lumière vacillante des torches, c'est tout un canevas de vies de servitude qui se dévoile, dans les annexes et les dépendances.

Le Tombeau est le surnom que les prisonniers qui y séjournent ont donné aux geôles et aux donjons, puisque la plupart en ressort les pieds devant. Aux tréfonds des sous-terrains du château, les geôles sont si glaciales qu'on y meurt de froid avant même d'y mourir de faim. Les murs suintants et couverts de frimas fournissent aux prisonniers offre une source d'eau constante ce qui, au moins, allège leur calvaire, mais dans ces trous, tous n'hésiteraient pas une seconde à tuer leur compagnon de cellule pour lui voler ses vêtements. L'ancienneté, dans cette prison, se mesure aux couches de vêtements que porte un prisonnier et ceux qui se retrouvent nus, survivent rarement plus d'une nuit.